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Edito : La France ne doit pas rater la révolution numérique !

La Commission européenne vient de publier, il y a quelques jours, son dernier Indice de la maturité numérique de l’Europe (Digital Economy and Society Index) et celui-ci montre que le « fossé numérique » entre les états de l’Union subsiste (Voir European Commission).

Cet indice européen présente l’intérêt de rassembler une trentaine d’indicateurs regroupés dans cinq thèmes. Les deux premiers thèmes, « connectivité » et « compétences numériques » comptent chacun pour 25 % de la note (la note maximale est de 1). Viennent ensuite l’intégration de la technologie numérique (20 %), les activités en ligne (15 %) et enfin les services publics en ligne (15 %).

En utilisant ce système de note pondérée, c’est le Danemark qui arrive en première place, avec 0,68 sur 1, alors que la Roumanie arrive en dernier, avec 0,31. La moyenne européenne est de 0,47 et la France dépasse tout juste cette moyenne, avec une note de seulement 0,48. Selon cet indice, notre Pays se classe 14e des 28 pays de l'Union européenne, derrière l'Allemagne et la Grande-Bretagne et accuse un retard important dans l'accès au très haut débit, notamment, et dans l'intégration du numérique dans les entreprises. 

Il est frappant de constater que la France est particulièrement mal classée dans le domaine de la connectivité (19e). Cette étude européenne montre en effet que si 74 % des ménages ont un abonnement au haut débit fixe, moins d’un ménage sur dix est abonné à l'Internet à très haut débit (contre 22 % en moyenne dans l'UE). « En dépit de ses efforts de déploiement de la fibre optique, la France doit accomplir des progrès dans ce domaine », estime le rapport, qui souligne de manière logique que « cette faiblesse dans le très haut débit "limite la capacité de la France à profiter des avantages de l'économie numérique".

Ce retard français en matière de très haut débit optique vient par ailleurs d’être également confirmé par une étude réalisée par Diffraction Analysis, un cabinet d’expertise sur les services en ligne. Cette étude révèle que la France n’arrive qu’au 28ème rang des pays équipés en FTTP (fibre optique ou câble) dans le monde, derrière l’Ukraine et la Turquie… 

Mais ces études montrent également que la France est en retard en matière d’intégration des technologies numériques par les entreprises et se situe, dans ce domaine-clé, nettement au-dessous de la moyenne européenne. Cette singularité française est particulièrement visible en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, dont à peine plus d’une sur dix utilise les ventes en ligne et le commerce électronique, ce qui constitue un véritable handicap de compétitivité dans une économie mondialisée et largement dématérialisée et axée sur les services. 

Ce retard français dans les domaines de l’économie numérique est d’autant plus étonnant que 80 % des Français utilisent à présent régulièrement l’Internet, que près de 60 % d’entre eux possèdent un smartphone et qu’un Français sur trois est même équipé d’une tablette !

Autre surprenant contraste : celui qui existe entre cette faible numérisation de notre économie et le fort développement des services publics en ligne, un domaine où notre Pays excelle puisqu’à présent, plus de la moitié des Français utilisent régulièrement les services publics en ligne, jonglant avec les déclarations et formulaires électroniques.

La France se distingue également par une forte consommation de vidéo à la demande et de télévision sur le Net et désormais 22 % des Français se connectent chaque mois à partir de trois écrans (le PC, le smartphone et la tablette), soit une progression de quatre points en un an. 

Autre évolution notable : près d'un Français sur 5 possède un téléviseur connecté et au moins un autre « objet connecté » et selon Mediametrie, si aujourd’hui seuls 5 % des Français en possèdent un (que ce soit une montre connectée, des lunettes ou un bracelet), plus de la moitié d’entre eux envisagent d’en acheter un. 

Enfin, ces études révèlent deux autres « lacunes numériques » de taille spécifiquement françaises : d’une part, les Français ont le taux d'utilisation des réseaux sociaux le moins élevé de l'Union européenne, avec seulement 46 %, soit le taux "le plus faible de tous les pays de l'UE" où la moyenne s'établit à 58 %. D’autre part, nos concitoyens ne sont que 46 % à consulter les actualités en ligne" (soit la 27e position sur 28).

Ces études sont à rapprocher d’un sondage, lui aussi réalisé il y a quelques jours par Odoxa et qui révèle qu’en matière d’enseignement du numérique à l‘école, 58 % des Français privilégient la création d’une matière spécifique plutôt que la dispersion des enseignements entre les matières déjà existantes (Voir Odoxa).

Cette enquête montre donc qu’une nette majorité de Français estime qu’il faut former des « professeurs du numérique », qui seront chargés d’enseigner « la programmation, l’utilisation des données personnelles, le fonctionnement de l’économique numérique ou encore le droit lié au numérique. Cette étude plébiscite par ailleurs le développement du numérique à l’école puisque 87 % des personnes interrogées pensent qu’il permettra « de former les élèves aux compétences numériques indispensables pour trouver un emploi »et que 75 % d’entre elles se disent persuadées que les outils numériques peuvent redonner l’envie d’apprendre aux élèves en modernisant les pratiques pédagogiques ». Mais nos concitoyens semblent en même temps bien mesurer l’écart qui subsiste entre leurs rêves et la réalité puisqu’ils sont 70 % à considérer que notre Pays est « plutôt en retard » sur ses voisins concernant l’enseignement du numérique. 

Guy Mamou-Mani, le dynamique Président de Syntec Numérique et lui-même ancien professeur de mathématiques ne dit pas autre chose. Pour ce pionnier, qui a œuvré pour la création de l’option ISN - informatique et science du numérique - en terminale S et travaille avec Pôle emploi pour proposer aux chômeurs une formation aux outils numériques, il est urgent de former tous les jeunes au numérique de l’école primaire au doctorat !

La France se trouve donc, par rapport aux principaux pays développés, dans une situation quelque peu paradoxale : nos concitoyens sont friands de technologies numériques et d’Internet mobile pour accéder aux services publics en ligne, se distraire ou encore rechercher une information pratique en matière de transports ou de logement mais ils sont encore très loin d’exploiter pleinement toutes les potentialités du Net dans trois domaines pourtant essentiels : la vie professionnelle, l’éducation et la formation.

Ce « fossé numérique » français est d’autant plus inquiétant que, selon certains économistes, si les nouveaux outils numériques peuvent créer de la richesse et de la croissance, ils ne créent pas forcement beaucoup de nouveaux emplois « nets », par rapport à l’ensemble des emplois qu’ils détruisent de manière irrémédiable. A cet égard, l’ enquête réalisée par le cabinet Roland Berger, portant sur l’automatisation et la numérisation de l’économie, a jeté un sérieux froid en prévoyant que, d’ici 10 ans, 3 millions d’emplois risquaient d’être détruits par la diffusion des technologies numériques en France…

En fait, contrairement aux précédentes révolutions industrielles, il semble que l’économie numérique déconnecte de plus en plus création de valeur et d’emplois. L’exemple de WhatsApp, l’application mobile récemment rachetée 19 milliards de dollars par Facebook, est à cet égard révélateur : WhatsApp n’emploie que 55 personnes…

Mais tout le monde ne partage pas ce pessimisme quant aux effets réels des outils numériques sur l’économie. Fin 2014, une étude réalisée par Mac Kinsey (Voir étude Mc Kinsey) et intitulée « Accélérer la mutation numérique des entreprises : un gisement de croissance et de compétitivité pour la France » rappelle par exemple que le secteur du numérique représente, globalement, une valeur ajoutée, estimée à 110 milliards d’euros, soit 5,5 % de PIB, c’est-à-dire plus que l’agriculture ou les services financiers.

Mais en outre, le numérique génère un surplus de valeur pour le consommateur atteignant l’équivalent de 13 Md€ annuels. Cette étude souligne également que, d’ici 2020, la France pourrait accroître la part du numérique dans son PIB de 100 Md€ par an, à la condition que les entreprises accélèrent nettement leur transformation numérique. 

Selon Mc Kinsey, l’impact potentiel des technologies numériques « disruptives » (cloud computing, impression 3D, Internet des objets, Big Data…) s’élèverait à près de 1 000 milliards d’euros en France d’ici à 2025, ce montant intégrant à la fois création de valeur ajoutée et le surplus de valeur dont bénéficient les consommateurs.

Mais, comme les études précédentes que j’ai évoquées, McKinsey souligne que l’adoption des nouveaux usages numériques par les Français peine à se traduire dans les activités économiques et l’entreprise. Poursuivant son analyse, McKinsey avance, de manière très intéressante, les quatre raisons qui, selon ce cabinet, peuvent expliquer ce retard français persistant dans la numérisation de notre économie.

Le premier point serait de nature organisationnelle pour environ la moitié des entreprises qui ne seraient pas structurées pour pouvoir tirer pleinement parti des outils numériques. 

Second point, un déficit de compétences numériques (31 % des entreprises interrogées peineraient à embaucher des talents dans le numérique).

Troisième point, des capacités d’investissements restreintes (avec 28 % de marge brute pour les entreprises françaises contre 38 % en moyenne dans les 28 pays de l’Union Européenne).

Et enfin, dernier point, un manque d’implication des dirigeants dans la transformation numérique de leur entreprise

Dans ce contexte, l’accord annoncé le 17 février dernier entre le Gouvernement et Cisco, numéro un mondial des équipements de réseau (40 milliards de dollars de chiffre d’affaires), mérite d’être salué et John Chambers, le Président de Cisco, a d’ailleurs souligné que jamais son entreprise n’avait pris une décision de cette ampleur avec un pays étranger.

Cette initiative qui marque une nouvelle forme de partenariat entre public et privé, couvre six grands domaines (éducation, entrepreneuriat, sécurité, infrastructures, ville intelligente et services publics) et ambitionne de faire de la France une championne du numérique. Concrètement, par cet accord, Cisco prend trois engagements .

Le premier consiste à déployer à très grande échelle son système de formation en ligne aux technologies de réseau et d’Internet. Celui-ci est déjà proposé dans plus de 300 centres scolaires et universitaires de France. Il sera étendu à 1 500 établissements, avec pour objectif de former 200 000 personnes sur les trois ans qui viennent. Des étudiants, mais aussi des personnes en formation continue ou en reconversion.

Le deuxième engagement consiste à mettre en œuvre dans une ou deux villes françaises un pilote de « ville intelligente », regroupant les expérimentations déjà en cours dans plusieurs agglomérations françaises et concernant la gestion des flux de circulation, la sécurité, les transports publics, l’énergie ou encore l’information locale. Dans ce cadre, Cisco déploiera également des « cabines publiques » virtuelles qui permettront d’effectuer en ligne de nombreuses démarches administratives.

Enfin, Cisco s’est engagé à miser un minimum de 100 millions de dollars dans des jeunes « pousses » françaises du numérique, soit par investissement direct, soit par l’intermédiaire de fonds de capital-risque.

Mais la mutation numérique passe également par une forte volonté des acteurs économiques et politiques locaux qui doivent apprendre à expérimenter et à innover sans cesse en valorisant, grâce aux outils numériques, les savoir-faire et compétences spécifiques d’un territoire. Comme l’ont compris les acteurs qui viennent de se réunir cette semaine dans le cadre des états généraux du commerce de Metz, il faut faire du numérique le fer de lance d’un nouveau modèle d’aménagement urbain qui repose sur un nouveau schéma de relations entre la collectivité locale, les habitants, les acteurs économiques et commerciaux et les services publics.

L’idée est que le consommateur devienne un « consom’acteur ». Et les participants à ces rencontres ont notamment évoqué l’exemple du «  click and collect », où les acheteurs passent leurs commandes en ligne mais passent récupérer leur achat en magasin. C’est ainsi que le maroquinier Gsell, pionnier dans l’usage de ces technologies de e-commerce, a su créer une synergie intelligente entre son offre en ligne et les services qu’il propose dans ses magasins « physiques » qui, loin de disparaître, trouvent un second souffle et diversifient leurs activités !

Autre exemple de révolution numérique dans le monde de l’entreprise, la nouvelle stratégie du groupe L’Oréal, reposant sur le concept de « Beauté augmentée » par les services que propose ce géant du secteur. Comme le souligne Lubomira Rochet, la nouvelle « responsable numérique » du groupe, « L'idée est d'aider nos marques à mieux personnaliser les interactions avec leurs consommateurs pour leur envoyer le bon message au bon moment dans le bon contexte pour eux. » L’Oréal a ainsi fait sensation en lançant, à l’occasion du dernier Festival de Cannes l'application Makeup Genius qui permet - grâce à la réalité augmentée - de tester l'effet d'un produit de maquillage sur son visage affiché sur smartphone.

Mais le numérique peut également bouleverser très rapidement des secteurs d’activité traditionnels, comme l’immobilier. Lahouari Kaddouri, professeur de géographie de l'université d'Avignon, s’apprête par exemple à commercialiser une application particulièrement novatrice. Celle-ci permet aux professionnels, de définir et d’entrer leurs requêtes (caractéristiques du sol, constructibilité, proximité d'écoles ou d'autoroutes...) sur un périmètre donné. Grâce à ce nouvel outil, identifier la meilleure parcelle disponible sera bientôt l’affaire de quelques minutes, au lieu d’une à deux semaines de travail fastidieux aujourd’hui…

Enfin, le numérique est également en train de transformer radicalement le secteur du tourisme. Dernier exemple en date, la chaîne Best Western qui est en train de déployer son "e-concierge" sur l'ensemble de ses 300 établissements français. Cette application permet de s'enregistrer, réserver une table au restaurant de l'hôtel, mais aussi d’obtenir des informations personnalisées sur les événements du quartier, ou encore de demander des renseignements sur un trajet. Pour alimenter ce système, chaque hôtelier doit lui-même recenser l’ensemble de services et activités susceptibles d’être proposés à ses clients. Ce service de « conciergerie électronique » veut faire d’une pierre, deux coups : d’une part, fidéliser ses clients, d’autre part, les inciter à réserver directement auprès des hôteliers ou de leur centrale de réservation, ce qui permet d’augmenter sensiblement le gain par client.

Ces quelques exemples remarquables, pris parmi beaucoup d’autres, nous montrent que la place médiocre de notre Pays dans la compétition numérique en cours n’a rien d’une fatalité et tient davantage à des facteurs politiques et culturels qu’à des questions d’infrastructures et de technologies.

Si nos enfants et petits-enfants, dès la petite enfance et les adultes tout au long de leur vie, apprenaient à exploiter tout le potentiel des nouveaux outils numériques pour décupler leur créativité personnelle et leur capacité collective d’innovation mais également valoriser notre extraordinaire patrimoine naturel, culturel et touristique, nous pourrions brillamment réussir notre mutation vers la société du savoir et de la connaissance.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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