Après avoir été longtemps considérés comme des aliments très bénéfiques pour la santé et indispensables à un bon équilibre alimentaire, les produits laitiers font depuis quelques années l’objet de violentes attaques, souvent très médiatisées, de la part de certains courants de médecine alternative qui y voient, au mieux, une composante inutile de notre alimentation et au pire un « poison » qui serait responsable de tous les maux, des allergies au cancer, en passant par l’angine et la bronchite !
C’est dans ce contexte, où la passion et l’idéologie l’emportent souvent sur la raison et la science, qu’il y a quelques jours, une étude suédoise de grande ampleur, largement reprise et malheureusement déformée et simplifiée par les médias, est venue conforter l’hypothèse d’un possible lien entre une forte consommation de lait chez les seniors et un risque accru de fractures et de mortalité.
Cette étude publiée dans le British Medical Journal, s'appuie sur le suivi de plus de 60.000 femmes et 45.000 hommes. Dans ce travail, les chercheurs de l'Université d'Uppsala ont croisé la quantité de lait, de yaourt et de fromage, consommée quotidiennement par ces personnes, avec l'évolution de leur état de santé.
Les conclusions de ces recherches montrent que les femmes consommant au moins trois grands verres de lait par jour ont un risque relatif de décès de 90 % plus élevé et un risque de fracture de la hanche de 60 % plus élevé par rapport à celles qui boivent moins d'un verre par jour. Pour les hommes, un lien statistique entre une grande quantité de lait consommé et le risque de décès est également observé mais il est beaucoup plus faible que chez les femmes. Selon cette étude, la transformation par l’intestin du lactose (présent dans le lait mais pas dans les fromages et les yaourts), en D-galactose pourrait être à l’origine de ce risque accru, notamment chez les femmes.
Mais, comme souvent dans ce type d’étude épidémiologique, le diable se cache dans les détails et plusieurs scientifiques reconnus ont pointé du doigt les faiblesses et les biais méthodologiques de ce travail. Le Professeur Bourre, membre de l'Académie nationale de médecine et auteur du livre « Le lait : vrais et faux dangers », souligne par exemple que ce travail, « est en contradiction avec une vingtaine d'études précédentes » et rappelle judicieusement que, « la consommation élevée sur laquelle se basent les conclusions de cette étude correspond à plus 830 g de lait, soit huit fois la consommation moyenne française actuelle, qui tourne autour de 100 grammes par jour ».
Ce scientifique souligne également que cette étude ne prend pas en considération le fait que le lait, dans les pays nordiques, est souvent suppléé en vitamine A. Or, il a été montré qu’une consommation excessive de cette vitamine peut être associée à un risque accru pour certains cancers.
Jean Ferrières, spécialiste de la nutrition et de l'épidémiologie des maladies cardiovasculaires à l’Inserm, rappelle pour sa part que le contexte de cette étude n’est pas transposable à la situation française. « Ces recherches ont en effet porté sur la période 1987-1990, pour les femmes. Mais aujourd'hui qui boit encore trois verres de lait par jour ? », souligne ce chercheur qui rappelle que, contrairement à beaucoup d’idées reçues, la consommation de lait a baissé de 17 % en France au cours des 15 dernières années.
Pour le Professeur Bourre, s’appuyer sur cette étude pour exclure le lait de notre alimentation quotidienne n’est pas justifié et celui-ci recommande la consommation quotidienne de trois produits laitiers. Ce scientifique souligne qu’on peut effectivement trouver du calcium dans d'autres aliments que les produits laitiers mais rappelle que ceux-ci peuvent très difficilement couvrir plus de la moitié de nos besoins journaliers car il est rare qu’ils présentent à la fois une teneur en calcium et un taux de biodisponibilité de ce calcium aussi grands que ceux des produits laitiers.
Par exemple, la rhubarbe contient environ 350 mg de calcium par tasse, contre 300 mg par tasse de lait. Mais comme la biodisponibilité de ce calcium n’est que de 8,5 %, contre 31 % pour le lait, il faut manger plus de 4 tasses de rhubarbe pour que notre organisme absorbe autant de calcium qu'en consommant une seule tasse de lait.
En France, une vaste étude, baptisée MONA-LISA-NUT, et portant sur 3078 Français des deux sexes, âgés de 35 à 64 ans, a été présentée aux Journées européennes de la Société française de cardiologie. Ce travail montre que le risque de mortalité cardio-vasculaire à dix ans est diminué de 30 % chez les plus grands consommateurs de produits laitiers frais par rapport aux plus petits. « Cette réduction est essentiellement imputable à un niveau de cholestérol LDL (le mauvais cholestérol) plus faible », souligne le cardiologue Jean Ferrières, de l’Inserm.
Ces résultats confortent ceux de l’étude MONICA (Monitoring of trends and determinants of cardiovascular diseases), qui a montré, après quinze années de suivi de 976 hommes, que la mortalité, toutes causes confondues, était réduite de 39 % pour les buveurs de lait, de 51 % pour les consommateurs de yaourt et de fromage blanc et de 39 % pour les consommateurs de fromages.
Selon une autre récente étude dirigée par Johan Auwerx (EPFL de Lausanne) et publiée en 2013 dans la revue Cell Metabolism, le lait contiendrait une vitamine, la nicotinamide riboside, qui empêcherait de prendre du poids de manière excessive et ce, même en suivant un régime très calorique. Des chercheurs de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (Suisse) ont en effet découvert que ce composant du lait stimule un gène qui agit sur le métabolisme et sur la longévité (Voir EPFL).
Ces recherches ont notamment permis de montrer sur des souris de laboratoire que les animaux consommant beaucoup de lait perdaient davantage de poids que les autres, à apport calorique identique. Les souris qui avaient été soumises à un régime laitier avaient en outre une efficacité musculaire augmentée et semblaient, contrairement à leurs congénères privés de lait, protégées contre le diabète...
Ces résultats sont à rapprocher d’une autre étude présentée il y a quelques semaines, à l’occasion du Congrès annuel de l'Association européenne d'étude du diabète, en Autriche. Ces travaux suédois dirigés par Ulrika Ericson ont porté sur 27 000 adultes suivis pendant 14 ans ; ils ont montré que la consommation de 8 portions de produits laitiers par jour diminuerait le risque de diabète 2 de 23 % (voir Science Daily).
Quant à l’impact de la consommation de produits laitiers en matière de cancer, il a fait l’objet d’un colloque européen très intéressant à Paris en juin 2013. Au cours de ces rencontres, les spécialistes venus de différents pays se sont accordés sur le fait que, dans l’état actuel de nos connaissances scientifiques et si on s'en tient aux quantités recommandées, la consommation de produits laitiers diminue sensiblement les risques de cancer colorectal et cancer de la vessie et n’augmente pas le risque de cancer du sein. En revanche il semble que le risque de cancer de la prostate soit légèrement augmenté (+ 12 %) chez les hommes très gros consommateurs de produits laitiers.
Afin d'évaluer le lien entre la consommation de calcium et de vitamine D et le risque de cancer colorectal, des chercheurs de l'Université de Hawaii ont mené une étude portant sur 85.903 hommes et 105.108 femmes, âgés de 45 ans et plus, recrutés entre 1993 et 1996. Tous les participants ont été invités à remplir un questionnaire sur leur alimentation. A la fin de l'année 2001, 2.110 volontaires (1.138 hommes et 972 femmes) avaient développé un cancer colorectal.
Après une analyse statistique, les chercheurs hawaïens ont montré que la consommation totale de calcium -issu des aliments et des compléments nutritionnels- des volontaires s'est avérée inversement proportionnelle au risque de développer un cancer colorectal.
Les hommes ayant la consommation la plus élevée de calcium ont ainsi présenté un risque réduit de 30 % de développer un cancer colorectal par rapport aux hommes ayant la consommation la plus faible. Chez les femmes, cette différence de risque entre les grandes et les petites consommatrices de calcium s'est élevée à 36 %.
Ces résultats confirment le rôle protecteur exercé par le calcium, la vitamine D et les produits laitiers contre le risque de cancer colorectal, concluent les auteurs. Une méta-analyse publiée en février 2007 dans la revue "American Journal of Preventive Medicine" avait déjà montré que la consommation quotidienne d'une forte dose de vitamine D (de 1.000 à 2.000 UI) réduisait le risque de développer un cancer colorectal.
Bien entendu, comme n’importe quel autre aliment, le lait et ses dérivés ne conviennent pas à tout le monde. Mais là encore, il faut rappeler quelques vérités. L'intolérance au lactose et l'allergie sont deux phénomènes différents. L’intolérance concerne l'expression du gène de l'enzyme qui dégrade le lactose, le sucre du lait. Elle n’empêche pas une consommation modérée de lait et surtout elle ne s’oppose pas à la consommation de yaourts ou de fromages, qui ne contiennent pas de lactose. En revanche, l'allergie aux protéines de lait de vache relève du système immunitaire mais elle concerne moins de trois pour cent des jeunes enfants et disparaît spontanément chez 80 pour cent d'entre eux dès l'âge de trois ans.
Il faut enfin souligner que, contrairement à ce qu’affirment les opposants irréductibles aux produits laitiers, plusieurs études et fouilles archéologiques récentes ont montré que le lait et ses dérivés sont consommés par l’homme, dans certaines régions du monde et notamment au Proche-Orient et en Europe , depuis le néolithique, il y a 9 000 ans. En analysant les lipides emprisonnés dans l’argile de poteries retrouvées au centre de la Pologne, grâce à une méthode isotopique mise au point par Richard Evershed, de l’Université de Bristol, une équipe internationale de recherche a même pu prouver en 2012 que l’homme savait déjà fabriquer du fromage blanc il y 7000 ans ! « Nos résultats démontrent de manière très solide que des produits laitiers à teneur réduite en lactose, comme le fromage, étaient déjà consommés 5 000 ans avant notre ère », précise Peter Bogucki, coauteur de l’étude, qui ajoute « Comme la plupart des humains n’étaient pas tolérants au lactose à cette époque, manger du fromage leur permettait d’accéder aux qualités nutritionnelles remarquables du lait sans être malade ».
Loin de se contenter, comme on l’a cru très longtemps, d’un élevage « primaire », uniquement centré sur la consommation de la viande des animaux, les hommes du Néolithique avaient su également développer une maîtrise remarquable de la production laitière, comme le montre l’excellent article intitulé "L'histoire de l'utilisation du lait au néolithique".
Que nos concitoyens se rassurent : le lait, présent dans la vie des hommes depuis des temps immémoriaux, reste, sous ses différentes formes, un aliment savoureux et bénéfique pour leur santé et leur forme. Sauf exceptions liées à des allergies, intolérances ou pathologies particulières, il n’y a pas de raison de vouloir, au nom de je ne sais quel intégrisme alimentaire ou arguments irrationnels, le bannir de notre alimentation. Nous pourrons donc, longtemps encore, savourer sans crainte le goût inimitable de nos 400 fromages qui, comme le disait le Général De Gaulle, font de la France un pays si difficile à gouverner…
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat