Noyées dans le flux médiatique mondial, deux informations publiées il y a quelques jours sont passées pratiquement inaperçues. Elles auraient pourtant largement mérité d’être reprises par les médias et largement diffusées auprès du grand public.
La première émane d’une organisation internationale à la compétence reconnue, l’Organisation météorologique mondiale. Selon cette instance scientifique, 2012 est l'une des années les plus chaudes jamais enregistrées et se place au neuvième rang, en termes de températures mondiales, depuis le début des relevés, il y a 163 ans.
Conséquence directe de ce réchauffement accéléré : la banquise arctique se réduit comme peau de chagrin et sa surface en été est à présent descendue à 3,3 millions de km2, un chiffre inférieur de près de 20 % à la précédente fonte la plus importante en 2007.
La deuxième information émane du Mauna Loa Observatory, un laboratoire américain qui analyse avec la plus grande rigueur depuis 50 ans l’évolution de la concentration de CO2 dans l’atmosphère terrestre. Selon cet organisme, la concentration dans l’atmosphère du dioxyde de carbone devrait atteindre ce mois-ci la valeur de 400 ppm (parties par million), contre 316 ppm en 1958 (première année des mesures) et 280 ppm avant la révolution industrielle.
Ce laboratoire souligne que ce rythme d’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère (en hausse de 43 % depuis deux siècles) est sans précédent et que ce niveau de concentration, jusqu’au début du XIXe siècle, n’avait jamais dépassé les 300 ppm au cours des 800 000 dernières années !
Parallèlement, les données publiées par l’Agence Internationale de l’Energie nous apprennent qu’en valeur absolue, les émissions mondiales de CO2 liées à l’utilisation des énergies fossiles ont augmenté de 44 % depuis 20 ans.
Les émissions humaines de gaz à effet de serre, calculées en équivalent CO2, dépassent à présent les 50 milliards de tonnes par an (dont 34 milliards de tonnes de CO2) et on estime qu'elles ont été multipliées par 10 depuis un siècle.
60 % de ces émissions humaines de gaz à effet de serre proviennent à présent des pays émergents et la Chine à elle seule représente désormais 30 % des émissions mondiales de CO2.
Malgré un plafonnement ponctuel lié à la crise économique mondiale, ces émissions de gaz à effet de serre, loin de ralentir leur progression, continuent à augmenter au rythme de 2,5 à 3 % par an.
Cette évolution préoccupante, pour ne pas dire catastrophique pour l’environnement et le climat, est largement liée au retour en force d’une source d’énergie que beaucoup associent encore à tort au passé et aux belles heures de la révolution industrielle : le charbon.
Il faut en effet savoir que le charbon représente à présent 45 % des émissions mondiales de CO2 liées à la consommation d’énergie et entre pour 40 % dans la production mondiale d’électricité.
Dans un rapport publié en décembre 2012, l’Agence Internationale de l’Energie prévoit une augmentation de 16 % de la part du charbon dans le bouquet énergétique mondial d’ici 2017. Selon ces prévisions, dans cinq ans, le charbon aura pratiquement rejoint le pétrole en termes de consommation mondiale et devrait représenter 4, 32 milliards de tonnes équivalent-pétrole, contre 3, 72 en 2010.
Actuellement, le charbon représente déjà 28 % de la consommation énergétique mondiale et cette part ne cesse d’augmenter pour une raison essentielle, la croissance chinoise. Il faut en effet savoir que le charbon représente à présent les deux tiers de la consommation énergétique chinoise et que la Chine consomme à elle seule près de la moitié du charbon mondial.
Comme le rappelait récemment une étude du MIT, il ne faut pas se laisser abuser par le relatif développement des énergies renouvelables en Chine et il faut se souvenir que les ordres de grandeur en termes de production ne sont pas les mêmes !
Par exemple, pour la seule année 2010, la Chine a ouvert autant de centrales thermiques au charbon que l’ensemble des centrales de ce type en fonctionnement au Texas et dans l’Ohio, ce qui donne une idée du type de développement énergétique mis en œuvre par la Chine. Il est d'ailleurs frappant de constater que la Chine est devenue non seulement, de loin, le plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète (environ 8 gigatonnes de CO2 par an) mais qu'un Chinois émet à présent autant de CO2 par an qu'un Européen (environ 7 tonnes) !
Le problème est que, selon l’AIE et l’OCDE, le prix moyen du charbon s’est effondré au niveau mondial depuis cinq ans, passant de 200 à 95 dollars la tonne, ce qui ramène le kilowatt-heure produit par du charbon à environ un cent (0,01 dollar). Cette chute brutale du prix du charbon a évidemment provoqué une forte hausse de la demande mondiale, notamment dans les pays d’Asie.
Sur les 10 dernières années, comme le montrent les études de l’AIE, la part de la production électrique assurée par le charbon a augmenté de 2 700 térawattheures (TWh) alors que celle provenant des sources d’énergie non fossiles, incluant le nucléaire, n’a progressé que de 1 300 TWh.
Finalement, la quantité de carbone émis par unité d’énergie consommée a augmenté en moyenne mondiale depuis 10 ans alors qu’elle aurait dû décroître régulièrement (il faudrait fermer en moyenne une centrale au charbon par semaine dans le monde d’ici 2020) pour satisfaire aux objectifs de stabilisation du réchauffement climatique en 2050.
D’ici 2040, la consommation mondiale de charbon pourrait augmenter de 60 %, essentiellement pour assurer la production mondiale d’électricité. Or, il faut rappeler qu’une grosse centrale thermique fonctionnant au charbon émet plus de 6 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions de CO2 de 2 millions de véhicules.
Quant aux technologies supposées permettre la capture et la séquestration du CO2 à la source et rendre l’utilisation du charbon « propre », elles existent en laboratoire mais leur coût est bien trop prohibitif pour être compétitives dans un contexte de marché énergétique mondial extrêmement concurrentiel.
Face à cette évolution extrêmement préoccupante, nous devons nous interroger sur nos choix énergétiques en repensant les termes de l’équation énergétique mondiale.
Cette équation a en effet été totalement bouleversée par un événement que personne n’aurait pu prévoir il y a seulement 10 ans : l’explosion de la production des ressources fossiles non conventionnelles et notamment du pétrole et du gaz de schiste.
La production mondiale de gaz de schiste, qui représente déjà plus de 15 % de la production gazière totale de la planète, représentera un tiers de cette production mondiale dans 20 ans.
Rien qu’aux États-Unis, cette production a été décuplée, passant de 20 à 200 milliards de mètres cubes par an ! Selon l’AIE, les États-Unis devraient d’ailleurs devenir un exportateur net de gaz à l’horizon 2025 et un exportateur net de pétrole à l’horizon 2030, devenant alors autosuffisant sur le plan énergétique !
Mais cette extraordinaire montée en puissance du gaz et du pétrole non conventionnels perturbe complètement l’équilibre énergétique mondial. L'une des conséquences majeures de ce phénomène est que les États-Unis substituent massivement ce gaz de schiste au charbon et au pétrole pour la production de leur électricité. En seulement cinq ans, la part du charbon dans la production électrique américaine a chuté de 48 à 37 % pendant que celle du gaz de schiste progressait de 21 à 31 %.
En outre, cette montée en puissance du gaz de schiste au niveau américain et mondial entraîne un effondrement du prix moyen du charbon et une stabilisation du cours du pétrole. Elle éloigne également le spectre d'un épuisement rapide des réserves d'énergie fossile.
Mais cette redistribution de la donne énergétique mondiale, qui va encore s’amplifier avec l’exploitation industrielle à présent prévisible des hydrates de méthane sous-marins, a une autre conséquence très inquiétante pour la planète : elle rend sensiblement plus attractive l’utilisation massive des énergies fossiles pour les pays émergents et, corrélativement, rend beaucoup moins incitatif et rentable, pour ces pays comme pour les pays développés, le passage aux énergies renouvelables non émettrices de gaz à effet de serre.
Résultat de ce basculement économique, les objectifs mondiaux de réduction massive des émissions de gaz à effet de serre et de stabilisation du climat, après un réchauffement inévitable d’au moins 2°C, ont été relégués à l’arrière-plan et n’ont pas résisté à l’impérieux besoin de nourrir en énergie la croissance et le développement économiques dans de vastes régions du monde et notamment en Asie.
Bien peu de responsables scientifiques et politiques pensent aujourd’hui qu'il est encore possible de limiter à 2°C le réchauffement climatique mondial à l’horizon 2050, tant le rythme de l’effort à accomplir en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre pour parvenir à cet objectif semble à présent impossible à tenir.
On voit en effet mal comment, alors que nous ne parvenons même pas à stabiliser ces émissions et que celles-ci continuent à augmenter au rythme soutenu de 3 % par an, nous pourrions parvenir à diminuer de moitié ces émissions d’ici 2050 si nous restons dans le schéma actuel de réflexion et d’action.
Quant au système faisant intervenir le marché dans le cadre d’un échange de quotas d’émissions de CO2, il a montré ses limites et ses insuffisances, notamment en Europe ou pour différentes raisons le prix de la tonne de carbone s’est littéralement effondré depuis cinq ans, passant de 30 à 8 dollars.
Si nous voulons accélérer la transition énergétique mondiale en favorisant massivement les énergies renouvelables et en priorisant, pour une période transitoire, les énergies fossiles les moins émettrices de gaz à effet de serre, c’est-à-dire le gaz par rapport au pétrole et au charbon, nous devons concevoir à trois niveaux d’organisation, national, continental et mondial, un nouveau cadre d’échanges économiques financiers et commerciaux qui place les choix énergétiques au cœur nos politiques économiques et fiscales.
Au niveau international, nous devons notamment mettre en place sans tarder une taxe carbone universelle, dont le montant sera bien sûr modulé en fonction de la zone géographique d’application mais dont le principe permettra de disposer d’un puissant levier permettant la décarbonatation de l’économie mondiale.
Une part importante du revenu généré par cette taxe devrait être redistribuée sous forme de subventions aux formes d’énergie les moins émettrices de gaz à effet de serre et notamment l’énergie solaire et éolienne et la production propre d'hydrogène.
Parallèlement, les différentes formes de subventions publiques directes et indirectes dont bénéficient les énergies fossiles et qui représentent, selon le MIT, un montant de plus de 500 milliards de dollars par an au niveau mondial, seraient progressivement diminuées de façon à arriver au coût économique et écologique réel des énergies fossiles.
Il faut également que l’ensemble des aides et prêts alloués aux pays en voie de développement soient conditionnés à des critères de «décarbonisation » vérifiables, de la part des pays bénéficiaires, soit en matière de production énergétique, soit en matière de protection des forêts et de choix agricoles.
Au niveau national, la France a la chance de disposer d’un cadre géoclimatique exceptionnel qui lui permet de développer simultanément et de manière synergique quatre sources d’énergie renouvelable : l’éolien (principalement marin à présent), le solaire, la biomasse et les énergies marines.
En nous appuyant sur ce cadre et en nous inspirant du volontarisme politique mis en œuvre en Allemagne et dans les pays scandinaves, nous devons revoir à la hausse nos objectifs de transition énergétique et atteindre, dès 2030, un tiers de notre consommation énergétique totale (aujourd’hui 280 millions de tonnes d’équivalent pétrole), provenant des énergies renouvelables. Une deuxième étape visant à produire plus de la moitié de notre énergie sans émissions de gaz à effet de serre pourrait être également envisagée dès à présent pour 2040.
L’une des clés de voûte de cette nouvelle feuille de route ambitieuse pourrait être d’accélérer la révolution énergétique dans le bâtiment. À cet égard, une remarquable étude d’ERDF, dont la synthèse a été publiée en juillet 2008 par la revue « Futuribles », a montré qu’il était tout à fait envisageable et réaliste de répondre, d’ici 2050, à la totalité des besoins énergétiques de notre parc de bâtiments (résidentiels, industriels et tertiaires) sans recourir aux énergies fossiles.
Enfin, la France qui possède un savoir-faire technologique mondialement reconnu et un domaine océanique considérable (plus de 10 millions de kilomètres carrés), doit amplifier ses efforts de recherche à long terme dans quatre directions : l’exploitation propre des hydrates de méthane sous-marin, qui constitue l’une des prochaines révolutions énergétiques, l’exploitation des sources naturelles d’hydrogène, qui va être un enjeu stratégique et technologique majeur de ces prochaines décennies, le maintien de sa position d’excellence dans la recherche visant à contrôler la fusion thermonucléaire et enfin la poursuite de son effort dans la maîtrise du nucléaire de quatrième génération (réacteurs à neutrons rapides) qui ouvre la voie à la suppression définitive de la question du retraitement et du stockage à long terme des déchets très radioactifs.
Souhaitons que notre Pays prenne bien la mesure des nouveaux enjeux énergétiques, économiques et écologiques qui se dessinent et s'affranchisse des visions idéologiques simplistes et réductrices pour devenir une référence, au niveau mondial, de transition énergétique réussie, conciliant réalisme économique, excellence technologique et impératif écologique et environnemental.
Si ces divers défis sont relevés par la France et l’Europe, j’en suis convaincu, il n’en sera pas de même pour le reste du Monde. Or, l’avenir de notre planète ne dépend pas de la seule Europe. Tout au contraire, sa part dans l’évolution mondiale du réchauffement climatique ne va faire que décroître, malheureusement. Aussi, il est tout à fait crédible d’affirmer, aujourd’hui, en 2013, que l’Humanité ne pourra pas limiter à 2°C le réchauffement climatique à l’horizon 2050.
Nos contemporains n’ont pas encore pris conscience des conséquences graves qu’auront ces phénomènes de la Nature sur la vie de nos enfants et petits-enfants.
Et ce sont encore les populations les plus faibles et les plus pauvres de notre planète qui en souffriront le plus.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat