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Edito : Les technologies de rupture de 2023 selon le MIT…

Comme chaque année, le prestigieux Institut de Technologie du Massachusetts de Boston (MIT), vient de révéler la liste des principales innovations qui, selon lui, vont s’imposer au cours de cette année 2023 (Voir MIT Technology Review). On remarque, comme cela est le cas depuis déjà plusieurs années, que le MIT fait la part belle aux avancées concernant la biologie et les biotecch ; viennent ensuite les progrès concernant le domaine de l’énergie, des transports et enfin des technologies spatiales, avec le télescope James Webb.

Cette année, le MIT salue l’outil d’édition génomique CRISPR pour l’hypercholestérolémie. Découvert en 2012 par les biologistes Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, cet outil d’édition de gènes CRISPR a rapidement évolué du laboratoire à la clinique. Il s’est d’abord attaqué aux traitements expérimentaux pour des maladies génétiques rares et s’est récemment étendu à des essais cliniques concernant des pathologies beaucoup plus courantes, cancers et maladies cardiaques. L’année dernière, une femme néo-zélandaise est devenue la première à recevoir un traitement d’édition de gènes pour abaisser définitivement son taux de cholestérol. Cette patiente souffrait d’une maladie cardiaque, mais aussi d'un risque héréditaire d’hypercholestérolémie. Elle a bénéficié d’un traitement hypocholestérolémiant, développé par Verve Therapeutics, qui repose sur une forme d’édition de gènes appelée édition de base, ou "CRISPR 2.0". Il s’agit d’une approche plus ciblée et plus sûre, qui permet d’échanger une seule base d’ADN contre une autre.

Une forme encore plus récente de CRISPR pourrait aller encore plus loin, l’édition principale – ou "CRISPR 3.0", qui permet aux scientifiques d’insérer des morceaux d’ADN dans un génome. Cette nouvelle déclinaison de CRISPR pourrait permettre aux scientifiques de remplacer de manière précise et sûre les gènes défectueux ou pathogènes, impliqués dans de multiples maladies, dont le cancer.

Autre innovation dans le domaine de la biologie, les organes à la demande.  Chaque jour, une moyenne de 17 personnes aux États-Unis meurent en attendant une greffe d'organe. Pourtant, ces personnes pourraient être sauvées si nous disposions d’organes en nombre suffisant. C’est pourquoi des scientifiques américains travaillent sur des porcs génétiquement modifiés dont les organes pourraient être transplantés chez l'homme, sans risques de rejet ou d’infection. Pendant deux mois l'année dernière, un homme de 57 ans, David Bennett a vécu avec un cœur de porc, avant malheureusement de décéder. 

On estime à 130 000, le nombre annuel de greffes d'organes dans le monde, mais beaucoup plus de personnes meurent en attendant un organe ou parce qu'elles n'ont même jamais été inscrites sur une liste d'attente de greffe. Face à cette situation, les organes d'animaux sont une solution potentielle. Mais il n'est pas facile de surmonter les phénomènes de rejets du corps humain contre ces organes exogènes. Les recherches s’orientent donc sur le recours à l'édition de gènes pour modifier les porcs, de manière à pouvoir obtenir des organes parfaitement compatibles avec l’organisme humain. À l'avenir, l'ingénierie des organes pourrait également passer par la fabrication directe à partir de cultures cellulaires. C’est tout l’intérêt des "organoïdes", des organes en réduction, produits à partir de cellules souches pour reproduire les véritables organes humains.

Depuis peu, la biologie est également capable d’analyser avec une précision inédite des ADN très anciens, même abimés et le MIT a retenu cette avancée dans sa liste de 2023. De nouveaux outils de séquençage génomique nous permettent maintenant de lire de très vieux brins d’ADN humain, ce qui ouvre des perspectives complètement nouvelles dans la compréhension de l’évolution des pathologies et du rôle de nos gènes. Ces nouvelles méthodes sont si puissantes qu’elles permettent l’analyse de traces microscopiques d’ADN provenant de nos lointains cousins Néandertaliens. En novembre, le paléogénéticien Svante Pääbo, généticien à l’Institut Max Planck, a d’ailleurs obtenu le Nobel de Médecine, pour avoir développé ces nouveaux outils qui révolutionnent notre connaissance de l’évolution des organismes vivants.

Ce grand scientifique est notamment parvenu à analyser de très anciens fragments d’ADN, à découvrir deux espèces éteintes d’humains – Homo luzonensiset Denisovans – et nous a appris que les humains modernes portent une quantité substantielle d’ADN de Denisova et de Néandertal. L’année dernière, une étude a pu montrer qu’une une seule mutation a rendu la population européenne 40 % plus susceptible de survivre à la peste noire du XIVème siècle. Mais cette résilience accrue a eu, comme toujours en matière d’évolution, un prix : cette mutation favorable à une époque est devenue plus tard un facteur de risque pour les maladies auto-immunes, comme la maladie de Crohn.

Dans le domaine des sciences de l’information, le MIT récompense cette année l’incroyable avancée que constitue la génération d’images complexes par des IA. Les modèles logiciels développés par Google, OpenAI et d’autres peuvent désormais générer des œuvres d’art époustouflantes, basées seulement sur quelques indications textuelles. Il suffit de taper une courte description d’à peu près n’importe quoi, et vous obtenez, en quelques secondes, une image, souvent bluffante. L’outil DALL-E 2, développé par OpenAI, est ouvert au grand public depuis avril 2022, et il est si puissant qu’il est capable depuis peu de compléter de manière très pertinente une image ou un tableau, en imaginant leur contexte invisible. Google a également lancé sa propre IA de création d’images, appelée Imagen.

Il faut aussi évoquer l’outil Stable Diffusion, un modèle de synthèse d’image open source publié gratuitement par la start-up britannique Stability AI en août dernier. Non seulement Stable Diffusion peut produire des images étonnantes de réalisme, mais il a été conçu pour fonctionner sur un ordinateur personnel. En rendant cet outil accessible à tous, Stability AI a fait exploser la créativité numérique. Des millions de personnes ont créé des dizaines de millions d’images en quelques mois seulement. Cette technologie est maintenant intégrée dans des logiciels commerciaux, tels que Photoshop. Les artistes d’effets visuels et les studios de jeux vidéo se sont également emparés de ces outils et la technologie de synthèse d’images a déjà évolué vers la synthèse texte-vidéo. Au rythme où progresse cette technologie, les studios d’Hollywood se prennent à rêver d’un futur, peut-être pas si lointain, où il deviendra possible de réaliser des films, simplement en introduisant un script dans un ordinateur.

L’électronique est également à l’honneur, avec l’apparition d’un standard ouvert populaire appelé RISC-V, qui bouleverse la conception des puces. Les géants du secteur, comme Intel ou AMD, ont longtemps gardé leurs architectures propriétaires. Les clients achetaient des puces prêtes à l'emploi, qui avaient des capacités souvent sans rapport avec leur produit. Mais avec l’arrivée de RISC-V, une norme ouverte, n'importe qui peut à présent concevoir facilement une puce, personnalisée et performante. 

RISC-V spécifie les normes de conception pour le jeu d'instructions d'une puce informatique. Ce jeu d'instructions décrit les opérations de base qu'une puce peut effectuer pour modifier les valeurs représentées par ses transistors, par exemple, comment ajouter deux nombres. RISC-V propose également d'autres normes de conception pour les entreprises à la recherche de puces aux capacités plus complexes. Environ 3 100 acteurs dans le monde, y compris des entreprises et des institutions académiques, collaborent désormais à l’amélioration et à la standardisation de cet outil. En février 2022, Intel a annoncé un fonds d'un milliard de dollars qui soutiendra les entreprises qui construisent des puces RISC-V. Les puces RISC-V ont déjà fait leur apparition dans les écouteurs, les disques durs et les processeurs AI, avec 10 milliards de cœurs déjà produits. Dans quelques années, ces puces RISC-V seront partout. 

Autre innovation repérée par le MIT, l’apparition en nombre de drones militaires performants et bon marché. Autrefois hors de portée des petites nations en raison de leur complexité et de leur coût (C’était le cas du Predator et du Reaper, américain, qui ont dominé le marché des drones de combat pendant des décennies), ces drones militaires de nouvelle génération sont à présent fabriqués à partir de composants grand public, à des prix qui les rendent accessibles à tous les pays, mais également à des organisations criminelles. L’exemple emblématique de cette rupture stratégique est le Bayraktar TB2 turc, largement utilisé dans les récents conflits, en Arménie et en Ukraine.

On a également pu voir le rôle joué par les drones explosifs Shahed de fabrication iranienne (pour un coût de seulement 30 000 dollars), que la Russie a utilisés pour attaquer des cibles à Kiev. Quant au désormais fameux Bayraktar TB2 (5 millions de dollars l’unité), fabriqué par la société turque Baykar, il affiche des capacités remarquables. Il se déplace à des vitesses allant jusqu'à 200 km/heure, et peut rester en l'air pendant 27 heures. Lorsqu'il est associé avec des caméras qui peuvent partager des vidéos avec des stations au sol, le TB2 devient un outil puissant pour à la fois cibler les bombes à guidage laser transportées sur ses ailes et téléguider les tirs d'artillerie depuis le sol. L'armée turque utilise ces redoutables drones contre les Kurdes depuis 2016. Ces engins polyvalents ont également été utilisés en Libye, en Syrie et en Éthiopie, ainsi que par l'Azerbaïdjan lors de sa guerre contre l’Arménie. L'Ukraine en a acheté six en 2019 pour des opérations militaires dans le Donbass, mais ces drones ont attiré l'attention du monde au début de 2022, lorsqu'ils ont été utilisés contre l’armée russe.

Le MIT a également distingué les nouvelles techniques de recyclage des batteries, qui devraient, selon lui, accélérer sensiblement la montée en puissance des véhicules électriques. Jusqu’à récemment, les méthodes de traitement des batteries usagées avaient du mal à récupérer de manière fiable et rentable des quantités suffisantes des différents métaux entrant dans la composition des batteries, aluminium, cuivre, nickel, manganèse, cobalt, lithium, molybdène. Mais grâce à de nouvelles techniques de séparation chimique fine, les installations de recyclage peuvent désormais récupérer la quasi-totalité du cobalt et du nickel et plus de 80 % du lithium des batteries usagées. Résultat, les entreprises de recyclage prévoient de revendre ces métaux à un prix presque compétitif par rapport à celui des matériaux extraits.

Le MIT souligne que la Chine est aujourd'hui le leader mondial du recyclage des batteries, dominé par des filiales de grandes entreprises de batteries comme CATL. Face à cette situation, l'UE est en train de faire adopter un ambitieux cadre réglementaire, imposant un haut niveau de recyclage à tous les constructeurs de batteries. Les dernières prévisions de BloombergNEF prévoient plus de 70 millions d'immatriculations annuelles de voitures électriques en 2040, soit près de 90 % du marché. La demande de batteries devrait donc croître de façon exponentielle pendant des décennies et, face à l’épuisement accéléré des ressources en lithium, ces nouveaux outils de recyclage devraient contribuer à satisfaire cette énorme demande.

La dernière innovation, mais non la moindre, reconnue par le MIT cette année, est le désormais célèbre télescope spatial James Webb - JWST- dont les images à couper le souffle du cosmos lointain ne cessent de susciter l'émerveillement des scientifiques et du grand public. Lancé en décembre 2021, au terme de trente ans de recherche, le télescope spatial James Webb, résultant d’une fructueuse collaboration entre les États-Unis, l'Europe et le Canada, est le plus grand télescope jamais envoyé dans l'espace. Il est 100 fois plus puissant que son prédécesseur, le télescope spatial Hubble. Il est également spécialement conçu pour détecter le rayonnement infrarouge, ce qui lui permet de voir à travers la poussière et de regarder loin dans le temps jusqu'à une période où les premières étoiles et galaxies de l'Univers se sont formées. 

Parmi les exploits réalisés au cours de la mise sur orbite de cet engin extraordinaire, à plus d’un million et demi de km de la Terre, il faut évoquer le déploiement d’un pare-soleil aussi grand qu'un court de tennis pour protéger son miroir et ses instruments de la chaleur et de la lumière du soleil. Le JWST vient d’observer, il y quelques jours, six galaxies géantes qui existaient déjà seulement 500 millions d’années après le big bang, ce qui est en contradiction avec toutes les théories cosmologiques et va obliger les astrophysiciens à une profonde remise en question théorique de l’évolution de notre Univers. Il y a quelques semaines, ce magnifique instrument a également détecté, dans un nuage ultrafroid de gaz, situé à 500 années-lumière de la Terre, la présence de molécules organiques complexes, qui, elles aussi, n’auraient pas dû s’y trouver, ce qui relance le fascinant débat scientifique des conditions d’émergence de la vie dans le Cosmos.

Le MIT souligne, à juste titre, que ces remarquables innovations de rupture n’ont été possibles que dans le cadre d'une stratégie de recherche à long terme, d’une coopération interdisciplinaire exemplaire et d’un partenariat fécond entre secteur public et privé. Souhaitons que ce bel élan scientifique se poursuive, car notre planète, confrontée à d’immenses défis, dont le changement climatique, la lutte contre de nouvelles et meurtrières pandémies, ou le vieillissement inexorable de la population, a plus que jamais besoin de grandes avancées conceptuelles et d’innovations technologiques de rupture…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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