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Edito : Des profondeurs de la Terre à l’espace, l’énergie est partout…si nous savons l’utiliser…

En 2021, la consommation mondiale totale d’énergie (dont environ 20 % est électrique) a dépassé les 14 Gigatonnes d’équivalent-pétrole selon l’AIE, ou encore 168 000 TWH. En cinquante ans, cette consommation d’énergie a progressé de 118 %. La production d’énergie est responsable de l’essentiel de nos émissions humaines de CO2 qui dépassent à présent les 40 gigatonnes par an (en incluant les émissions liées aux sols et forêts) et cette demande mondiale d’énergie devrait très vraisemblablement augmenter encore d’environ 45 % d’ici 2050, sous le double effet de la croissance démographique (+ 2 milliards d’habitants sur Terre) et du développement économique notamment en Asie.

L’électricité d’origine géothermique représentait en 2020 environ 16 000 MW installés, soit une production d’environ 139 TWh par an (environ 0,5 % de la consommation électrique mondiale) mais la Banque mondiale estime que le potentiel global économiquement récupérable est d'au moins 90 GW, dont 29 GW pour la production électrique (le reste étant directement exploitable sous forme de chaleur), soit 1500 TWh par an, ce qui correspond à environ 5 % de la consommation électrique mondiale.

En 2022, le gouvernement allemand a publié une feuille de route, intégrant l'objectif, d'ici 2030, d'une production annuelle de 10 Twh de chaleur par géothermie, soit dix fois plus qu'actuellement. Pour ce faire, Berlin compte lancer « au moins 100 nouveaux projets géothermiques » dans le pays, qui dépend à 50 % du gaz pour se chauffer. La mégapole de Munich, qui compte 1,5 million d'habitants, multiplie ce type de projets. Un milliard d'euros sera investi d'ici 2035 pour atteindre la part de 50 % de chauffage fourni à la ville grâce à cette technologie.

Mais c’est de loin l’Italie qui reste la championne européenne de la géothermie, grâce à ses particularités géologiques et sismiques favorables. Ce pays a été le premier à mettre en service en 1911 une centrale électrique géothermique à Lardello, en Toscane, qui alimente aujourd’hui plus d’un million de foyers en électricité. Au niveau national, l’Italie produit 5 % de son électricité grâce à la géothermie, soit dix fois plus que la France.

Il y a un an, la France a décidé d’augmenter de 40 % le nombre de projets de géothermie profonde lancés d'ici 2030 et de doubler le nombre d'installations de pompes à chaleur géothermique chez les particuliers d'ici 2025. Le plan annoncé par le Gouvernement vise à faire de la France un leader de la géothermie en Europe et doit permettre de produire d’ici 2040 suffisamment de chaleur géothermale pour économiser 100 TWh/an de gaz, soit plus que les importations de gaz russe avant 2022. Quant à la production d’électricité géothermique, elle pourrait plus que quadrupler d’ici 2035, passant de 6,5 TWH à 28 TWH par an, soit environ 5 % de la consommation électrique prévue à cette échéance.

Dans la perspective de la première gigafactory française de batteries destinées au secteur automobile, le groupe Stellantis vient d’annoncer la signature d’une convention avec la start-up germano-australienne Vulcan pour la réalisation d’ici 2026 d’une centrale de géothermie profonde à Mulhouse (Haut-Rhin). Une étude de faisabilité technique va être engagée, pour vérifier la possibilité de fournir le site de fabrication des voitures du groupe en chaleur et en électricité, mais aussi d’extraire du lithium du sous-sol de Haute-Alsace, qui pourrait servir de matière première pour la production de batteries du groupe. Notons également que plusieurs agglomérations, dont Roanne, envisagent également de développer une exploitation conjointe de ressources en lithium et en géothermie.

Il y a quelques semaines, le cabinet français de conseil technologique CGG a proposé d’exploiter le potentiel énergétique des failles sous-marines en développant la géothermie sous-marine. On sait à présent que dans ces immenses failles sous-marines, dont la surface s’étend sur près de 65000 km2, le magma terrestre est relativement proche de la surface, car il se déverse en permanence à travers l’espace créé par l’écartement des plaques. Selon GGC, il serait possible techniquement de récupérer une partie de la chaleur extrême dégagée par ces failles. Mais CGG souligne que la majeure partie de cette énergie sera générée dans des secteurs isolés d’où il risque d’être compliqué et onéreux d’acheminer l’énergie extraite jusqu’aux régions en demande de consommation. CGG propose donc de capter l’eau douce issue de la vapeur qui circule dans les turbines et de la décomposer en l’électrolysant afin de produire de l’hydrogène vert. Celui-ci pourrait alors être utilisé directement ou converti en ammoniac pour une utilisation ultérieure. CGG a déposé une demande de brevet pour sa « nouvelle combinaison de technologies géologiques, géophysiques et d’ingénierie pour aider à explorer et développer ces ressources » (Voir CGG).

Il y a quelques jours, une étude menée par l’Université de Princeton et la startup Fervo Energy a montré que l’exploitation flexible des centrales géothermiques pourrait non seulement renforcer leur apport au réseau électrique mais aussi favoriser leur intégration dans un système énergétique décarboné. Pour atteindre cet objectif, l’étude propose une approche flexible de l'énergie géothermique, combinant l'énergie propre avec une “batterie” intégrée. Depuis ses origines, l’exploitation de l’énergie géothermique suppose des conditions géologiques spécifiques, limitant son application à des régions particulières dotées de roches chaudes et perméables proches de la surface terrestre. La contrainte géographique a confiné l’énergie géothermique traditionnelle à un statut de niche, avec une contribution de seulement 0,4 % à la production totale d’électricité aux États-Unis en 2022. Toutefois, les avancées dans les technologies de forage et de fracturation hydraulique ont ouvert la voie à une énergie géothermique améliorée, en élargissant de manière décisive l’accès à la chaleur terrestre. Cette étude menée par l’équipe de Princeton et Fervo Energy a identifié une nouvelle voie très prometteuse pour rendre l’énergie géothermique plus compétitive sur le marché : la flexibilité opérationnelle. En exploitant les capacités de stockage d’énergie inhérentes aux réservoirs géothermiques améliorés, il est possible, selon ces recherches, de générer plus ou moins d’énergie selon les besoins, augmentant ainsi considérablement la valeur de l’énergie géothermique en complémentarité avec les autres sources d’énergies renouvelables, qu’elles soient intermittentes, comme le solaire et l’éolien, ou continues, comme les énergies marines et l’hydrogène naturel (Voir Nature Energy).

Le rocher imperméable nécessaire à cette géothermie améliorée servirait en fait de réservoir souterrain autonome pour stocker le fluide chauffé. Cette grande capacité de stockage serait la clé de cette flexibilité reposant sur la modulation de l’exploitation de ces centrales pour adapter la production d’énergie en fonction de la demande finale d’électricité. Ce concept novateur pourrait permettre à l’énergie géothermique de représenter jusqu’à un tiers de la capacité énergétique propre installée dans l’ouest des États-Unis. Les tests sur le terrain réalisés par Fervo Energy dans son installation commerciale Project Red au Nevada ont démontré des capacités de stockage d’énergie sur une semaine et cette capacité pourrait atteindre plus de dix jours de stockage d’énergie, ce qui représente une avancée majeure par rapport aux systèmes actuel de stockage massif d’énergie.

Evoquons également le projet de forage islandais qui vise à atteindre une profondeur de 2 kilomètres et devrait commencer en 2026. Il permettra aux géologues d’obtenir des informations inédites sur le magma. Quant à la production d’énergie géothermique, elle pourrait faire un pas de géant grâce à un deuxième forage du Krafla, une fois que l’ouverture destinée à la recherche scientifique sera achevée. En creusant plus profondément que les sources géothermiques habituelles, les scientifiques espèrent avoir accès à une source d’énergie propre illimitée et peu chère à exploiter, à des températures et pressions inégalées. En atteignant accidentellement la poche de magma en 2009, les scientifiques Islandais ont fait remonter à la surface de la vapeur à plus de 450°C, un état dit "supercritique" à haut pouvoir énergétique. Selon ces scientifiques, deux puits supercritiques exploitant une telle vapeur suffiraient pour atteindre la puissance de 60 mégawatts que génère la centrale actuellement avec... 18 puits conventionnels. Le célèbre magazine américain "New Scientist" souligne que ce projet pourrait déboucher sur une nouvelle technologie, la géothermie magmatique, qui consisterait à forer des puits jusqu’à la frontière entre la roche cassante et celle en fusion, et à exploiter de la vapeur extrêmement chaude et sous haute pression pour actionner des turbines avec un rendement inégalé (Voir New Scientist).

A côté de la géothermie, qui prend un nouveau départ, l’hydrogène "blanc" ou naturel pourrait bien également venir bouleverser la donne énergétique mondiale à condition, là aussi, de savoir lever les verrous technologiques qui freinent l’exploitation à grande échelle de ce nouvel "or blanc". Actuellement, la consommation mondiale d’hydrogène est de l’ordre de 95 millions de tonnes par an et elle devrait être portée à au moins 650 millions de tonnes en 2050 pour permettre, en tant que vecteur énergétique puissant, de décarboner nos économies, selon un rapport des Nations unies.

En juin dernier, j’avais déjà évoqué, dans notre lettre, des chercheurs lorrains du CNRS qui ont trouvé, par hasard, d’énormes quantités d'hydrogène blanc dans les sous-sols du bassin minier autour du puits de Folschviller (Moselle). Ce gisement contiendrait, sous réserve de confirmation, entre 46 et 60 millions de tonnes d’hydrogène à l’état primaire, soit l’équivalent de la moitié de la consommation mondiale de ce gaz. L’espace concerné a fait l’objet d’un arrêté d’exploration en décembre dernier. Un autre gisement important a été découvert dans le Béarn et, si son exploration est concluante, l’exploitation de cet hydrogène blanc pourrait commencer dès 2026. Cinq autres dossiers, notamment dans les Pyrénées Atlantiques, l’Ain et le Puy-de-Dôme, sont actuellement en cours d’instruction par le Ministère de la Transition énergétique.

Ces ressources en hydrogène blanc pourraient constituer une formidable aubaine économique pour la France. D'autant qu'elles pourraient s'avérer gigantesques. Des études publiées en 2020 évaluent à 25 millions de tonnes par an le flux récupérable, soit un quart de la consommation mondiale actuelle d'hydrogène, selon Isabelle Moretti, chercheuse à l'université de Pau et des Pays de l'Adour et membre de l'Académie des technologies. Jusqu’à présent, le prix reste le principal frein au déploiement de l’hydrogène toute catégorie. La production par électrolyse de l’eau de l’hydrogène vert revient à environ 10 euros le kilo. Contre deux euros pour l’hydrogène "gris", issu des énergies fossiles. Mais l’hydrogène blanc est encore moins cher (entre 0,5 et 1 euro le kilo) et il présente l’avantage décisif d’être intrinsèquement propre. En outre, cet hydrogène blanc (ou naturel) peut, selon beaucoup de spécialistes, être considéré comme une énergie de flux, indéfiniment renouvelable sous l’effet de plusieurs processus géologiques encore mal connus. La société canadienne Hydroma extrait de l’hydrogène blanc depuis dix ans au Mali (c’est le seul gisement exploité actuellement dans le monde) et, pour l’instant, ce flux d’hydrogène exploité, pour moins d’un dollar le kg, n’a pas du tout diminué, ce qui tend à conforter l’hypothèse d’une production permanente d’hydrogène blanc qui vient renouveler le stock déjà présent.

Cette course mondiale à l’hydrogène blanc vient d’être relancée il y a quelques semaines par le géologue américain Geoffrey Ellis qui a révélé, lors de la réunion annuelle de l'Association américaine pour l'avancement de la science à Denver, que les réserves mondiales d’hydrogène naturel pourraient être de l’ordre de 5000 milliards de tonnes. Ellis souligne que, même si une grande partie de cet hydrogène reste difficilement accessible, il suffirait de pouvoir en récupérer 1 %, ce qui semble tout à fait envisageable techniquement, pour satisfaire pendant des siècles la demande mondiale annoncée au milieu de ce siècle, estimée de 500 à 700 millions de tonnes par an (Voir Hydrogen Insight). Depuis quelques mois, les recherches et découvertes ont progressé de façon spectaculaire partout dans le monde et de nouveaux gisements d’hydrogène naturel ont été découverts dans plusieurs pays. En France, le Président de la République a promis, il y a quelques semaines, que l’Etat engagerait tous les moyens nécessaires à l’exploration et l’exploitation des gisements d’hydrogène considérables qui ont été découverts dans notre pays.

Mais si les profondeurs de la Terre recèlent un énorme potentiel énergétique que nous commençons enfin à mesurer et exploiter, l’espace pourrait également nous permettre de disposer dans quelques décennies d’une énergie propre et inépuisable, si nous savons la capter. Récemment, une équipe de chercheurs du California Institute of Technology (Caltech) a franchi une étape significative en démontrant avec succès la transmission sans fil d’énergie solaire spatiale (Voir Arxiv). Cette avancée, matérialisée par le projet Space Solar Power Project (SSPP) de Caltech, pourrait ouvrir la voie à une nouvelle ère de production énergétique, offrant une solution potentielle aux limitations majeures des systèmes solaires terrestres (à savoir les conditions météorologiques). La mission SSPD-1, menée par le California Institute of Technology, a permis de valider de manière remarquable trois innovations technologiques. Premièrement, le dispositif MAPLE (Microwave Array for Power-transfer Low-orbit Experiment, c’est-à-dire le « Réseau de micro-ondes pour l’expérience en orbite basse avec transfert de puissance »). Ce système permet le transfert d’énergie depuis l’espace, sous forme d’ondes.

Deuxième innovation validée, l’expérience ALBA, qui a permis une évaluation approfondie de divers types de cellules photovoltaïques sous les conditions uniques de l’espace. En testant 32 variantes, les chercheurs ont pu distinguer les matériaux les plus performants et résilients, notamment en réaction aux conditions spatiales extrêmes telles que les éruptions solaires. Finalement, ce sont les cellules en arséniure de gallium qui se sont distinguées par leur robustesse et leur efficacité.

Enfin, le projet DOLCE (Deployable on-Orbit ultraLight Composite Experiment) a validé le concept d’une structure légère et déployable, capable de supporter à la fois les cellules solaires et les dispositifs de transmission d’énergie. Ce type de structure pourrait être déployé sous formes de modules en orbite, pour constituer de futures stations spatiales solaires géantes. La réussite de cette mission SSPD-1 jette donc les bases d’une formidable odyssée vers le solaire spatial à grande échelle. En prouvant la faisabilité du captage d’énergie solaire directement dans l’espace pour une transmission sans fil vers la Terre, cette technologie promet une source d’électricité propre, constante et inépuisable. Contrairement aux systèmes solaires terrestres, qui sont limités par le cycle jour/nuit, les saisons et les conditions climatiques, l’énergie solaire spatiale bénéficie d’une exposition solaire continue. Le solaire spatial, s’il est effectivement plus coûteux que le solaire terrestre, peut générer jusqu’à huit fois plus d’énergie que les installations solaires sur Terre. Ce concept de stations spatiales solaires géantes modulaires pourrait, plus tôt qu’on ne l’imagine, transformer profondément le paysage énergétique mondiale, en rendant l’énergie accessible même dans les régions les plus isolées. Le président de Caltech, Thomas F. Rosenbaum, souligne d’ailleurs que « L’énergie solaire rayonnée depuis l’espace est encore une perspective d’avenir. Mais cette mission critique a démontré qu’elle devrait être un avenir réalisable ».

Conscient de l’importance de cet enjeu énergétique et technologique majeur, la Chine, grand rival des USA, a également clairement affirmé son ambition de pouvoir produire de l’énergie solaire depuis l’espace. Un premier test au sol de son projet spatial a été réalisé avec succès, dans le cadre du projet chinois OMEGA (Orb-Shape Membrane Energy Gathering Array), lancé en 2014. L’objectif très ambitieux du projet chinois OMEGA est d’utiliser des satellites en orbite basse pour produire de l’énergie solaire depuis l’espace 24 heures sur 24 d’ici 2030. Un premier test sur le terrain du projet a été réalisé avec succès à l’Université chinoise de Xidian. Pour cet essai, les scientifiques chinois ont construit une tour en acier d’environ 75 mètres de haut qui utilise des faisceaux de micro-ondes à haute fréquence pour capter l’énergie solaire des satellites. Selon l’Université de Xidian, qui gère ce projet, la centrale solaire spatiale chinoise OMEGA serait « en avance sur la technologie américaine dans plusieurs domaines ».

On le voit, l’arrivée de ces nouvelles sources massives et inépuisables d’énergie propre, géothermie profonde, hydrogène naturel et solaire spatial, est en mesure de bouleverser complètement, en synergie avec la fusion contrôlée, l’éolien marin et le solaire terrestre, le paysage énergique mondial, en fournissant à l’Humanité des quantités illimitées d’énergie décarbonée. Mais pour parvenir à exploiter de manière sûre, rentable et à grande échelle, ces nouvelles sources prometteuses d’énergie, de nombreux défis technologiques restent à surmonter. Face aux Etats-Unis, à la Chine, au Japon et demain à l’Inde, l’Europe doit rapidement mobiliser toutes ses ressources humaines, financières et scientifiques pour rester dans cette compétition technologique, industrielle et économique vitale pour notre avenir, d’où sortira le nouveau monde que nous devons bâtir pour maîtriser le changement climatique et protéger l’environnement, tout en assurant les conditions nécessaires au développement humain et économique de la planète…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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