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Quand la topologie guide la lumière…

La topologie est l'étude des propriétés d'un système qui restent inchangées lorsqu'on le déforme. Ce domaine des mathématiques est utilisé depuis quelques années : le prix Nobel de physique 2016 a ainsi récompensé trois pionniers dans son utilisation pour créer de nouveaux types de circuits électroniques – les Britanniques David Thouless, Michael Kosterlitz et Duncan Haldane. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette notion abstraite est désormais utilisée pour concevoir des circuits qui guident la lumière efficacement. En structurant la matière de manière subtile, on parvient à piéger la lumière et à l'acheminer par de tout petits chemins – à l'échelle du micromètre – et surtout à lui faire prendre des virages sans perte d'intensité. Une performance critique quand on sait que la lumière aime se déplacer en ligne droite. À la clé, un bouleversement du domaine de l'optique intégrée : la création de puces photoniques (le photon est la particule de la lumière) qui seraient utiles pour les télécommunications ou les ordinateurs fonctionnant à l'aide de lumière, appelés ordinateurs photoniques.

« En 2005, Duncan Haldane a l'idée d'appliquer ces idées de topologie développées pour la physique de l'état solide – les électrons qui se propagent sur des métaux et des semi-conducteurs – à la lumière. Il écrit un article fondateur qui fait la jonction entre ces domaines. C'est à partir de ses travaux que beaucoup d'équipes, dont la nôtre, ont tenté de créer des circuits topologiques pour la lumière ».

La difficulté principale est qu'en électronique, ces propriétés topologiques sont créées par la présence d'un champ magnétique auquel les électrons sont sensibles. Or les photons sont neutres : ils sont donc insensibles à tout champ magnétique. Dès lors, il s'agit de créer des systèmes où lumière et matière sont volontairement "mélangées", de sorte à les rendre sensibles au champ. Par exemple, les photons peuvent être piégés dans une microcavité où ils subissent une série d'absorptions-réémissions. Ce processus – qui les transforme en photons dits "habillés" – les rend sensibles au champ magnétique. Nous étudions la physique de ces quasi-particules nommées "polaritons", qui ne sont ni tout à fait de la lumière ni tout à fait de la matière.

Quelles sont les symétries à implémenter dans ce matériau afin de créer un guide topologique ? Une stratégie consiste à créer une interface dans le semi-conducteur qui sépare un réseau de trous avec une certaine symétrie spatiale - par exemple "en nid d'abeille dilaté" – d'un réseau de symétrie différente – en "nid d'abeille comprimé". Les bandes photoniques diffèrent dans chaque partie du réseau, laissant apparaître à l'interface un canal topologique pour les photons. Nous avons mis au point plusieurs de ces circuits et obtenu dans certains une propagation sans perte, soit l'équivalent pour la lumière de ce qu'est un matériau supraconducteur pour l'électricité ; les photons possédaient une longueur d'onde de 800 nanomètres, autrement dit, ils se situaient dans l'infrarouge proche. De façon analogue, nous avons créé le premier "laser topologique" : à l'interface entre un réseau et le vide (le vide a une topologie particulière dite "triviale", différente de celle du réseau), un état de lumière apparaît bien localisé et cohérent. Ces interfaces topologiques devraient permettre de réaliser des circuits photoniques à l'échelle micrométrique particulièrement résistants au désordre : la propagation est "protégée" par la topologie.

Outre l'intérêt fondamental dans le domaine de la physique des matériaux topologiques (mettre en évidence de nouvelles phases topologiques en photonique), les résultats attendus ouvriraient la voie à la conception de puces photoniques où le transport de la lumière pourrait être contrôlé très rapidement. L'avantage de ces systèmes est en effet la manipulation directe de l'information qui est déjà sous forme de lumière. Ceci permettrait de traiter directement l'information lumineuse qui arrive dans les serveurs de calcul et de données via des fibres optiques, sans avoir besoin de la transformer en signaux électriques, avec à la clé une économie appréciable.

Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash

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