Dans mon édito du 25 Mai dernier, j’ai voulu vous montrer comment le développement rapide des nouvelles technologies (automatisation intégrale de tous les déplacements individuels dans les agglomérations urbaines) pourrait donner un réel « coup de booster » à notre économie, donc participer à la relance tant recherchée par les Français et même par tous les Européens actuellement…
Aujourd’hui, je voudrais vous montrer que nous pourrions imaginer autrement certains très grands investissements, sans nécessairement demander à l’Etat d’apporter de fortes subventions d’équilibre, alors qu’il n’en peut plus !
Le Département du Rhône (1.700.000 habitants) est le seul département de France où toutes les communes, de la plus grande, Lyon avec 480.000 habitants, jusqu’à la plus petite, Saint Mamert (dans le haut Beaujolais) avec ses 62 habitants, sont entièrement desservies par la fibre optique.
Tous les Rhodaniens qui accèdent à ce réseau optique peuvent bénéficier de connexions qui leur délivrent quelque 100 Mégabits/seconde, avec un temps de réponse inférieur à 20 millisecondes, alors que la dernière étude nationale de Degrouptest montre que l’internaute français surfe, en moyenne, à un débit de 8,64 mégabits/seconde avec un temps de réponse de 73 millisecondes.
Et pourtant, ce réseau d’avant-garde, construit dans les années 1990, n’aura pas coûté un seul centime à l’Etat (aucune subvention n’a été demandée à l’Etat et à l’Europe), et l’Assemblée Départementale du Rhône aura intégralement récupéré, à la fin de la concession, les 500 millions de francs (76 millions d’euros) qu’elle a avancés en 1995, pour permettre la réalisation de cette opération exceptionnelle (1).
Comment cela est-il possible ?
Simplement en obtenant des opérateurs que tous les usages (hors la télévision) que font les collectivités publiques (Communes, Département, Région, Etat…) de ce réseau optique construit avec l’aide de l’argent public, soient gratuits pour ces collectivités.
Ainsi, aujourd’hui, toutes les Communes du Rhône (ce qui représente des milliers de prises) disposent gratuitement du très haut débit pour desservir tous leurs locaux auxquels il faut ajouter les écoles, les collèges, les lycées, les centres de secours, les centres sociaux, les établissements publics de santé, etc… et même le téléphone gratuit ou de la télésurveillance, s’ils s’organisent pour.
Selon les études officielles réalisées par les services du Conseil Général du Rhône, cela représente, pour 2011, une économie globale de quatre millions d’euros qui n’ont pas été versés aux opérateurs d’Internet et de téléphonie (Orange, SFR, Bouygues, Free, etc…) pour obtenir les mêmes services.
Or, si l’annuité de l’emprunt souscrit par le Conseil Général du Rhône s’élève encore aujourd’hui à 7 millions d’euros, celle-ci tombera à moins de 1 million d’euros en 2014 alors que l’économie réalisée par les collectivités publiques du Rhône s’élèvera toujours au moins à 4 millions d’euros, par an, et ce jusqu’en 2025, date de fin de la concession.
Ainsi, la preuve est apportée que la subvention, en dehors de celle de la collectivité directement bénéficiaire du service apporté, n’est pas nécessaire pour les 25 à 30 départements français dont la population dépasse les 800.000 habitants.
Par contre, l’État et l’Europe doivent se mobiliser sur les Départements peu peuplés (en cet instant, je pense à la Lozère) où le modèle économique (gratuité de tous les services publics obtenus sur ces réseaux) décrit ci-dessus n’est pas imaginable car le nombre de points publics gratuits ramené au montant de l’investissement serait trop faible.
Mais, même pour ces Départements, souvent très étendus, et très peu peuplés, il y a des procédures de construction beaucoup moins coûteuses des réseaux optiques qui pourraient être mises en œuvre. Ceci permettrait à des populations isolées, qui aujourd’hui n’ont même pas accès à l’ADSL, de retrouver l’espoir, tant elles ont conscience de l’importance du très haut débit pour maintenir la vie dans leurs villages et leurs hameaux, et surtout garder auprès d’elles les jeunes générations qui, sans ces emplois générés par les nouvelles technologies, devraient s’exiler vers d’autres régions mieux équipées.
Pour aborder l’Avenir, il nous faut savoir échapper aux schémas du Passé.
Aujourd’hui encore, beaucoup pensent qu’il n’est pas possible d’imaginer un grand équipement sans que l’État n’intervienne avec des capitaux importants. Or, dans notre nouveau modèle d’économie en réseaux, il est bien préférable que des millions d’utilisateurs apportent une contribution minime au lieu de demander à l’État des millions sinon des milliards de subventions et que les opérateurs sachent rendre gratuits certains usages pour permettre à des investisseurs spécifiques de bénéficier d’un juste retour sur investissement.
Cette nouvelle approche pragmatique donnera, certes, au Politique et au Haut Fonctionnaire, l’impression, justifiée, de détenir moins de pouvoirs mais ne s’inscrit-elle pas dans le droit fil de l’attente de nos concitoyens ?
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
(1) - L’investissement global permettant de desservir toutes les communes du Rhône s’est élevé (à l’origine) à 1,5 Milliard de Francs (228 M€) (programme réalisé de 1995 à 2000). Sur cette somme globale, l’entreprise ayant emporté l’appel d’offres international (Time Warner) a apporté 1 milliard de francs (152 M€) et la collectivité (le Département du Rhône) a apporté une subvention d’équilibre de 500 millions (76 M€).
Il faut remarquer que la somme apportée, alors, par la collectivité pour réaliser cet investissement extraordinaire, ne représentait qu’un tiers des sommes nécessaires, alors que maintenant, il est souvent exigé des collectivités qu’elles apportent les deux tiers du budget si elles veulent voir un opérateur s’intéresser à leur projet !
Or, ce rapport 1/3 pour l’apport en argent public et 2/3 pour l’argent privé s’est montré particulièrement pertinent dans le temps et aucune dérive n’a été constatée.
Ainsi, un contrôle budgétaire officiel, remis ces temps derniers au Conseil Général du Rhône, vient de préciser que depuis l’origine de la construction du réseau optique du Rhône, en 1994, il y a eu 86 millions d’euros qui ont été apportés en argent public alors que dans le même temps les investisseurs privés ont apporté 190 millions. Ce qui donne un ratio du réellement dépensé depuis l’origine de ce réseau de 31% pour l’argent public et 69 % pour les capitaux privés.
Les résultats sont encore meilleurs que les prévisions faites à l’origine, en 1994, ce qui, vous en conviendrez, est particulièrement rare pour les investissements publics dans notre Pays.