En dépit de leur utilité, les antibiotiques balaient trop souvent sans nuance les communautés microbiennes, fragilisant les patients déjà affaiblis. C’est précisément pour répondre à cette impasse que des chercheurs ont mis au point un antibiotique contre la maladie de Crohn aux effets ciblés, fruit d’une alliance inédite entre biologie moléculaire et intelligence artificielle. La plupart des antibiotiques utilisés en clinique agissent comme des bombes. Ils détruisent à la fois les bactéries pathogènes et les microorganismes bénéfiques qui composent notre microbiote intestinal. Ce traitement à l’aveugle, bien qu’efficace sur certaines infections, favorise souvent l’émergence de bactéries résistantes, notamment dans le cas de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin comme la maladie de Crohn.
Les chercheurs de l’université McMaster, au Canada, ont découvert une molécule capable de changer cette donne. Baptisée enterololin, cette substance ne cible qu’un groupe restreint de bactéries pathogènes, dont certaines souches d’Escherichia coli directement impliquées dans l’aggravation de la maladie de Crohn. Contrairement aux traitements classiques, elle préserve l’équilibre du microbiote tout en neutralisant les agents infectieux les plus agressifs. L’étude, publiée dans la revue Nature Microbiology, montre que ce nouvel antibiotique agit de manière sélective contre la famille des Enterobacteriaceae, sans provoquer de bouleversement dans la flore intestinale des modèles animaux. Des résultats qui ouvrent la voie à un traitement plus doux mais redoutablement efficace pour des milliers de patients confrontés à l’impasse thérapeutique.
Traditionnellement, il faut des années de recherches et des millions d’euros pour comprendre précisément le mode d’action d’un médicament. Cette étape, cruciale pour l’évaluation de son efficacité et de sa sécurité, ralentit considérablement la mise à disposition des traitements. C’est sur ce point que les chercheurs ont innové en s’appuyant sur un modèle d’intelligence artificielle développé par le MIT. En seulement quelques secondes, cette IA nommée DiffDock a prédit la cible moléculaire d’enterololin. Elle a identifié un complexe protéique, LolCDE, indispensable à la survie de certaines bactéries intestinales pathogènes. Ce résultat a guidé les chercheurs dans leurs vérifications expérimentales, menées en laboratoire par l’équipe de Jon Stokes. En six mois, ils ont confirmé que la molécule agissait bien comme prévu, économisant ainsi près d’un an et demi sur les délais habituels et divisant les coûts par trente.
Cette collaboration inédite entre biologie et intelligence artificielle démontre que les algorithmes peuvent accélérer le développement de médicaments en réduisant les incertitudes. Ce n’est plus seulement une question de vitesse, mais de précision. En anticipant le comportement d’une molécule, l’IA permet de limiter les tâtonnements et de concentrer les efforts là où ils sont les plus utiles. Au-delà de la maladie de Crohn, l’identification d’enterololin pourrait bien marquer un tournant dans la lutte contre les infections résistantes. Les premières expérimentations menées par l’équipe de recherche montrent que la molécule agit aussi sur d’autres bactéries problématiques comme Klebsiella, sans provoquer de toxicité sur les cellules humaines
Mc Master University : https://news.mcmaster.ca/researchers-discover-new-antibiotic-for-ibd-and-ai-correctly-predicts-how-it-works/