Faut-il encore irradier après mastectomie ? Une étude sur 1600 patientes à risque intermédiaire montre que la radiothérapie n'améliore pas la survie. Une incitation à personnaliser les décisions. La mastectomie reste le traitement standard pour environ un tiers des patientes atteintes de cancer du sein de stades I et II. Parmi celles-ci, les patientes présentant une atteinte ganglionnaire limitée ou sans atteinte ganglionnaire mais avec des facteurs histologiques défavorables sont identifiées comme ayant un risque de rechute locale.
De grands essais danois et canadiens, publiés à la fin des années 90, avaient démontré que la radiothérapie post-mastectomie réduisait significativement le risque de récidive locorégionale et améliorait la survie à long terme des patientes ayant une atteinte ganglionnaire. Toutefois, d’importantes avancées thérapeutiques ont eu lieu depuis, en chimiothérapie, hormonothérapie et traitements anti-HER2, qui ont permis de réduire de façon importante la mortalité par cancer du sein. Ces avancées autorisent une remise en question de la pertinence de ces précédents résultats, rapportés aux thérapeutiques actuelles.
C’est ainsi que le rôle de la radiothérapie pariétale après mastectomie, pour des patientes à risque intermédiaire (atteinte de 1 à 3 ganglions axillaires ou maladie N0 avec facteurs défavorables), fait l’objet d’interrogations depuis quelques années. Une équipe internationale vient de publier dans le New England Journal of Medicine les résultats de l’essai SUPREMO (Selective Use of Postoperative Radiotherapy after Mastectomy), afin de déterminer, dans le contexte thérapeutique actuel, si l’absence d’irradiation pariétale après mastectomie influence la survie globale à long terme, chez des patientes atteintes d’un cancer du sein à risque intermédiaire. Plus de 1600 patientes ont été incluses, entre 2006 et 2013, après mastectomie et traitement systémique (chimiothérapie ± taxanes, hormonothérapie, ± trastuzumab). Les unes ont reçu une radiothérapie (40 à 50 Gy), les autres non.
Le critère principal était la survie globale à 10 ans. Les auteurs avaient anticipé une différence de 7 points de pourcentage en faveur de la radiothérapie adjuvante, ce qui préviendrait un nombre suffisant de récidives pour assurer un réel bénéfice sur la survie globale à 10 ans. Les données ne vont pas dans ce sens, puisque la survie globale à 10 ans est de 81,4 % dans le groupe avec radiothérapie et de 81,9 % dans l’autre groupe (HR 1,04 [IC à 95 % 0,82 à 1,30]), sans différence significative. Les récidives pariétales sont rares, de 1,1 % dans le groupe radiothérapie versus 2,5 % dans l’autre groupe (HR 0,45 [0,20 à 0,99]), soit un nombre nécessaire de patientes à irradier de 71 pour éviter une récidive pariétale, sans bénéfice en termes de survie. Les taux de survie sans maladie (76,2 % vs 75,5 %) et sans métastase à distance (78,2 % vs 79,2 %) sont équivalents.
Aucun sous-groupe ne semble tirer bénéfice de la radiothérapie. En revanche les auteurs relèvent une tendance défavorable avec la radiothérapie, pour les patientes triple négatives. Enfin, la toxicité de la radiothérapie est faible. L’incidence des effets indésirables pulmonaires de grade 2 est inférieure à 2 % et celle des effets indésirables cardiaques ou osseux est sensiblement identique dans les deux groupes.
L’éditorialiste du New England Journal of Medicine estime que ces données soutiennent une approche plus sélective des patientes pouvant bénéficier de la radiothérapie, d’autant que celle-ci reste associée à des effets indésirables tardifs (cardiaques, pulmonaires, carcinogènes) et à un impact négatif sur la reconstruction mammaire immédiate. Elle souligne toutefois que le contexte chirurgical a évolué depuis le début de l’essai et que le curage axillaire systématique n’est plus la norme, remplacé par la biopsie du ganglion sentinelle. Dès lors, la sécurité d’une double omission (ni curage, ni radiothérapie post-mastectomie) reste à démontrer.
D’autres essais sont en cours pour évaluer la possibilité de supprimer l’irradiation nodale chez les patientes à faible risque, notamment celles avec 1-2 ganglions positifs après mastectomie sans curage. L’éditorialiste note que cette étude est une étape importante vers une personnalisation raisonnée des traitements, mais invite à la prudence : les décisions de ne pas avoir recours à la radiothérapie doivent être pluridisciplinaires et individualisées, en tenant compte du risque réel de récidive, des traitements systémiques associés et des souhaits des patientes.