Bien que cette année 2015 ne soit pas encore terminée, on peut déjà dire qu’elle aura été jalonnée par de nombreuses et remarquables avancées dans la lutte inlassable contre le cancer et, sans prétendre à une impossible exhaustivité en la matière, il est intéressant de rappeler ici quelques études et découvertes qui confirment que la cancérologie vit bien un tournant historique.
En début d’année, le nivolumab, premier traitement d’immunothérapie dans le cancer du poumon a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) aux Etats-Unis après les résultats encourageants des essais cliniques. Ce médicament inhibe un mécanisme cellulaire qui empêche le système immunitaire de se défendre contre les cellules tumorales. Aux Etats-Unis, le médicament est désormais autorisé dans le traitement de certains cancers du poumon (non à petites cellules), c’est la première fois qu’un traitement d’immunothérapie bénéficie de ce statut dans le cancer du poumon.
Associé à un nouvel inhibiteur de tyrosine kinase, le cabozantinib, le nivolumab permet également d’allonger sensiblement la durée de vie des malades atteints d’un cancer du rein métastatique, selon une étude qui vient d’être présentée à l’occasion du Congrès européen de cancérologie de Vienne, en Autriche
Au mois d’avril, des chercheurs de l'Institut neurologique de Montréal ont découvert un nouveau mécanisme à l'origine de la prolifération du cancer. Au départ, l’hypothèse des chercheurs était qu’une protéine courante présente dans les cellules humaines pourrait jouer un rôle important dans l'activation de la dissémination métastatique : Il s’agit de la protéine DENND2B, déjà connue pour son rôle dans la migration normale des cellules, au cours du développement de l'enfant.
Les chercheurs canadiens, dirigés par le professeur Peter McPherson, se sont concentrés sur son rôle, en cas de cancer, dans la migration cellulaire nécessaire à la dissémination métastatique. Ils ont pu montrer que DENND2B activait une autre protéine dans la cellule appelée Rab13, une enzyme qui favorise la migration des cellules malignes. Ces travaux ont confirmé le rôle-clé de Rab13 dans une forme très agressive de cancer du sein et ont montré que des souris, privées de Rab13, ne développent pas le cancer. L’enzyme Rab13 apparaît à la lumière de ces travaux comme une cible stratégique pour bloquer la formation de métastases. (Voir Eurekalert).
Toujours en avril dernier, une équipe de recherche de l'Institut Curie, dirigée par Catalina Lodillinsky, Philippe Chavrier, directeur de recherche au CNRS et Anne Vincent Salomon, a élucidé certains mécanismes développés par les tumeurs pour quitter leur foyer d’origine. A partir de l’analyse de 900 prélèvements de tumeurs du sein, ces recherches ont confirmé l'importance de la protéase MT1-MMP lors de la transition des cancers du sein in situ vers des formes invasives. Ces travaux ont également montré que l’extinction de MT1-MMP dans des modèles expérimentaux bloque la transition vers les formes tumorales agressives. Pour la première fois, le rôle de MT1-MMP est clairement mis en évidence dès le début du processus d’invasion des tumeurs du sein. Cette découverte ouvre de nouvelles pistes pour bloquer l’invasion tumorale (Voir Nature).
En juillet dernier, des scientifiques du Centre National de Recherches Oncologiques de Madrid (CNIO) ont, pour leur part, découvert une nouvelle stratégie pour combattre le cancer. Ces recherches montrent en effet, pour la première fois, que les télomères, séquences d'ADN sans significations précises protégeant les extrémités des chromosomes d'une perte d'information lors de la réplication des cellules, peuvent constituer une cible efficace pour bloquer certains cancers.
Jusqu'à présent, les différents essais in vitro et in vivo pour essayer de combattre le cancer en inhibant la télomérase des cellules tumorales ont été décevants. Mais des chercheurs du CNIO, dirigés par Maria Blasco, ont réussi à montrer que le blocage d'un gène, le TRF1, qui assure la survie des télomères et donc l'immortalité des cellules cancéreuses possédant ce gène, permet des améliorations drastiques sur des rats atteints du cancer du poumon. Selon ces chercheurs, TRF1 serait la première thérapie ayant le potentiel d'inhiber ces tumeurs à l'expansion très agressive, notamment parce qu'elle s’attaque aux cellules mères du cancer, responsables de la capacité de résistance et de réparation des tumeurs, après le traitement (Voir CNIO).
En France, il y a trois mois, des chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’Inserm sont parvenus à augmenter l’afflux des cellules immunitaires vers les tumeurs, afin que le système immunitaire bloque la croissance tumorale. Les chimiokines sont de petites molécules qui attirent les cellules immunitaires vers les tissus inflammatoires, par exemple lors du développement de tumeurs ou pendant une infection.
Ces travaux montrent que la prise orale d’un inhibiteur de l’enzyme de DPP4 ralentit le développement de plusieurs types de cancers murins. De plus, les auteurs ont montré que l’inhibition de DPP4 augmente l’infiltration des lymphocytes T dans les tumeurs, et que la combinaison de ce traitement innovant avec des immunothérapies existantes éradique la tumeur dans un modèle murin du cancer du côlon. Comme il existe déjà un médicament inhibiteur de DPP4, la sitagliptine, utilisée dans le traitement du diabète de type II, cette découverte devrait pouvoir rapidement se traduire par des essais cliniques chez l’homme (Voir Nature).
Autre découverte importante révélée en septembre dernier : à la Clinique Mayo de Jacksonville, en Floride, Panos Anastasiadis, le directeur du Département de Biologie du Cancer, et son équipe ont mis à jour le rôle des protéines d’adhésion dans les cellules, et plus particulièrement la caténine p120, qui semble jouer un rôle-clé dans le développement du cancer. Ces recherches ont montré que les cellules saines sont régulées par les microARN qui indiquent aux cellules de cesser leur réplication lorsqu’elles se sont suffisamment reproduites. La PLEKHA7 semble jouer un rôle important dans la réplication des cellules mais elle n’est pas présente dans les cellules cancéreuses. En la réintroduisant dans celles-ci, elles reviennent à leur état normal. (Voir Wired).
En matière thérapeutique, au début de ce mois, le géant pharmaceutique Roche a annoncé que l'atézolizumab, une molécule visant à stimuler le système immunitaire pour combattre un cancer, avait donné des résultats positifs lors d'essais sur des patients souffrant d'un cancer du poumon ou de la vessie.
Il faut également évoquer une autre molécule très prometteuse, baptisée ET-D5 et mise au point conjointement par l’Institut Curie et l’institut Fourrier de Grenoble. Cette molécule est le premier inhibiteur synthétique sélectif de la protéine phosphatase I. Elle possède une grande efficacité thérapeutique sur des cancers agressifs grâce à sa double action : anti-prolifération et anti-angiogenèse (elle bloque la formation des vaisseaux sanguins qui nourrissent la tumeur). La société qui développe cette molécule, Ecrins Therapeutices, espère pouvoir commencer les premiers essais cliniques sur 28 malades dès 2016…
Toujours à Grenoble, PDC line Pharma, société innovante de biotechnologie au stade clinique, a annoncé cet été que PDC vac, sa nouvelle classe de vaccins thérapeutiques anti-cancer basée sur une lignée de cellules dendritiques plasmacytoïdes, a obtenu la classification de médicament de thérapie innovante (MTI) par décision du Comité des thérapies innovantes (CAT) de l’Agence européenne des médicaments (EMA), en concertation avec la Commission européenne. Ce vaccin thérapeutique de nouvelle génération semble plus efficace que tous ceux actuellement utilisés ; il fait actuellement à Lyon l’objet d’essais cliniques de phase 1 pour le traitement du mélanome avancé et devrait pouvoir être utilisé contre de nombreux cancers.
Il y a un an, en octobre 2014, je faisais également état dans notre Lettre de la découverte d'une nouvelle molécule anti-cancéreuse prometteuse par un laboratoire pharmaceutique australien, Q-Biotics. Ce dernier avait montré l’action antitumorale chez l'animal d’une molécule, baptisée EBC-46, tirée des graines d’une euphorbiacée, Hylandia dockrillii, le blushwood berry, qui ne pousse qu’au nord de l’État du Queensland. Les premiers essais pré-cliniques sur l'homme viennent d'être réalisés à l'Institut Médical de Recherche Berghfoer de Brisbane, en Australie et les résultats sont prometteurs. Cette étude, dirigée par le Docteur Glen Boyle, a montré qu’une seule injection du médicament EBC-46 provoque la destruction rapide des tumeurs dans plusieurs types de cancers humains…(Voir QIMR Berghofer).
Cet extraordinaire potentiel pharmacologique de la nature, notamment dans les forêts et régions tropicales, vient encore d’être confirmé il y a quelques jours par des chercheurs strasbourgeois du CNRS. Dirigés par Laurent Désaubry, ceux-ci ont mis au point une molécule anticancéreuse qui, lors de tests sur des souris, a donné des résultats spectaculaires pour lutter contre les mélanomes métastasés, une forme de cancer au pronostic sombre.
Cette molécule, une flavagline, existe à l'état naturel dans l'écorce d'un arbuste d'Asie du sud-est - où elle fonctionne comme une sorte d'arme chimique puisqu'elle tue les larves qui rongent la plante - et est utilisée depuis longtemps dans la pharmacopée traditionnelle chinoise. La substance ainsi obtenue, administrée à des souris, a donné de très bons résultats pour retarder la croissance des tumeurs, sans entraîner d'effets secondaires, précise M. Désaubry, qui ajoute cependant qu’il faudra sans doute attendre quelques années avant que les essais cliniques puissent commencer chez l’homme.
Evoquons également une autre découverte surprenante, annoncée il y a quelques jours et qui montre à quel point la connaissance intime de mécanismes cellulaires à l’œuvre dans certaines pathologies apparemment très éloignées du cancer peut permettre de réaliser des avancées thérapeutiques majeures en cancérologie. Une équipe mixte des universités de Copenhague (Danemark) et de Colombie Britannique (Canada) a en effet identifié une protéine, baptisée VRA2, présente à la surface des globules rouges infestés par Plasmodium falciparum (le parasite vecteur du paludisme) qui se lie avec les cellules du placenta (Voir UBC News).
Or il se trouve que les cellules tumorales et placentaires présentent des caractéristiques communes : une croissance rapide et une propension à envahir les tissus voisins. Ali Salanti et ses collègues ont donc émis l'hypothèse que la protéine identifiée dans les cellules placentaires était également présente dans les cellules cancéreuses. Ils ont alors essayé d'associer une molécule anticancéreuse, l’hemiasterline, à celle-ci, dans l’espoir que celle-ci aille détruire directement les cellules tumorales chez des souris atteintes d'un cancer de la prostate métastasé. Le résultat a été très encourageant : in vitro, toutes les cellules cancéreuses au contact du couple VRA2-hemiasterline ont été détruites. En outre, chez des souris présentant un cancer du sein très métastasé, ce traitement a fait disparaître, en moins de deux mois, toute trace de métastase chez cinq des six souris traitées…
Mais la lutte contre le cancer passe également par la réévaluation du rôle de certains médicaments très anciens. Une équipe britannique du Crick Institut vient ainsi de montrer que l'association d’un peu d’aspirine à l’immunothérapie pourrait fortement en augmenter l’effet thérapeutique sur certains cancers. Ces travaux ont notamment montré que le blocage de l’enzyme COX à l'aide d'aspirine permet de réactiver le système immunitaire, d’améliorer l’efficacité de l’immunothérapie dans les cancers et in fine augmenter le contrôle tumoral (Voir Cell).
Une autre étude danoise, toujours sur l’aspirine, portant sur une population de 102.800 personnes adultes dont 10.280 étaient atteintes d'un cancer du côlon, a confirmé qu'une prise régulière et prolongée d’aspirine pendant au moins cinq ans pouvait réduire de 27 % les risques de développer un cancer du côlon. Enfin, une troisième étude néerlandaise portant sur plus de 13 000 patients, publiée il y a quelques semaines à l’occasion du Congrès européen de cancérologie (ECC 2015), a montré que la prise prolongée d’aspirine avait un effet protecteur important sur les tous les cancers gastro-intestinaux à l’exception de celui du pancréas (cancer du rectum, de l’œsophage, de l’estomac, des voies hépatiques, de l’intestin grêle et de l’anus). En effet, à 5 ans, la survie globale des patients nouvellement diagnostiqués qui ont utilisé ensuite quotidiennement de l’aspirine à faible dose était de 75 % contre 42 % pour le groupe comparateur.
Terminons enfin cet éditorial plein d’optimisme en évoquant deux nouvelles voies très prometteuses dans la lutte contre le cancer. La première concerne deux nouveaux outils extrêmement puissants, issu de la physique et des nanotechnologies. Aux Etats-Unis, une filiale du groupe français Areva est en train de développer un traitement inédit contre diverses formes de cancer. Ce procédé utilise le plomb 212, un sous-produit de l'exploitation de l'uranium qui, administré en infime quantité (de l’ordre du milliardième de grammes), s’avère capable de délivrer dans des temps très brefs une énergie considérable. Ce plomb 212 peut être associé à un anticorps afin de cibler et de détruire les cellules cancéreuses : c’est ce que l’on appelle l’alphathérapie. Areva devrait commencer dès 2016 la construction, près de Caen, d’une usine spécifiquement dédiée à la production du plomb 212 (Voir AREVA Med).
De son côté, La firme française Nanobiotix a commencé cet été, sur certains cancers du foie, les essais cliniques sur l’homme de son composant « vedette » NanoXray, NBTXR3, une innovation mondiale à base de nanoparticules d'oxyde d'hafnium qui permet d’amplifier considérablement, mais uniquement sur le site de la tumeur, les effets de la radiothérapie classique.
Enfin, la dernière voie de recherche qui est en train de véritablement révolutionner la lutte contre le cancer est celle liée à l’exploitation intelligente des « données massives » (Big Data) en biologie et en médecine. En mai dernier, le géant informatique IBM a ainsi annoncé qu’il avait conclu un partenariat scientifique inédit avec quinze des plus grands centres anticancéreux des États-Unis pour que ceux-ci puissent utiliser son super ordinateur cognitif « Watson » pour analyser de manière intelligente les résultats issus du séquençage personnalisé de la tumeur d’un malade et repérer très rapidement les corrélations dans les mutations génétiques entre le cancer d’un malade particulier et l’ensemble des mutations génétiques connues et répertoriées en cancérologie.
Grâce à sa puissance de calcul qui vient encore d’être augmentée et surtout à ses capacités déductives uniques, Watson est capable de réaliser de manière très fiable ce travail titanesque en seulement quelques minutes, ce qui ouvre la voie vers la conception et l’administration de traitements anticancéreux totalement personnalisés qui auront une efficacité thérapeutique bien plus grande qu’aujourd’hui et pourront en outre être modifiés et adaptés en permanence, en fonction de la réponse particulière du malade à sa thérapie.
Tous ces progrès extraordinaires réalisés par la science et la médecine au cours de cette seule année 2015 ne peuvent que nous conforter dans l’espoir, à présent raisonnable, que le cancer sera totalement vaincu au cours de ce siècle et que, à l’horizon 2030, il devrait être possible, compte tenu de l’accélération des découvertes et avancées thérapeutiques, de guérir ou de contrôler les trois quarts des cancers.
Dans cette lutte séculaire contre cet ennemi implacable, polymorphe et particulièrement retors, il est vital que les pouvoirs publics ne relâchent pas leurs efforts et que notre Pays continue à considérer la lutte contre le cancer comme un enjeu de société majeur, afin que les enfants qui naissent aujourd’hui, lorsqu’ils deviendront adultes, connaissent enfin le monde dans lequel le cancer, certes, continuera d’exister - car il est intimement lié à la vie elle-même - mais cessera enfin d’être mortel pour devenir une simple maladie chronique.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat