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Edito : L’agrivoltaïque : un formidable potentiel pour l’énergie solaire…et l’agriculture

Cher Lecteur, Chère Lectrice, A l'aube de cette année nouvelle, ma petite équipe et moi-même vous présentons nos vœux les meilleurs et les plus sincères pour 2019. En cette année, nous fêterons le n° 1000 de notre Lettre hebdomadaire, ce qui fera de RT Flash l'une des plus anciennes lettres électroniques dédiées à la Recherche et aux Nouvelles Technologies en France. Merci pour votre confiance. Bien Cordialement

René TREGOUET

Sénateur Honoraire
Président Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
Rédacteur Chef de RT Flash

Lorsqu’il présenta en 1981 son concept d’agrivoltaïsme, qui consiste à utiliser le même terrain pour assurer une production agricole et produire de l’énergie électrique, à partir de panneaux solaire surélevés, Adolf Goetzberger, fondateur du Fraunhofer ISE ne se doutait pas que presque 40 ans plus tard, cette innovation viendrait bouleverser le paysage énergétique et donner à l’énergie solaire un nouveau souffle.

C’est pourtant ce qui est en train de se passer. Avec l’apparition, il y a quelques années, des premiers panneaux solaires bifaces performants, qui captent non seulement le rayonnement solaire direct qui arrive sur la face avant, mais aussi le rayonnement réfléchi sur la face arrière (avec un rendement de conversion pouvant atteindre plus de 25 %), ce concept a pris un réel essor et connaît depuis peu un succès croissant.

Outre-Rhin, la communauté agricole Demeter de Heggelbach a inauguré il y a deux mois une ferme solaire agrophotovoltaïque de 194,4 kWc. Il s’agit d’un projet pilote conçu pour démontrer la faisabilité et la viabilité du couple agriculture et production d’énergie sur un même espace. Cette expérimentation d’agrophotovoltaïque part d’un constat simple : le coût des systèmes photovoltaïques dans les zones ouvertes est en baisse constante et les installations de grandes tailles devraient donc être rentables selon les experts d’ici 5 ans, sans le soutien financier du gouvernement.

Afin d’optimiser les rendements de ce projet, l’installation de 0,5 ha est composée des panneaux solaires bifaces. Les cellules solaires bifaces présentent le grand avantage de pouvoir capter à la fois le rayonnement solaire direct arrivant sur la face avant, mais aussi le rayonnement réfléchi par la face arrière. "Nous avons actuellement un rendement supérieur de 8 % à celui des panneaux traditionnels", souligne Stephan Schindele, chef de projet à l’ISE.

Les panneaux solaires sont posés sur des armatures surélevées, afin de permettre le passage des engins agricoles. L’espace entre les panneaux est également un peu plus important que sur des champs photovoltaïques habituels, afin de laisser passer suffisamment de lumière pour la photosynthèse. Ensuite, le succès d’une telle installation dépend du lieu d’implantation et du type de projet agricole qui l’accompagne. L’exploitant doit en effet bien choisir ses types de cultures et les répartir judicieusement, en tenant compte des caractéristiques propres aux différents fruits et légumes cultivés. Ainsi les pommes de terre et les épinards ne semblent pas affectés par une ombre importante, alors que le maïs et le blé ont en revanche besoin de beaucoup de lumière.

Ce concept très prometteur présente l’immense avantage de ne pas mettre en compétition pour l’usage des sols entre valorisation énergétique (biomasse, bioéthanol pour les carburants, photovoltaïque) et production alimentaire.

En France, le programme Sun'Agri vise à faire cohabiter dans un système « agrivoltaïque une activité agricole avec une centrale électrique solaire. Les fermes photovoltaïques utilisent également des panneaux bifaces inclinables à 4,50 mètres de haut, pour permettre le passage des engins et robots agricoles. L’installation est conçue pour pouvoir contrôler finement et en temps réel l'ensoleillement et l’ombrage en fonction des besoins de la plante, ce qui permet de réduire les besoins en eau de 30 %.

Le programme lancé en 2009 a été testé avec succès sur du blé, des radis, des laitues ou encore de la vigne... Sun'Agri entre aujourd'hui dans sa troisième phase avec le premier démonstrateur mondial au domaine de Nidolères, dans les Pyrénées Orientales. Et dans les trois prochaines années, une vingtaine d’installations similaires seront déployées dans le quart sud-est de la France, pour un investissement de 30 millions d'euros. C'est la société Optimum Tracker qui a conçu les structures porteuses et mobiles, capables de déployer leur ombre sur 100 % de la surface du champ ou au contraire de se relever pour limiter l'ombre portée à l'épaisseur des panneaux, de manière à s'adapter en permanence  aux conditions météorologiques.

Ces projets agrivoltaïques concernent la viticulture et l'arboriculture (abricots, pêches, nectarines...), mais aussi l'horticulture et le maraîchage, car les panneaux solaires peuvent également s'adapter à la culture sous serre et être alors utilisés pour contrôler la température, la luminosité et l’humidité. Non contents de produire de l’énergie propre et d’économiser des quantités importantes d’eau, ces systèmes peuvent également permettre, grâce à une gestion numérique fine, de contrôler la vitesse du mûrissement, l'étalement de la production et les qualités organoleptiques des fruits et légumes.

En juin dernier, le fabricant de panneaux solaires Reden Solar et l’EARL Guerivel, établie à Saulce-sur-Rhône (Drôme), ont conclu un partenariat « agrivoltaïque » sur plus de 2 hectares au nord de Montélimar. Une serre d’une surface de 21 100 m² a été construite pour accueillir la culture de kiwis sous abri. Cette installation-pilote doit permettre à la fois de protéger les kiwis, fruits fragiles, des aléas climatiques, de stabiliser le taux d’humidité, mais surtout de réduire les risques d’attaque par la bactérie PSA, une bactérie dévastatrice qui colonise les branches de kiwis qui ont été fragilisées par des vents trop forts. Sur le plan énergétique, cette installation innovante devrait produire environ 2000 MWh d’électricité verte par an, de quoi satisfaire (hors chauffage) les besoins de plus de 800 ménages.

Début novembre l’agrivoltaïque a franchi une nouvelle étape avec la mise en service de la première centrale agri-voltaïque sur vigne au monde, à Tresserre, dans les Pyrénées-Orientales pour un montant de 4 M€. Il s’agit selon SUN’R, à l’origine du projet, "d’une innovation de rupture avec ce premier démonstrateur capable de combiner agriculture et énergie solaire". Là encore, le type de panneau retenu agit comme des persiennes et peut être plus ou moins obturé, en fonction des besoins de la plante en ensoleillement.

Concrètement, ce projet-pilote s'étale sur 7,5 hectares d’une ancienne parcelle en friche sur le domaine familial de Nidolères en appellation Roussillon. Sur cette surface, 28 600 plants de vigne ont été plantés et irrigués, en mai dernier. 4,5 ha sont équipés de panneaux photovoltaïques surélevés à 4,5 mètres du sol. Trois autres hectares servent de culture témoin. Les panneaux peuvent s’effacer en pivotant pour offrir le maximum d’ensoleillement, ou produire, si nécessaire, une ombre presque totale. Dans ce cas précis, l’enjeu est de diminuer pour la vigne le stress hydrique en protégeant les grappes et donc ralentir le mûrissement du raisin afin de mieux maîtriser la fermentation alcoolique.

Ce concept d’agrivoltaïque peut également être étendu aux serres, même si cette transposition exige la maîtrise de nombreux paramètres. Tenergie a inauguré, le 25 octobre 2017, une serre photovoltaïque de nouvelle génération qui couvre 33 000 m2 dans une exploitation de Mallemort (Bouches-du-Rhône). La structure se compose d’une toiture en polycarbonate ondulé fixé sur une armature métallique. Ce matériau diffuse une lumière uniforme et évite les pans d’ombre sur les plantations. Les panneaux solaires ont été installés uniquement sur les versants de la couverture exposée au sud et le polycarbonate ondulé permet la diffusion d'une lumière uniforme et évite les zones d’ombre sur les plantations.

Basée à Meyreuil, à côté d’Aix-en-Provence, Tenergie est persuadée que ce concept agrivoltaïque recèle un immense potentiel, surtout dans une région comme Paca qui possède un des niveaux d’ensoleillement des plus élevés d’Europe, mais dont l’alimentation électrique dépend à 56 % de l’importation d’énergie depuis le réseau national. Pour ce projet de Mallemort, Tenergie a réalisé entièrement  l’investissement de 4 millions d’euros nécessaire à la construction de la serre. En contrepartie, l’entreprise vend à EDF la totalité de la production, soit 3,1 GWh/an. Sachant que le chiffre d’affaires annuel attendu est de l'ordre de 350 000 euros, le retour sur investissement devrait être d'environ onze ans.

Fin 2018, on estime que le secteur agricole contribuera à la production de 22 % des énergies renouvelables en France, et plus de 50 000 exploitations agricoles participent déjà à la production d’énergies renouvelables, dont 15 000 via le photovoltaïque. Boostée par les avancées technologiques, la part de l’agrisolaire devrait encore doubler au cours de huit prochaines années et cela d’autant plus que le coût de production moyen de l’électricité photovoltaïque a connu depuis dix ans une diminution spectaculaire, bien plus importante que celle de n’importe quelle autre source d’énergie.

En effet, selon une étude publiée le 11 novembre dernier et réalise par la très sérieuse banque d'investissement Lazard, la baisse réelle du coût des énergies renouvelables a été largement sous-estimée et les rend désormais aussi compétitives que l'exploitation des ressources fossiles. Selon ce rapport, le coût moyen du mégawattheure éolien - hors subventions - a été divisé par plus de trois entre 2009 et 2018, pour passer de 135 à 42 dollars. L'écart est encore plus saisissant pour l'énergie solaire, avec un coût moyen divisé par huit de l'énergie produite par les fermes photovoltaïques, de 359 dollars en 2009 à 43 dollars aujourd'hui. Selon l'étude, cette baisse considérable des coûts de production des énergies propres résulte à la fois d'une diminution des coûts logistiques, une amélioration des technologies et une compétition accrue entre les acteurs ».

Dans cette étude, Lazard estime les coûts de production d'un nouveau parc éolien terrestre entre 14 et 47 dollars par mégawattheure. Pour uns installation photovoltaïque nouvelle, cette fourchette est comprise entre 32 et 41 dollars. Par comparaison, pour une centrale à charbon dont la construction a déjà été amortie, le mégawattheure oscille entre 27 et 45 dollars, tandis qu'il va de 24 à 31 dollars pour une centrale nucléaire.

En France, une étude récente réalisée par le cabinet Artely, pour le compte du Consortium Energy Union Choices, montre également que la production d'électricité photovoltaïque apparaît à présent, de loin, comme la source d'énergie renouvelable la moins chère, avec un coût actualisé de l'énergie moyen de 34€/MWh. Les productions d'énergie éolienne et terrestre et en mer présentent respectivement des coûts actualisés de l'énergie de 42 et 49€/MWh. Les coûts variables de production d'électricité par le charbon sont estimés à 55€/MWh et ceux des installations au gaz à 65/MWh. Quant à l’electricité d’origine nucléaire, son coût est estimé aujourd’hui à 42 euros MWH mais ce coût pourrait atteindre le 60 euros le MWH d’ici une quinzaine d’années, compte tenu du coût très important de remise à niveau de notre parc nucléaire (au moins 55 milliards selon EDF) en matière de prolongation d’exploitation et de renforcement de la sécurité.

Actuellement, EDF prévoit une multiplication par quatre de la production d’électricité solaire d’ici 2030. Celle-ci passerait donc de 10 à 40 TWH (soit 7,5 % de la consommation d’électricité prévue en 2030) par an en 12 ans. Mais le Syndicat des Energies renouvelables est pour sa part persuadé que, si l’on prend en compte la baisse accélérée des coûts de production et le « coût carbone » réel des différentes énergies, il est possible d’atteindre 57 TWH de production d’électricité solaire en 2030, soit 11 % de notre consommation électrique nationale à cette échéance.

Quant au coût moyen de production de l’électricité photovoltaïque, il va continuer à diminuer plus vite que celui des autres sources d’énergie et pourrait descende à moins de 25 euros le MWH (ou 25 cts d’euro le kWh) à l’horizon 2030, notamment grâce à l’arrivée sur le marché, d’ici 3 à 5 ans de cellules photovoltaïques à haut rendement au pérovskite. Au centre Helmholtz de Berlin des matériaux et de l'énergie, une équipe de recherche vient d’annoncer il y a quelques semaines qu’elle avait développé une nouvelle cellule photovoltaïque hybride silicium-pérovskite atteignant le rendement de conversion record de 25,5 % (Voir Royal Society of Chemistry) et ils promettent d’arriver à produire d’ici 5 ans des cellules composites au pérovskite-silicium ayant un rendement de 30 %...

Soulignons également que notre pays semble enfin se réveiller pour développer l’énergie solaire et vient d’annoncer la mise en service, à l’horizon 2023, du plus grand parc photovoltaïque d'Europe. Construit dans un département rural, le Lot-et-Garonne, il représentera une superficie de 1 981 hectares, pour un coût total d'un milliard d'euros financé par différents acteurs, dont Valeco, Green Lighthouse, Neoen , Reden Solar et Amarenco.

Parfaitement complémentaire des petites installations agrivoltaïques, ce parc unique sur notre continent par ses dimensions et sa puissance permettra de fournir assez d’électricité pour alimenter 650 000 foyers, soit le double du nombre de ménages que compte le Lot-et-Garonne, ce qui fera de ce département le premier de France a devenir positif en matière de consommation d’énergie (hors transports). A titre de comparaison, 45 parcs de cette puissance suffiraient pour répondre aux besoins en électricité (hors chauffage) de la totalité des foyers français.

Mais la montée en puissance de ces parcs agrivoltaïques de petites et moyennes dimensions pourrait constituer le « chaînon manquant » entre les installations solaires des particuliers et ces grandes centrales solaires qui commencent à se multiplier sur notre territoire et sont capables d’alimenter des dizaines, voire des centaines de milliers de foyers.

En ne prenant en considération que les terres agricoles dévolues à la viticulture, aux fruits et aux légumes, représentent environ 10 000 km2 dans notre pays et sont les plus propices au développement de l’agrivoltaïsme, il suffirait, en théorie, que 10 % de ces cultures adoptent l’agrivoltaïsme pour satisfaire les besoins en électricité (hors chauffage) de la quasi-totalité des foyers français, sous réserve toutefois de l’adaptation de notre réseau électrique et du renforcement sensible des moyens de stockage et d’équilibration de cette production agrivoltaique (power to gas, stations de pompage, batterie liquide, Reddox).

Mais le plus remarquable est qu’un projet agrivoltaïque, à condition d’être bien préparé et d’intégrer avec soin l’ensemble des paramètres géoclimatiques, agraires et économiques permet à la fois à l’exploitant de produire une énergie propre qu’il peut autoconsommer et revendre, et d’améliorer ses rendements agricoles, en utilisant de manière judicieuse sur ses cultures l’ombre des flux de lumière produits par ces panneaux solaires suspendus…

Il serait particulièrement bienvenu que la France, qui a la chance de s’étendre sur un vaste territoire, de posséder plus de la moitié de sa superficie en terres agricoles et de bénéficier d’un excellent niveau d’ensoleillement dans toutes sa moitié méridionale, lance sans tarder un ambitieux plan visant à donner d’ici 10 ans à l’agrivoltaïsme toute la place qu’il mérite dans la transition énergétique et la décarbonisation totale de notre économie.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Rhône

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