Le Centre d’analyse stratégique (CAS) a publié 15 juin un rapport sur la voiture de demain qui n'a pas fini de faire parler de lui. Cette étude se montre en effet très circonspecte vis à vis du véhicule électrique. «Pour qu’un marché de masse se développe, explique le rapporteur Jean Syrota, il faudrait que le véhicule électrique soit moins cher que le thermique".
Le problème est que, dans tous les scénarios envisagés par cette étude, le coût de la voiture électrique reste supérieur à celui de la voiture thermique. Autre point faible, l’autonomie qui est au maximum de l’ordre de 150 kilomètres (plutôt 100 km en conditions réelles d'utilisation), soit l’équivalent de 6 à 8 litres de carburant, ce qui correspond à la "réserve" disponible d'essence quand le voyant de carburant s’allume.
Le rapport du CAS insiste également sur la question-clé des infrastructures de recharge qui ne sont pas du tout à la hauteur des ambitions affichées par les pouvoirs publics et certains constructeurs. Quant à l’argument écologique, il est également fortement relativisé : "Selon le mix énergétique de certains pays, le véhicule électrique, entre la fabrication de la batterie et son utilisation, finit par émettre plus de CO2 que le thermique" précise Jean Syrota. Par exemple, si les émissions de CO2 d’un véhicule électrique en France sont de l'ordre de 40 g de CO2/km, grâce à la forte proportion dans notre Pays d’électricité produite à partir du nucléaire, soit bien en-dessous des 130 grammes actuellement émis par un véhicule thermique, au Japon ou en Corée ces émissions atteignent 130g et le record est atteint en Chine, avec 200g, centrales au charbon oblige !
Ce qui signifie qu’utiliser un véhicule électrique en Chine, pays où le nombre de voitures croit le plus vite, est plus polluant que rouler avec un véhicule à moteur thermique…
Ce constat gênant mais incontestable est également confirmé par une étude sans précédent réalisée en grande Bretagne (Voir étude britannique) qui a comparé les émissions de CO2 des voitures thermiques et électriques. Cette étude démontre que la production d'une voiture électrique engendrerait 8.8 tonnes d'émissions de CO2 contre seulement 5.6 tonnes pour une voiture essence et serait donc beaucoup plus polluante à produire.
En revanche, sur la durée totale du cycle de vie et grâce à ses faibles émissions de CO2 à l'usage, la voiture électrique affiche un bilan carbone plus sobre que la voiture thermique : 19 tonnes de CO2 émis en fin de vie contre 24 tonnes pour une voiture essence. Il faut cependant souligner que ces calculs d'émissions de CO2 reposent sur le mix énergétique anglais qui a été évalué à 500 g/kWh. En France, grâce au nucléaire, le kWh électrique produit seulement 90 g de CO2 et le bilan carbone donne largement gagnant la voiture électrique. Par contre, il n’en est pas de même en Chine !
Le CAS reconnaît cependant que, dans les zones urbaines, le véhicule électrique pourrait s’imposer plus rapidement, à condition de mettre en place «des encouragements réglementaires pour l’achat d’une voiture électrique, et des interdictions ou restrictions de circulation des voitures thermiques». L'étude du CAS souligne également que les voitures électriques n’émettent pas de NOx et de particules fines qui sont les deux principaux polluants de l'air urbain et seraient responsables, selon les études, de 5000 à 10 000 morts par an en France.
Ce que confirme ce rapport, c'est qu'en dépit des progrès technologiques indéniables accomplis depuis 20 ans, la voiture électrique souffre de trois handicaps majeurs pour constituer une alternative crédible au véhicule thermique : elle est trop chère, elle a trop peu d'autonomie et son temps de recharge est trop long.
Pour surmonter ces trois obstacles il faut cesser de voir la voiture électrique comme le substitut universel à la voiture thermique et admettre, d'une manière plus pragmatique et plus modeste que pour les années à venir, la voiture électrique non hybride restera presque exclusivement une voiture urbaine destinée à des déplacements de moins de 50 km par jour.
Il faut également changer notre conception des déplacements personnels et voir le véhicule électrique urbain comme un service que l'on peut mutualiser et optimiser entre utilisateurs grâce au covoiturage intelligent dans un premier et grâce à l’automatisation de tous les déplacements dans les grandes agglomérations ensuite, et non comme un bien que l'on doit posséder. En adoptant ce changement d'habitude, nous pourrons surmonter l'obstacle rédhibitoire du coût d'achat de la voiture électrique qui restera durablement plus chère et moins autonome que la voiture thermique.
Toutefois, comme je le défends dans cette Lettre depuis 12 ans (Voir mon édito du 18 septembre 1999), la voiture de demain ne fonctionnera pas selon le principe sur lequel elle s’appuie aujourd’hui (batteries+ recharges) mais bien sur le fait que les moteurs électriques qui entraîneront cette voiture recevront leur électricité de piles à combustible capables de produire du courant en mélangeant de l’hydrogène, stocké sans danger sous forme solide dans le véhicule et l’oxygène de l’air. Ce véhicule du futur ne rejettera alors que de l’eau !
Mais tout ne sera pas résolu pour autant. Comment fabriquerons-nous alors l’hydrogène ? Soit nous le fabriquerons avec des énergies naturelles (solaire, vent, géothermie, biomasse, biogaz, etc.) ou éventuellement avec l’énergie nucléaire (mais alors c’est un autre débat qu’il faudra affronter) et alors le bilan en CO² pour la planète sera très bénéfique. Soit cet hydrogène sera un sous-produit du pétrole, ce qui indubitablement est le plus facile à réaliser et sera sponsorisé par des groupes très puissants, mais alors, nous n’aurions fait que déplacer le problème et l’avenir de notre planète Terre ne serait en rien assuré.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat