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Edito : Les propriétés de la lumière sont un moteur-clé d’innovation scientifique et technique

Cette semaine, je vais évoquer un phénomène physique fascinant, connu depuis l’antiquité, qui est à l’origine depuis quelques années d’une multitude d’innovations : la luminescence. Ce phénomène se distingue de l’éclairage ordinaire par le fait qu’il s’agit d’une émission de lumière qui est produite, sans dégagement de chaleur, par une source qui peut être d'origine lumineuse, chimique, ou électrique. Dans la nature, de très nombreux, animaux sont luminescents, comme le ver luisant, ou la luciole. Mais c’est dans le milieu marin qu’on trouve le plus d’animaux lumineux puisqu’une vaste étude d’exploration, publiée en 2017, a révélé de manière étonnante que les trois quarts des espèces marines vivant entre la surface et 4000 mètres de profondeur étaient luminescents… (Voir Nature). Sur terre, bien que ce phénomène soit plus rare, on trouve néanmoins des mammifères dotés de cette propriété, comme l’étrange ornithorynque, dont on a découvert il y a seulement deux ans, qu’il brillait la nuit (Voir De Gruyter).

Longtemps considérée comme une simple curiosité, la luminescence, dans ses différentes déclinaisons, est pourtant à l’origine, depuis quelques années, d'un nombre croissant de nombreuses et remarquables avancées dans de multiples domaines. En biologie, une étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Pittsburgh, dirigés par le Docteur Yang Liu, a révélé que le colorant de liaison à l'ADN, associé à des échantillons de tissus cliniques, permettait d’obtenir des images de haute qualité via la microscopie à fluorescence à super résolution, une nouvelle technique inventée en 2014 (Voir Science Advances). Contrairement à la microscopie à fluorescence classique, qui utilise des marqueurs qui brillent en permanence, cette approche permet d'allumer, à la demande, grâce à un nouveau type de marqueur combinant la molécule de liaison à l'ADN Cy5 et un colorant fluorescent appelé Hoechst, uniquement un groupe d'étiquettes, pour un temps très bref. Il suffit ensuite de superposer les nombreuses images ainsi obtenues, pour reconstruire une image complète à très haute définition.

Ces recherches ont montré qu’à l’aide de cette nouvelle technique, il devenait possible de distinguer rapidement les cellules normales, des cellules malignes. En effet, dans le premier cas, la chromatine est dense, et l'ADN émet un signal lumineux plus fort. En revanche, dans le cas de cellules cancéreuses, la chromatine est moins dense et va produire un signal plus faible. « Nous pensons que les patients avec une chromatine plus ouverte sont ceux qui sont les plus susceptibles de développer un cancer. En suivant ces patients dans la durée, nous pourrons confirmer que la perturbation de la chromatine dans les cellules normales est bien prédictive d’un risque de cancer » souligne le Docteur Yang Liu. Ces chercheurs vont à présent utiliser cette nouvelle technique de marquage fluorescent pour examiner des échantillons d'expectorations de fumeurs, afin de pouvoir détecter de manière très précoce d’éventuels cancers du poumon.

En France, des chercheurs de l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay et de l’Institut Langevin ont développé une nouvelle technique de microscopie optique de super-résolution qui atteint une précision nanométrique uniforme dans les trois dimensions dont la profondeur, ce que ne permettent pas les techniques actuelles. Baptisée ModLoc (Localisation Modulé), cet outil permet de révéler la position en 3D des molécules, quelle que soit la profondeur de l’échantillon biologique. Pour parvenir à ce résultat exceptionnel, les chercheurs ont eu l’idée de remplacer l’éclairage homogène habituel par des interférences (alternance de franges sombres et lumineuses), créées par les faisceaux laser dans l’échantillon. Grâce à cet éclairage structuré, ces scientifiques ont pu produire une modulation de la fluorescence, ce qui a permis, in fine, d’obtenir cette précision nanométrique dans la localisation des molécules étudiées.

Dans le domaine chirurgical, l'imagerie moléculaire de fluorescence (IMF) peropératoire est de plus en plus utilisée dans les interventions visant à extraire des tumeurs cancéreuses. Cette technique apporte une aide précieuse au chirurgien, qui peut prendre des décisions en temps réel en visualisant précisément les contours de la tumeur (Voir Springer). Les agents d’IMF approuvés à ce jour sont la fluorescéine (FS), le bleu de méthylène (MB), le vert d'indocyanine (ICG) et l'acide 5-aminolévulinique (5-ALA). Mais malheureusement, ces agents, faute de sensibilité suffisante, n'ont pas la capacité de cibler toutes les cellules cancéreuses. Toutefois, de récentes avancées ont permis de développer de nouveaux agents, comme le récepteur alpha du folate "OTL38", approuvé fin 2021. Cette panoplie de plus en plus large d’agents fluorescents à ciblage moléculaire, associée aux nouvelles techniques d'imagerie multimodales sont appelés à jouer un rôle-clé dans la chirurgie de précision.

Retournons en Chine, où des scientifiques de l’Université Fudan, à Shanghai, ont développé une étonnante technique permettant de rendre des vers à soie fluorescents (Voir Wiley). Pour parvenir à conférer au Bombyx du mûrier – le papillon dont la chenille est le ver à soie – cette propriété de fluorescence, ces chercheurs ont eu l’idée assez surprenante de nourrir des vers à soie avec des points quantiques de carbone (CQD). Il s’agit de nanoparticules de carbone, de moins de 10 nanomètres et qui émettent des longueurs d’onde spécifiques de lumière, nécessaires pour obtenir une forte photoluminescence, accompagnée d’une bonne biocompatibilité. Ces points quantiques ont été absorbés par les vers à soie, via leurs tubes digestifs, puis acheminés dans les glandes à soie et enfin dans les cocons. Finalement, ces chercheurs ont obtenu des cocons qui s’illuminaient d’une couleur rouge vif sous lumière ultraviolette (UV). Les papillons issus de ces cocons étaient également rouges fluorescents, et ils ont eux-mêmes pondus des œufs fluorescents, qui ont éclos normalement. Cette nouvelle technique très innovante pourrait, selon les scientifiques chinois, trouver une multitude d’applications. Il serait par exemple possible de produire industriellement des textiles fluorescents.

Ce phénomène de fluorescence est également à l’origine d’une récente et extraordinaire étude, menée par trois chercheurs américains de l’Université de Californie du Sud (USC) dans le domaine des neurosciences. Ces trois chercheurs, Scott Fraser, Don Arnold et Carl Kesselman, ont réussi, il y a quelques semaines, la première observation directe de synapses vivantes dans un cerveau intact. Pour réaliser cet exploit, ils ont travaillé sur le poisson-zèbre, dont le cerveau transparent est plus facile à visualiser. Dans un premier temps, ces chercheurs ont mis au point une nouvelle technique pour modifier l’ADN du poisson afin que l’emplacement d’une synapse soit marqué d’une protéine fluorescente qui s’illumine lorsqu’elle est balayée par un faisceau-laser (Voir USC Dornsife).

Dans un second temps, ces scientifiques ont construit un puissant microscope à feuille de lumière, optimisé pour traiter les images de synapses. Dans ce nouvel outil de microscopie, la lumière utilisée pour éclairer l’échantillon émane d'une feuille de quelques micromètres d’épaisseur. Cette "feuille de lumière" est placée perpendiculairement à l’objectif, qui détecte la fluorescence émise par l’objet. L’objet se déplace dans cette feuille de lumière, ce qui permet de réaliser des coupes optiques sur l’ensemble de l’échantillon. Il suffit ensuite de fusionner les images ainsi acquises pour obtenir une magnifique représentation en 3D de l’objet étudié. Grâce à cette technique, aussi élégante qu’innovante, ces chercheurs ont pu, pour la première fois, analyser en temps réel les modifications synaptiques au fur et à mesure qu’un souvenir était créé dans le cerveau du poisson-zèbre...

Ce phénomène de luminescence est également en train de bouleverser un secteur économique en plein essor, celui de la lutte contre les contrefaçons. Ces contrefaçons, souvent réalisées et diffusées par des organisations criminelles transnationales puissantes, sont devenues un véritable fléau pour l’économie et le commerce mondial. Elles représenteraient un marché mondial illégal de l’ordre de 400 milliards d’euros (2,5 % des importations mondiales), dont 60 milliards pour l’Europe et 8 milliards pour la France. Dans notre pays, on estime que ces contrefaçons entraînent la perte d’environ 40 000 emplois par an. La lutte active contre cette forme de criminalité est donc devenue une priorité et, parmi les nouveaux moyens mis en œuvre, l’un d’eux consiste à marquer les produits en y incorporant un marqueur luminescent qui pourra, le cas échéant, réagir aux rayons ultraviolets, et permettre ainsi d’identifier la nature et l’origine du produit.

Les polymères à base de terres rares ont ouvert de nouvelles perspectives pour produire des marqueurs luminescents particulièrement performants dans deux domaines : la lutte anti-contrefaçon, mais également l’optimisation du recyclage des matériaux. Récemment, plusieurs avancées scientifiques ont montré qu’il était possible de fabriquer des particules de polymères à base de terres rares dont les parties internes et externes ne présentent pas la même composition. Ces particules présentent des transferts d’énergie bien plus faibles entre le noyau et l’enveloppe, tout en ayant une luminescence bien plus forte. Cette nouvelle génération de marqueurs luminescents pourrait permettre des avancées majeures en matière de lutte contre la contrefaçon et de traçabilité des matériaux.

Outre-Atlantique, des chercheurs du MIT travaillent depuis plusieurs années sur l’utilisation, à des fins scientifiques et industrielles, de deux enzymes, la luciférase et de la luciférine, à l’origine de la lueur caractéristique des lucioles (Voir Science Advances). Au fil des années, ils ont réussi à conférer à différentes plantes, notamment du cresson, du tabac et du basilic, un pouvoir de bioluminescence de plus en plus fort. Récemment, ces chercheurs ont franchi une nouvelle étape en ayant l’idée d’intégrer directement dans les feuilles de ces plantes, sous forme de nanoparticules, un matériau luminophore, qui émet de la lumière lorsqu’il est stimulé. Les plantes ainsi modifiées deviennent alors capables d’absorber et de restituer les photons, provenant d’une lumière naturelle, ou artificielle. Exposées pendant seulement quelques secondes, ces plantes peuvent émettre de la lumière pendant une heure, et peuvent même être rechargées pour plusieurs semaines….

En France, une startup fondée par deux biologistes, Rose-Marie et Ghislain Auclair, en coopération avec l'Université de Strasbourg, a mis au point une technique reposant sur le transfert de gènes bioluminescents de certains animaux (lucioles, méduses et certains poissons) qui permet de créer une matière première bioluminescente faite de micro-organismes. Cette source d’énergie biochimique peut être intégrée dans de nombreux supports et émettre une lumière dont l’intensité et la durée vont varier en fonction de la quantité d’arabinose (une variété de sucre) ajoutée. Pour l’instant cette "bio-innovation" permet de proposer des décors luminescents, utilisables dans différentes manifestions et événements. Mais à terme, ces sources bioluminescentes devraient également trouver de nombreuses applications, notamment dans les domaines biologiques et médicaux.

Toutes ces récentes avancées, qu’il s’agisse de découverte fondamentales ou de recherches appliquées, montrent à quel point un phénomène naturel, considéré pendant des siècles comme une curiosité offrant peu d’applications utiles, est devenu, en seulement quelques années, une formidable source d’inspiration et d’innovation scientifique et technique, au point de se diffuser dans presque tous les secteurs d’activités. Et ce n’est qu’un début, car les scientifiques sont unanimes pour penser que la luminescence, dans ses nombreuses versions, pourrait bien révolutionner, plus vite que prévu, l’éclairage et le bâtiment. On peut en effet tout à fait imaginer, au rythme où ces technologies lumineuses progressent, des systèmes d’éclairage public végétaux, à base de feuille à bioluminescence rechargeable, ou encore, des murs ou matériaux à luminescence contrôlée, pouvant s’éclairer de différentes façons, en fonction de circonstances particulières (incendie, accidents, présence d’occupants, risques de ruptures ), et ne consommant quasiment pas d’énergie. En médecine, les applications potentielles ne sont pas moins immenses. On pourrait, par exemple, imaginer des nanoparticules "sentinelles" qui deviendraient fluorescentes en présence de situations pathologiques, présence de cellules anormales, dépôt de graisses dans les artères, présence de protéines néfastes dans le cerveau, annonçant une maladie neurodégénérative…Dans notre vie quotidienne, il est probable que nous porterons, dans quelques années, des vêtements qui auront également des propriétés luminescentes, qui seront programmables en fonction de notre environnement et des tâches que nous avons à accomplir.

Presque quatre siècles après le traité du monde et de la lumière de Descartes, trois siècles et demi après le fameux traité de la lumière du grand scientifique hollandais Christiaan Huygens, et plus d'un siècle après la géniale théorie des quanta de lumière d’Einstein (qui sera l’un des fondements de la physique quantique), cette composante essentielle de la nature, à la fois omniprésente et insaisissable, qui fascine les hommes depuis des temps immémoriaux, n’en finit pas de révéler ses secrets, et ses propriétés aussi subtiles qu’étonnantes.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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