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Edito : Issue de l’industrie, l’impression 3D bouleverse les sciences de la vie….

Il y a 40 ans, en juillet 1984, trois ingénieurs français, Jean-Claude André, Olivier de Witte, et Alain le Méhauté, déposaient le premier brevet concernant l’impression 3D, pour le compte de l’entreprise CILAS ALCATEL. Quelques semaines plus tard, l’américain Charles Hull déposait à son tour un brevet sur la technique d’impression 3D de stéréolithographie SLA (StéréoLithographie Apparatus). Ce brevet débouchera sur la création de la fameuse entreprise 3D Systems, géant de la fabrication d’imprimantes, qui commercialisera en 1988 la première imprimante 3D, la SLA-250.

C’est peu de dire qu’en 40 ans, cette technologie innovante a fait des pas de géants, au point qu’elle est en train de bouleverser à présent l’ensemble des outils, méthodes et process de production dans l’industrie, mais également dans la construction et de manière encore plus spectaculaire, dans les sciences du vivant. Des chercheurs de l’Université technologique de Nanyang à Singapour (NTU Singapour) ont ainsi réussi, il y a quelques semaines, à fabriquer des pièces métalliques imprimées en 3D avec différentes propriétés, sans avoir besoin de recourir à des traitements mécaniques ou à des matériaux supplémentaires. Pour réaliser cette percée, ils ont mis au point un système d’ajustement de l’intensité du faisceau laser utilisé pour fondre les couches de poudre métallique. Cette adaptation permet de réchauffer et de refroidir la pièce pendant le processus d'impression 3D, ce qui reconfigure ses microstructures. En contrôlant de manière très précise ces paramètres, il devient possible de déterminer les propriétés du métal à un degré inédit. Par exemple, le même métal peut contenir des zones fortes et d’autres plus faibles (Voir Nature Communications).

Autre exemple remarquable, la firme anglaise Vivobarefoot qui va bientôt proposer, en coopération avec Balena pour les matériaux, des chaussures imprimées en 3D personnalisées et durables. Constatant que 25 milliards de paires de chaussures sont fabriquées chaque année dans le monde, mais qu’un quart finissent en décharge après seulement un an d’utilisation, elle a décidé de concevoir des chaussures reposant sur un cycle de vie à la fois entièrement durable et recyclable. Vivobarefoot et Balena ont développé VivoBiome, un système de numérisation pour impression numérique permettant aux utilisateurs de commander d’un simple clic des chaussures personnalisées, uniques et durables. Ce processus de fabrication repose sur l’utilisation d’un logiciel, permettant de générer diverses géométries en CAO pour les semelles extérieures, ainsi que de concevoir les chaussures en fonction de la forme ou de la morphologie du pied de l’utilisateur. Les chaussures adoptent un design minimaliste, caractérisé par des semelles fines et souples, ainsi qu’une coupe large, favorisant ainsi la liberté de mouvement. Après la phase de conception, les chaussures sont imprimées à partir de matériaux biosynthétiques et recyclés. D’ici 2025, il sera possible de commander des chaussures entièrement compostables et imprimées en 3D en un clic, et en les recevant dix jours plus tard.

Il y a quelques jours, des chercheurs du MIT ont mis au point une technique de fabrication additive capable d’imprimer rapidement, avec du métal liquide, des pièces à grande échelle comme des pieds de table et des cadres de chaise. Leur technique, appelée impression sur métal liquide (LMP), consiste à déposer de l’aluminium fondu le long d’un chemin prédéfini dans un lit de minuscules billes de verre. L’aluminium durcit rapidement en une structure 3D. Selon cette étude, le LMP serait 10 fois plus rapide qu’un processus de fabrication additive métallique comparable. Seule limitation de ce procédé pour l’instant : ce gain en vitesse se ferait en acceptant une moins bonne résolution (Voir MIT News). Les pièces produites par LMP conviendraient donc seulement pour certaines applications dans l’architecture, la construction et le design industriel, où la résolution ne doit pas nécessairement être très fine. « Si l’on prend le monde de la construction et du mobilier, on constate que les objets qui nous entourent, qu’il s’agisse des bâtiments, tables, chaises, bureaux, armoires, n’ont pas besoin d’une résolution extrêmement élevée. Il est donc rentable de sacrifier cette résolution, en échange d’une vitesse d’exécution et d’une échelle de réalisation beaucoup plus grandes », souligne la Professeure Skylar Tibbits, codirectrice du Self-Assembly Lab, qui a dirigé ces travaux.

Pour mettre au point cet outil LMP, ces chercheurs ont choisi l’aluminium parce qu’il est couramment utilisé dans la construction et qu’il peut être facilement recyclé. L’aluminium est maintenu à haute température dans un creuset en graphite, puis le matériau fondu est introduit par gravité à travers une buse en céramique dans un lit d’impression le long d’un chemin prédéfini. Ils ont constaté que plus la quantité d’aluminium qu’ils pouvaient faire fondre était importante, plus l’imprimante pouvait fonctionner rapidement…

En Australie, la société d’impression 3D Luyten s’apprête à mettre sur le marché une maison imprimée en 3D à Melbourne, en collaboration avec l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (UNSW), (Voir Parametric Architecture). Ahmed Mahil, PDG de Luyten, souligne que « Ce projet illustre non seulement la polyvalence et la flexibilité des capacités d’impression 3D, mais dévoile les immenses potentialités de l’impression additive en matière de création architecturale et d’aménagement des espaces intérieurs ». Un exemple concret de cette intégration entre technologie et architecture se manifeste à travers la Galleria Gwanggyo, un centre commercial implanté au cœur de la nouvelle ville de Gwanggyo, en Corée du Sud. Inauguré en 2020, cet édifice se distingue par une façade très élaborée, combinant de la pierre mosaïque et des éléments de verre complexes. Une telle façade asymétrique et composite aurait été tout simplement impossible à réaliser sans l’impression additive.

Fin 2023, la fabrication additive de bâtiment a franchi un nouveau cap, avec la réalisation d’une construction en béton de 54 m de long, 11 m de large, 9 m de haut. Situé à Heidelberg, ce bâtiment, qui abrite le nouveau centre de données Heidelberg iT Management, est à présent le plus grand bâtiment imprimé en 3D d’Europe. Pour cette construction hors norme, l’industriel Peri 3D Construction a utilisé une imprimante BOD2 fournie par l’entreprise danoise Cobod. La tête d'impression est fixée sur un portique modulaire, ce qui permet de le configurer en fonction des besoins de chaque projet. Fait remarquable, cette structure a été érigée en seulement quatre mois. L’encre utilisée qui repose sur un liant, le "i.tech 3D", spécialement conçu pour l’impression 3D en béton, permet désormais de réduire les émissions de CO2 d’environ 55 % par rapport à un ciment classique, soit près de 400 kg eq CO2/m². Ce matériau développé par Heidelberg Materials est en outre recyclable et a reçu le prix allemand de l’innovation pour le climat et l’environnement (IKU).

Mais, non contente de bouleverser l’industrie et la construction, l’impression 3D est également en train de révolutionner un domaine où on l’attendait moins, à savoir la biologie et la médecine. En décembre dernier, des chercheurs américains des universités Duke et Caltech ont réussi à concevoir un nouveau type d’imprimante 3D, qui peut imprimer directement différents types de tissus dans le corps humain. Il devient ainsi possible de solidifier une forme directement à proximité d’un organe à traiter ou à réparer, sans forcément être obligé d’avoir recours à une intervention chirurgicale classique, avec tous les risques et effets secondaires qu’elle peut entraîner. Dans ce cas de figure, ces chercheurs américains, au lieu d’utiliser un faisceau lumineux, ont eu recours à un faisceau d’ultrasons, un type d’ondes sonores à haute fréquence semblable à celui utilisé par les systèmes d’imagerie par échographie. Le grand avantage de ces faisceaux d’ultrasons étant que, contrairement aux faisceaux lumineux, ils peuvent pénétrer profondément dans les tissus vivants (Voir Science).

Ces chercheurs ont donc travaillé à la mise au point d’une bio encre qui, une fois injectée dans le corps, se solidifie de manière contrôlable lorsqu’elle est exposée à un faisceau d’ultrasons. Cette "Sono-encre" peut être sculptée par un émetteur de manière assez précise pour former des objets avec une précision millimétrique. Le champ d’application de cette invention est immense. Il va de la réalisation de mini-prothèses ou de structures de soutien pour favoriser et orienter la reconstitution des tissus à des micro-dispositifs capables de libérer à la demande des molécules thérapeutiques, ou encore à des outils de microchirurgie. Ces travaux montrent également que l’impression volumétrique produite par cette technologie se fait plus rapidement et de manière plus précise qu’avec une imprimante 3D classique, qui construit les objets couche par couche.

Cette nouvelle méthode est appelée "Impression volumétrique acoustique à pénétration profonde". Randy King, directeur des programmes à la Division des Sciences Appliquées et de la Technologie du NIBIB, explique que « L’échographie focalisée est utilisée depuis des décennies pour traiter une grande variété de conditions, ce qui souligne sa sécurité et son utilité en tant qu’outil clinique. Cette nouvelle application potentielle, résultat d’années d’avancées technologiques, pourrait ouvrir la voie à quelque chose que l’on croyait auparavant impossible : l’impression 3D par ultrasons à travers les tissus ».

Certes, l’utilisation des ultrasons focalisés n’est pas nouvelle dans le domaine médical. Mais c’est la première fois qu’elle est spécifiquement appliquée à l’impression 3D médicale. Cette innovation remarquable repose notamment sur l'invention d'une encre soniquée, ou sono-ink, qui réagit aux ultrasons. L’encre elle-même se compose de quatre éléments distincts : un composé absorbant les ondes ultrasonores, une microparticule régulant la viscosité et un polymère fournissant la structure et un sel absorbant la chaleur pour déclencher la solidification. Cela permet d’imprimer des structures biocompatibles même à travers les tissus épais et multicouches du corps. Les tests n’ont pour l’instant été menés que dans des milieux synthétiques qui reproduisent le corps ou sur des tissus et des organes animaux. Mais les chercheurs ont pu vérifier la pénétration de leur faisceau d’ultrasons et la précision de leur impression qui est de 100 micromètres, soit l’épaisseur d’un cheveu.

En Australie, une équipe de l’University of New South Wales à Sydney vient de présenter un concept très intéressant qui permettrait d’utiliser cette approche dans un contexte clinique ; ils ont conçu un système capable d’imprimer des biomatériaux en 3D directement à l’intérieur du corps humain. Le dispositif, baptisé F3DB, prend la forme d’un mini-bras robotique qui ressemble à un endoscope. Il est muni de muscles artificiels qui lui permettent de se tordre dans n’importe quelle direction. Cette grande flexibilité lui permet de se frayer un chemin à l’intérieur d’un organe. Parvenue dans la zone ciblée, la tête de cette imprimante endoscopique applique une « bio-encre » composée d’un mélange de cellules vivantes, de biomatériaux et de facteurs de croissance. Ce dispositif particulièrement novateur permet de reconstruire un tissu vivant lésé, par exemple pour réparer une lésion sur un organe interne (Voir Science Direct). Dans ce cas de figure, l’application directe de cette bio-encre sur un tissu constitue un véritable pansement organique à base de cellules souches. Ainsi, il est possible de réparer de manière moins invasive des tissus et cellules des intestins, de l’estomac, ou encore du cœur. En outre, cette technique F3DB peut, grâce à ses muscles artificiels, être guidé vers plusieurs zones à opérer distinctes à partir du même point. Après des essais réussis sur des organes artificiels et des organes de porc, les chercheurs préparent la prochaine étape de leurs travaux qui consistera à intervenir directement sur des organes humains à l’horizon 2030.

En France, la jeune société MB Therapeutics, implantée à Montpellier, exploite le potentiel de l'impression 3D pour concevoir des médicaments sur-mesure. Née de l’association entre un ancien de Sanofi et un pharmacien hospitalier, cette firme compte déployer son imprimante 3D pharmaceutique au sein de 10 établissements d’ici la fin de l’année. MB Therapeutics entend répondre au problème récurrent de la pénurie de médicaments personnalisés pour les patients. Il faut en effet savoir qu’actuellement, pour certaines pathologies, l'industrie pharmaceutique ne répond pas aux besoins des patients. C’est pourquoi les pharmaciens fabriquent certains médicaments personnalisés pour leurs patients, généralement de manière manuelle. Grâce à la technologie d’impression 3D, MB Therapeutics permet aux pharmaciens de produire des médicaments oraux qui vont pouvoir répondre aux besoins propres à chaque patient. Cette innovation repose sur l’utilisation de la MED-U Modular, une imprimante 3D pharmaceutique. Elle vise à surmonter le défi des ruptures de stocks en permettant aux pharmacies de produire automatiquement des médicaments avec un niveau de qualité́ industrielle.

Avec cet outil, les pharmaciens sont en mesure de produire des médicaments personnalisés, combinant les avantages des comprimés et des suspensions liquides. Ces médicaments de nouvelle génération peuvent notamment être adaptés aux enfants et peuvent être dispersés dans un petit volume d'eau. Les médicaments ainsi produits, qui ont une forme de haricots, ont d’ailleurs donné le nom de l’entreprise, en s’inspirant du mythe des “haricots magiques”, ou “Magic Beans”. Aujourd’hui, MB Therapeutics est la seule firme au monde qui dispose d'une imprimante 3D de qualité industrielle conforme aux normes pharmaceutiques. MB Therapeutics compte à présent déployer son imprimante 3D pharmaceutique dans 10 établissements d’ici fin 2024.

Aux Etats-Unis, l’équipe du Professeur Mark Skylar-Scott, membre de l’Institut cardiovasculaire de Stanford, travaille sur un projet ambitieux qui vise à parvenir à transplanter, d’ici cinq ans, un cœur 3D en bio-impression sur un cochon étant atteint d’une immunodéficience congénitale sévère. En cas de succès, ce cœur imprimé pourrait ultérieurement être transplanté chez l’être humain.

À l’hôpital universitaire de Birmingham, l’utilisation de guides d’incision personnalisés, imprimés en 3D, a permis à l’établissement de réussir à diminuer les temps d’intervention chirurgicale jusqu’à trois heures, pour le traitement des patients atteints de cancer de la tête et du cou. Grâce à l’utilisation de l’imprimante 3D Stratasys J5, MediJet a réussi à transformer la manière dont les tumeurs sont retirées, en proposant des guides d’incision précis et spécifiques à chaque patient avant l’opération. L’hôpital universitaire de Birmingham a ainsi réussi à être en pointe pour l’utilisation de la fabrication additive à des fins médicales. L’impression 3D s’avère être un outil incomparable, permettant à l’équipe chirurgicale de concevoir des dispositifs personnalisés, fabriqués à partir des scans des patients, avec une résolution inférieure à 150 microns, ce qui permet une amélioration considérable des résultats chirurgicaux. L’utilisation de l’impression 3D dans ce processus complexe, consistant à prélever un segment d’os d’un patient, à le mouler, puis à le transplanter dans la zone cible tout en préservant le tissu osseux, est en train de bouleverser la prise en charge médicale et chirurgicale de ce type de cancer, difficile à traiter. En s’appuyant sur ce nouvel outil, il devient possible pour les chirurgiens de planifier très précisément une opération avant sa réalisation.

Permettez-moi, enfin, de vous présenter une dernière innovation présentée il y a quelques semaines par Le MIT et l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (Suisse). Il s’agit d’un nouveau procédé d’impression 3D qui permet d'injecter simultanément des matériaux rigides et souples (Voir Nature). Baptisé Inkbit, ce système d’impression 3D embarque quatre caméras à haute fréquence et deux lasers pour créer une carte de profondeur de la surface imprimée. Celle-ci est comparée au design qui doit être imprimé et le système adapte localement le volume de matériau qui devra sortir de chacune des 16.000 buses de la machine. Ce système, qui peut fonctionner avec 10 substances différentes en même temps, est donc en mesure, sans ralentir sa vitesse, de pouvoir imprimer en une même opération des matériaux souples et rigides, puisqu’il n’est plus nécessaire de durcir une couche par UV avant d’appliquer la suivante. Ce nouvel outil d’impression 3D en parallèle a permis d’imprimer en une seule opération une main robotique complexe et une pompe cardiaque. Cette technique d’impression hybride pourrait contribuer à la production industrielle plus rapide et moins coûteuse de robots et dispositifs robotiques.

On le voit, l’impression 3D, après avoir successivement envahi le domaine de l’industrie, puis celui de la construction, est en train de révolutionner ceux de la médecine, la pharmacie et les biotechnologies et sera demain l’un des outils majeurs de la médecine régénérative et personnalisée. Cette technologie, qui se situe au croisement de la robotique, de l’informatique, de la chimie, de la physique et de l’optique, est un parfait exemple de la nécessité de favoriser et d’organiser des projets et approches transdisciplinaires qui laissent toute sa place à la recherche fondamentale et s’inscrivent dans des cadres suffisamment ouverts et souples pour permettre l’audace conceptuelle, qui fait souvent cruellement défaut à notre politique de recherche. Il serait souhaitable que notre pays, qui a su maintenir un niveau d’excellence dans cette technologie de la fabrication additive, prenne l’initiative d’un grand projet européen de recherche pour conforter notre compétitivité dans la conception et la fabrication de ces nouveaux outils, potentiellement créateurs d’une immense valeur ajoutée…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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