Résumé de l’édito :
Les briques de la vie présentes partout dans l'univers
Les recherches des dix dernières années révèlent que les composants essentiels à la vie sont omniprésents dans l'univers. Depuis 2015, les télescopes détectent des molécules organiques complexes dans les disques protoplanétaires entourant les jeunes étoiles, suggérant que ces "briques de la vie" se forment naturellement dans l'espace. Des découvertes majeures incluent la détection de bases de l'ADN (cytosine et thymine) dans des météorites en 2022, et du tryptophane - un acide aminé essentiel - dans le nuage moléculaire de Persée en 2023. Les scientifiques ont également identifié des molécules chirales cruciales pour la biologie et démontré que des acides aminés peuvent s'assembler dans les conditions spatiales extrêmes. Sur Encelade, lune de Saturne, et Mars, les sondes ont détecté des composés organiques sophistiqués, notamment des acides gras constituant les membranes cellulaires. En 2024, des chercheurs ont reconstitué en laboratoire des molécules du cycle de Krebs, processus fondamental de la respiration cellulaire, en simulant les conditions de la glace interstellaire. Ces avancées suggèrent que LUCA, notre ancêtre commun universel, serait apparu il y a 4,2 milliards d'années, plus tôt qu'estimé. L'abondance de ces composés organiques dans le cosmos renforce l'hypothèse que la vie basée sur le carbone pourrait être répandue dans l'univers. Pour de nombreux scientifiques, la question n'est plus de savoir si une vie extraterrestre existe, mais quand nous la découvrirons.
Editorial :
L'une des questions les plus fascinantes de la science moderne se décline en deux interrogations intimement liées : comment la vie est-elle apparue sur Terre et est-elle un phénomène banal ou exceptionnel dans l'univers ? Ces dix dernières années, la recherche scientifique a révolutionné notre compréhension de ces enjeux fondamentaux, révélant que les briques de la vie pourraient être bien plus répandues dans le cosmos que nous l'imaginions.
Des molécules organiques dans les berceaux stellaires
En 2015, une découverte majeure a marqué un tournant dans notre compréhension de l'origine de la vie. Grâce au radiotélescope ALMA, une équipe internationale a détecté pour la première fois des molécules organiques complexes dans les disques protoplanétaires qui entourent les jeunes étoiles. Ces concentrations s'avéraient similaires à celles observées dans les comètes de notre système solaire (voir l'étude). Cette révélation suggère que la glace protoplanétaire regorge de composés organiques sophistiqués, que les comètes pourraient par la suite transporter vers les planètes en formation.
La même année, une autre équipe de chercheurs a scruté l'étoile MWC 480, située à 455 années-lumière de nous. Leurs observations ont révélé d'énormes quantités d'acétonitrile (CH3CN), une molécule complexe associant carbone et cyanure d'hydrogène. Comme l'explique Karin Öberg, astronome et auteur principal de l'étude : « L'étude des comètes et des astéroïdes montre que la nébuleuse solaire qui a engendré le Soleil et les planètes était riche en eau et en composants organiques complexes. Notre étude démontre cette fois que cette chimie existe ailleurs dans l'Univers, dans des régions qui peuvent former des systèmes solaires pas forcément différents du nôtre » (Voir Nature, 2015).
L'asymétrie de la vie dans l'espace
En juin 2016, une découverte particulièrement significative a été réalisée dans Sagittarius B2, l'un des plus vastes nuages moléculaires de notre galaxie. Des scientifiques américains y ont détecté l'oxyde de propylène, une molécule chirale composée de 3 atomes de carbone, 1 d'oxygène et 6 d'hydrogène. Cette caractéristique chirale - une asymétrie structurelle comparable à celle qui distingue la main droite de la main gauche - s'avère essentielle dans les processus biologiques. Brandon Carroll, chercheur au California Institute of Technology, souligne l'importance de cette trouvaille : « C'est l'une des molécules les plus complexes détectées à ce jour dans l'espace interstellaire » (Voir Science, 2016).
Encelade : un laboratoire chimique inattendu
L'année 2018 a apporté une surprise de taille avec la découverte de composés organiques complexes dans l'océan souterrain d'Encelade, petite lune de Saturne de seulement 500 kilomètres de diamètre. La sonde Cassini avait collecté en 2015 des échantillons organiques piégés dans la glace, propulsés dans l'espace par de puissants geysers. Ces molécules résulteraient d'une intense activité hydrothermale générant une chimie sophistiquée dans le noyau de ce satellite. Plus remarquable encore, Cassini a également détecté de l'hydrogène moléculaire lors de son survol des panaches en 2015, relançant les spéculations sur l'éventuelle présence de microbes sur cette étrange lune (Voir Nature, 2018).
Une richesse moléculaire insoupçonnée
En 2021, une vaste collaboration internationale s'est penchée sur cinq étoiles en formation, analysant la composition de leurs disques protoplanétaires grâce au radiotélescope ALMA. Les résultats ont dépassé toutes les attentes : ces disques regorgeaient d'éléments lourds et de molécules organiques en quantités bien supérieures aux prévisions. « Ces disques formant des planètes regorgent de molécules organiques, dont certaines sont impliquées dans les origines de la vie ici sur Terre », explique Karin Öberg du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics (Voir ALMA Maps).
Les briques de l'ADN venues de l'espace
Mai 2022 a marqué une étape décisive avec les travaux du professeur Yasuhiro Oba de l'université d'Hokkaido. Son équipe a formellement identifié, pour la première fois, des traces de cytosine et de thymine dans trois météorites carbonées. Ces deux bases azotées, essentielles à la structure de l'ADN, renforcent considérablement l'hypothèse d'une contribution extraterrestre à l'apparition de la vie terrestre. Bien que des traces d'acides nucléiques aient été détectées dans des météorites dès la fin des années 1960, cette identification précise de la cytosine et de la thymine constitue une avancée majeure. « On ne pourra sans doute jamais prouver que la vie est née de composants venus de l'espace », précise le Professeur Oba, « mais on sait à présent que cette hypothèse est plausible car de nombreuses molécules organiques présentes sur la Terre avant la naissance de la première vie ont pu être apportées par des météorites » (Voir Nature Communications, 2022).
L'assemblage des protéines dans le vide spatial
Début 2023, des chercheurs de Lyon et Grenoble ont franchi une nouvelle étape en démontrant que même dans les conditions extrêmes de l'espace, deux molécules de glycine - le plus petit acide aminé existant - peuvent s'assembler avec un faible apport d'énergie pour former un dipeptide, libérant une molécule d'eau au passage (Voir Journal of Physical Chemistry A, 2023). Cette découverte renforce l'hypothèse selon laquelle les chaînes d'acides aminés nécessaires à l'apparition de la vie auraient pu se former directement dans l'espace.
En mai 2023, l'équipe de Susana Iglesias-Groth de l'Instituto de Astrofísica de Canarias a réalisé une découverte historique en détectant le tryptophane dans le nuage moléculaire de Persée, plus précisément dans l'amas IC 348. Cet acide aminé, l'un des 20 considérés comme essentiels à la formation des protéines, n'avait jamais été observé dans le milieu interstellaire malgré des décennies de recherche. « La découverte du tryptophane dans l'espace montre que les agents de construction des protéines, qui sont essentiels au développement des organismes vivants, existent naturellement dans les régions où les étoiles et les systèmes planétaires se forment », souligne Susana Iglesias-Groth. « Cela suggère que la vie dans notre galaxie est peut-être bien plus courante que nous n'aurions pu le prévoir » (Voir Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 2023).
Le méthyle cation : catalyseur de la complexité
Juin 2023 a apporté une révélation surprenante sur le rôle des rayonnements cosmiques. L'équipe d'Olivier Berné, de l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse, a réussi à détecter dans la Nébuleuse d'Orion le méthyle cation (CH3+), une molécule longtemps recherchée pour son rôle capital dans la chimie extraterrestre. Cette molécule favorise la formation de composés carbonés plus complexes et sa détection révèle que les rayonnements ultraviolets, loin d'être uniquement destructeurs, peuvent dans certaines conditions stimuler la production de briques moléculaires essentielles. « Les ultraviolets pourraient bien jouer un rôle essentiel dans les premières étapes chimiques de l'origine de la vie en contribuant à la production de CH3+ », précise Olivier Berné (Voir Nature, 2023).
La pantéthéine : une synthèse prébiotique révolutionnaire
Mars 2024 a été marqué par une avancée spectaculaire réalisée par l'équipe de Matthew Powner à l'University College de Londres. Ces chercheurs ont réussi à synthétiser la pantéthéine, composant actif de la coenzyme A indispensable à de nombreuses réactions vitales. Leur approche, inspirée par l'hypothèse que la vie primitive serait apparue dans des flaques d'eau ou de petits lacs, a consisté à mélanger des composés simples comme le cyanure d'hydrogène et des nitriles riches en azote. Contre toute attente, cet assemblage a spontanément généré de la pantéthéine à température ambiante.
Cette expérience, qui évoque les célèbres travaux de Stanley Miller en 1953, a révélé un aspect révolutionnaire : contrairement à la vision traditionnelle d'une construction progressive par étapes successives, ces recherches suggèrent que de nombreux éléments constitutifs de la vie (protéines, ARN et autres composés) auraient pu émerger simultanément à partir des mêmes précurseurs chimiques dans des conditions environnementales identiques.
Mars : des indices de plus en plus probants
Mars 2024 a également livré ses secrets grâce au rover Curiosity, qui a identifié de longues chaînes moléculaires probablement dérivées d'acides gras. Ces molécules revêtent une importance particulière car elles sont présentes dans toutes les membranes cellulaires terrestres. L'analyse a révélé des acides gras comportant 11, 12 et 13 atomes de carbone - des structures qui jouent un rôle crucial en biochimie, notamment dans la composition des membranes qui séparent les organismes de leur environnement. Plus les molécules sont complexes, moins elles ont de chances d'être produites par un simple processus chimique, rendant cette découverte d'autant plus significative (Voir PNAS, 2024).
Le cycle de Krebs reconstitué dans la glace interstellaire
Avril 2024 a apporté une découverte révolutionnaire : des chercheurs du CNRS ont réussi à produire en laboratoire, en recréant les conditions de la glace interstellaire, des molécules impliquées dans le cycle de Krebs (ou cycle de l'acide citrique). Ce processus métabolique, découvert en 1937 par Hans Krebs, est fondamental pour la respiration cellulaire et produit l'énergie nécessaire au fonctionnement des cellules à partir de la dégradation du glucose (Voir PNAS, 2024).
Cette avancée soulève une question fascinante : si tous les composés nécessaires au déclenchement du cycle de Krebs peuvent être produits massivement dans certaines régions de l'espace interstellaire, pourquoi des formes de vie présentant un métabolisme similaire à celui de la Terre n'auraient-elles pas pu apparaître sur d'autres planètes ?
Les isotopes de méthanol : témoins de l'histoire cosmique
Les découvertes les plus récentes continuent d'enrichir ce tableau. Il y a quelques semaines, une équipe d'astronomes utilisant le télescope ALMA a détecté pour la première fois des isotopes de méthanol dans le disque protoplanétaire d'une étoile proche. Ces isotopes, dont la concentration peut être jusqu'à 100 fois inférieure à celle du méthanol standard, constituent des traceurs exceptionnels de l'histoire cosmique (Voir Astrophysical Journal Letters, 2024).
L'équipe, codirigée par le Centre d'astrophysique Harvard & Smithsonian, s'est concentrée sur le disque protoplanétaire de l'étoile HD 100453, située à environ 330 années-lumière de la Terre et possédant une masse 1,6 fois supérieure à celle du Soleil. Le méthanol, molécule organique alcoolique complexe qui entre dans la composition des acides aminés, avait déjà été repéré dans d'autres disques, mais c'est la première fois que ses isotopes sont identifiés dans un tel environnement (Voir Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics).
Alice Booth, qui a dirigé ces recherches, explique : « La découverte de ces isotopes de méthanol nous permet de retracer l'histoire cosmique des ingrédients nécessaires à la construction de la vie ici sur Terre ». Ces observations suggèrent que le disque de HD 100453 abrite probablement d'importantes quantités de molécules organiques, notamment des acides aminés simples et des sucres comme le glycolaldéhyde. Milou Temmink, de l'Observatoire de Leyde, coauteur de l'étude, souligne : « Cette recherche étaye l'idée que les comètes pourraient avoir joué un rôle majeur dans l'apport de matière organique importante à la Terre il y a des milliards d'années ».
LUCA : notre ancêtre commun plus ancien que prévu
Toutes ces avancées éclairent d'un jour nouveau l'émergence extraordinaire de la vie sur Terre. Elles permettent notamment de mieux comprendre l'apparition de LUCA (Last Universal Common Ancestor), notre premier ancêtre commun universel. Les dernières recherches situent son émergence il y a 4,2 milliards d'années, soit 400 millions d'années plus tôt qu'estimé précédemment et seulement 300 millions d'années après la formation de notre planète (Voir Université de Bristol).
Vers une vie cosmique généralisée ?
Le fait que le cosmos soit capable de produire massivement, même dans des conditions extrêmes, une multitude de molécules complexes nécessaires à la vie renforce considérablement l'hypothèse que la vie basée sur la chimie du carbone pourrait être relativement répandue dans l'univers. Dans notre seule galaxie, la Voie lactée, les estimations les plus conservatrices évaluent à au moins 500 millions le nombre de planètes potentiellement propices à la vie, sur environ 140 milliards d'étoiles.
Ces découvertes transforment notre perspective sur l'une des questions les plus fondamentales de l'humanité. Pour de nombreux scientifiques, l'interrogation n'est désormais plus de savoir si une vie extraterrestre existe, mais plutôt quand nous la découvrirons. L'univers nous révèle progressivement qu'il regorge des ingrédients nécessaires à l'émergence de la vie, suggérant que nous ne sommes peut-être pas seuls dans cette immensité cosmique.
René Trégouët
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
Rédacteur en Chef de RT Flash
e-mail : tregouet@gmail.com