A nouveau le monde rural souffre.
La très forte augmentation des carburants dans ces derniers mois, chacun ayant acquis maintenant la certitude que cette tendance haussière va perdurer, et s’installer de manière définitive, a pour première conséquence, pour le monde rural, de voir le nombre de nouveaux arrivants fondre comme neige au soleil.
Alors que jusqu’à la fin de la première décennie du 21e siècle, les gens acceptaient de faire près de 100 kilomètres, chaque jour, pour aller et revenir de leur travail, cette distance totale absolue quotidienne dépasse aujourd’hui rarement les 50 km.
Les plus pénalisés actuellement sont ceux qui, il y a quelques années, ont fait construire leur résidence principale à quelque 50 km de leur lieu de travail. Chaque mois, ils constatent combien leurs budgets « voitures » pèsent de plus en plus lourd dans les comptes familiaux.
A nouveau fleurissent, dans les petits villages, les panneaux « Maison à vendre » ou « Maison à louer ».
Par ailleurs, dans de nombreuses régions rurales de France, des petites et moyennes entreprises industrielles qui s’étaient installées, au cours de ces dernières décennies, dans ces régions mal desservies, grâce à des aides publiques du Département, des Régions, de l’État ou de l’Europe, sont, elles aussi, secouées par la crise qui touche l’ensemble de l’Europe. Elles sont nombreuses à réduire la voilure. Beaucoup ont même disparu, sans bruit, sans tapage médiatique, comme cela s’était déjà passé au 20e siècle, avec l’extinction de la mono activité dans le monde rural. S’appuyant souvent sur la sous-traitance, ces entreprises n’ont pas eu le temps d’enfoncer assez profondément leurs racines dans ces nouveaux territoires de conquête, pour pouvoir résister aux vents de tempêtes générés par la mondialisation.
Or, à l’encontre de ce qui se passait encore en 1950, ce n’est plus l’agriculture qui permet au monde rural de survivre.
Aujourd’hui, sur 100 enfants qui naissent dans le monde rural, seulement 4 ou 5 trouveront leur avenir dans l’agriculture.
Aussi, alors que pendant plusieurs décennies, les jeunes ruraux avaient été de plus en plus nombreux à s’installer dans la région de leur naissance, grâce à l’implantation de petites usines un peu partout sur l’ensemble du territoire, depuis le début de la crise qui nous frappe, le mouvement s’est inversé.
Seules les régions fortement desservies par des autoroutes voient des zones d’activités se créer dans un rayon maximal de 5 km autour d’une sortie autoroutière, mais le reste du territoire rural, et cela représente l’immense majorité du sol national, est de moins en moins attractif pour inciter à la création de nouvelles entreprises de production, créatrices d’emplois.
Dans ce constat de régression, il ne faut pas oublier le rôle singulier joué par la grande distribution. L’installation d’une grande surface, avec son poste à essence, dans chaque chef-lieu de canton de France, a obligé tous les petits commerces des villages à fermer les uns après les autres.
En dehors des drames personnels souvent vécus par ces petits commerçants, les conséquences d’une telle politique de concentration commerciale sont préoccupantes. Ceci veut dire que toute personne ne sachant pas conduire, n’ayant pas de voiture, étant donc dépendante pour ses déplacements, ne peut plus habiter un petit village de France.
Or, quand on connaît la pyramide des âges des populations du monde rural, en France, nous ne pouvons qu’être saisis d’effroi en prenant conscience que dans quelques courtes décennies, nos Départements les plus ruraux comme la Creuse, la Lozère (ou la Corrèze…) vont devoir exporter (j’étais prêt à écrire « exiler ») leurs personnes âgées, car il ne restera plus suffisamment d’actifs sur leur territoire pour s’occuper de nos aînés !
Aussi, si vraiment nos gouvernants veulent ramener l’Espérance et le Bonheur chez les Français, il est urgent que le monde rural soit placé en tête des priorités pour réussir l’Avenir !
Dans la compétitivité mondiale, il est certes indispensable que la France dispose de plusieurs agglomérations multimillionnaires particulièrement efficaces et intelligentes pour séduire le reste du Monde.
Mais, par ailleurs, prenons bien conscience que la transformation de notre monde rural en un ensemble sous habité serait une terrible catastrophe pour notre Pays.
Comme nous le vérifions, actuellement, jour après jour, le peuple grec, qui traverse actuellement une crise qu’il n’avait pas connue depuis l’époque ottomane, retrouve un peu de Bonheur quand une partie significative de ses membres peut quitter la grande et misérable agglomération d’Athènes, pour aller se réfugier, même en n’y exerçant que de petits boulots, dans les régions rurales du Péloponnèse ou de la Crète.
L’avenir appartient au monde rural, ne l’oublions pas !
Les nouveaux métiers, qui vont devenir prédominants dans notre société à partir de 2020, n’auront plus besoin de terre ou de matière pour s’exercer.
Ils n’auront besoin que de signal. Toute personne connectée au réseau mondial, et ce à haut débit, qu’elle se trouve dans une tour de la Défense ou dans une maison isolée de l’Aubrac, aura la même capacité d’exercer le même métier d’avenir.
Or, imaginons que vous ayez demain un choix de résidence à faire. Vous aurez la capacité d’exercer le même métier, avec la même rémunération, les mêmes espérances de promotion, les mêmes possibilités d’accès au savoir, à la formation, à la culture, pour vous et vos enfants, quel que soit votre lieu de résidence en France.
Que choisirez-vous ? Habiter le cœur de Paris ou reposer vos neurones à Plogoff, face à l’océan ?
Je l’affirme, le monde rural a un très bel avenir, mais il est grand temps que ceux qui nous gouvernent prennent conscience de l’importance de l’enjeu.
N’oublions pas que nous habitons le plus grand pays (en surface) de l’Europe. Nous sommes à une époque où il faut savoir saisir toutes nos chances.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat