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Edito : Nouvelle économie : le temps des discours est maintenant terminé, il faut passer à l'action

Il faut tout entreprendre pour interrompre cette plongée vers les abysses. L'Europe avait la capacité de connaître plusieurs années de croissance soutenue comme avaient su si bien le faire les Etats-Unis pendant toute la décennie qui vient de s'achever. Malheureusement, des décisions regrettables prises au milieu de l'année dernière par les Gouvernements des principaux pays européens (Grande Bretagne, Allemagne, France) lors du lancement des enchères ou des concours de beauté de l'UMTS ont gravement enrayé la mécanique. On ne mobilise pas ainsi, globalement, plus de 2000 milliards sur des technologies qui ne fonctionnent pas encore et dont on n'a pas validé l'acquisition des usages par les utilisateurs potentiels sans que cela ne provoque une série de réactions en chaîne qui, maintenant, secouent durement l'ensemble de la nouvelle économie. e 27 janvier dernier, je proposai à nos gouvernants d'avoir le courage d'arrêter toutes les procédures concernant l'attribution des fréquences UMTS pour voir auparavant si ces technologies fonctionnent et s'il existe un réel marché solvable.

(voir édito n° 131 http://www.tregouet.org/lettre/index.html)

Malheureusement, comme chacun le sait, ce conseil ne fut pas écouté et nous avons constaté quelques jours plus tard qu'il n'y avait que deux candidats là où quatre licences étaient proposées. Aujourd'hui, en observateur lucide et responsable, je suis obligé de dire à nos gouvernants que le fait d'arrêter les procédures ne serait plus suffisant si nous voulons stopper cette chute vertigineuse et faire retrouver, enfin, l'espérance à l'ensemble de la nouvelle économie. Pour que la ligne d'horizon se dégage, il est nécessaire que la France engage un effort sans précédent pour que nos concitoyens entrent, enfin, dans ce monde nouveau. En dehors des problèmes culturels qu'il est nécessaire de prendre en considération pour que les Français acquièrent les usages liés à ces technologies nouvelles et qui nécessitent un effort de communication et de pédagogie considérable et soutenu, nous savons qu'il est indispensable de faire sauter, au préalable, deux verrous que personne et surtout pas ceux qui nous gouvernent ne doivent ignorer : celui du prix d'accès à Internet et celui du haut débit. Beaucoup de modèles économiques sur lesquels ont souvent été assis les scenarii économiques des enchères de l'UMTS ont osé penser que les utilisateurs de ces nouvelles techniques seraient prêts à dépenser chaque mois 400 sinon 500 Francs pour accéder à Internet sur leur téléphone mobile ! Quel technocrate irréaliste a pu imaginer cela ? Une étude récente de l'IDATE vient encore de confirmer que les Français s'engageront clairement et massivement pour accéder à Internet quand il ne leur faudra dépenser, au plus, que 150 Francs par mois (23 Euros) et ce encore à la condition qu'ils disposent d'un réel large débit garanti et d'un temps de connexion forfaitisé et illimité. Or, quand nous constatons, dans les rares endroits où cela est aujourd'hui possible, qu'il faut à un internaute dépenser 300 à 400 Francs pour disposer d'un large débit, rarement garanti et ce parfois pour des volumes limités, nous prenons conscience du chemin qu'il reste à parcourir. Deuxième condition : pour adhérer franchement, il faut que les Français puissent disposer de connexions à haut débit. Or, plus nous avançons dans l'analyse des techniques nouvelles (ADSL, Câble, BLR et UMTS), plus nous constatons que leur mise en place coûtera beaucoup plus cher que prévu et même que pour certaines d'entre elles (les technologies radio) les performances réelles ne sont pas au niveau des espérances. Pour être plus exacts, nous devrions dire que les promesses faites par les constructeurs, en tête desquels nous retrouvons Ericsson et Nokia, promesses techniques et financières sur lesquelles se sont appuyés les opérateurs pour arrêter leur business-plan et les gouvernements pour prendre leur décision, ne sont pas tenues, et il s'en faut de beaucoup. Au niveau des coûts, les opérateurs constatent qu'ils rencontrent beaucoup de difficultés pour déployer l'ADSL. Ces difficultés sont liées à une mauvaise volonté constatée de France Télécom pour laisser une place sur la boucle locale aux opérateurs entrants et ce, malgré le décret du 12 septembre 2000. En constatant la dégradation rapide de la situation dans le secteur des télécommunications, le Gouvernement qui est par ailleurs actionnaire majoritaire de l'opérateur national ne devrait-il pas mettre plus de rigueur sinon de sévérité pour faire appliquer ses propres décisions ? Il pourrait très vite devenir intolérable qu'un acteur essentiel, dans le contexte économique actuel, se situe au-dessus de la Loi...Nous comprenons fort bien les appréhensions de France Télécom de voir entrer ses concurrents dans ses propres installations mais pourquoi cette grande compagnie n'accepte-t-elle pas ce que font les autres grands opérateurs historiques qui eux aussi, hier, disposaient d'un monopole ! Par ailleurs, au fur et à mesure que les opérateurs disposent des éléments financiers, ils prennent conscience que les coûts sont prohibitifs puisque chaque opérateur devrait débourser quelque 3,3 milliards d'Euros (21,6 milliards de Francs) pour couvrir l'ensemble de la population française « raccordable » à l'ADSL, soit au mieux 75 % de la population. Aussi, il est à craindre que les opérateurs déployant l'ADSL se concentrent sur les principales villes en sachant qu'il leur faudra dans le meilleur des cas plus de 5 ans pour descendre jusqu'aux agglomérations de 30.000 habitants. Pour le câble, là aussi la problématique n'est pas simple. Les investissements à réaliser sont importants car les réseaux construits essentiellement dans les années 1980, dans le cadre du plan câble, par l'opérateur national, à seule finalité de télédistribution, doivent être totalement refondus dans leurs structures pour laisser plus de place à l'optique et surtout pour passer d'une architecture arborescente à une architecture étoilée plus compatible avec les exigences des réseaux de télécommunications. Pour la BLR et l'UMTS, le problème est encore beaucoup plus grave car nous flottons là dans un monde irréel. Ces technologies radios qui se montraient fort prometteuses sur le papier ou en laboratoire sont fort décevantes sur le terrain. Des ingénieurs très compétents m'ont affirmé que si les opérateurs voulaient tenir les garanties de bande passante sur lesquelles ils s'étaient engagés auprès des autorités de régulation et des utilisateurs potentiels lors de l'octroi des licences, il leur faudrait mettre pour certaines fréquences 7 (sept) fois plus de relais que prévu. Quel business-plan résisterait à une telle dérive ? Je me suis même laissé dire qu'il serait difficile (du moins dans l'état actuel de ces technologies) d'utiliser largement la voix sur IP avec la BLR. Quand il y a de tels enjeux et qu'il y a un tel fossé entre les attentes et le réel, nous avons l'impression de vivre un mauvais rêve. Il est donc grand temps que nos gouvernants prennent conscience de la gravité de la situation et s'engagent, enfin, sur la bonne voie. Il est maintenant clair, surtout dans le contexte qui se met en place à une vitesse inquiétante, que l'initiative privée ne pourra pas seule trouver les moyens d'inverser la situation et qu'il sera nécessaire que les Pouvoirs publics, tous réunis (Europe, Etat, Région, Département, Commune) prennent les mesures qui s'imposent et y mettent les moyens. Ne soyons pas surpris d'une telle proposition. Depuis bientôt deux siècles, ce n'est qu'en associant volonté publique et initiative privée que la France a réussi son entrée dans la modernité. C'est ainsi que furent construits les réseaux de chemin de fer, les réseaux routiers, les réseaux électriques, les réseaux d'eau et même plus récemment, dans les années 1970, les réseaux automatiques de téléphone. Ce n'est qu'à cette condition que les deux exigences incontournables pour entrer dans l'avenir : prix acceptable pour accéder à Internet et large débit garanti pour tous seront remplies. Permettez-moi, moi qui ai l'honneur d'avoir lancé il y a plus de dix ans la construction de la plus grande plaque optique d'Europe, celle du Rhône, à laquelle vont pouvoir se connecter prochainement plus de un million de personnes, de faire une proposition : Pourquoi ne pas faire un emploi judicieux de l'optique, du coaxial et des technologies radios de proximité, en dissociant les équipements passifs qui seraient à la charge de la collectivité et les équipements actifs qui seraient pris en charge par les opérateurs. La France, en menant à bien ce vaste programme d'équipement pourrait, enfin, répondre à ce double défi du coût pour l'utilisateur et du large débit garanti, et ce sur l'ensemble du territoire. Si nous ne voulons pas que notre char continue à rouler vers les abîmes, il faut que sans retard le Gouvernement réunisse tous les acteurs essentiels, publics et privés, que ce soit les collectivités territoriales, les opérateurs de télécommunications et les majors de la nouvelle économie, pour définir et arrêter les mesures qui redonneront enfin à la France la confiance qu'elle est en train de perdre. Le temps des discours est maintenant terminé : il faut passer à l'action.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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