Il y a quelques jours, la Cour des Comptes a publié un rapport très attendu, le premier du genre, sur les coûts réels de la production d'électricité nucléaire en France. Ce rapport passionnant nous apprend que le montant total des investissement réalisés en France depuis 1957 dans le domaine du nucléaire civil se monte à environ 121 milliards d'euros constants (valeur 2010). Au total, chaque MW nucléaire installé a donc coûté 2 millions d’euros en investissements.
Si l’on fait à présent le ratio production électronucléaire annuelle (410 milliards de kWh) sur investissements, on obtient un coût de production annuelle (hors maintenance) de 30 centimes par kWh nucléaire produit.
Ce rapport essaye également d'estimer le coût des charges à venir, ce qui constitue un exercice délicat, compte tenu des incertitudes économique, politiques et technologiques dans ce domaine.
Ce coût prévisionnel comporte trois composantes majeurs : d'abord le démantèlement des centrales qui arriveront en fin de vie dans les décennies à venir. Ce démantèlement représente un coût qui varie, selon les experts, de 18 à 30 milliards d'euros pour nos 58 réacteurs actuels. Vient ensuite la maintenance et la mise aux nouvelles normes de sûreté décidée à la suite de la catastrophe de Fukushima : 50 milliards d'euros à prévoir d'ici 2025. Enfin, la dernière composante concerne le retraitement et le stockage à long terme des déchets hautement radioactifs qui représentent un coût beaucoup plus difficile à cerner mais qui est estimé à une fourchette qui va de 28 à 35 milliards d'euros.
Parallèlement à ce rapport de la Cour des Comptes, le Commissariat à l'Energie Atomique a publié un rapport envisageant différents scénarios de sortie du nucléaire. Le CEA a comparé une hypothèse dans laquelle la production d'électricité nucléaire reste à son niveau actuel d'environ 75 % (le solde étant assuré à 11 % par l'hydraulique, 10 % par d'éolien, 2 % par le solaire et 2 % par le gaz) à une autre hypothèse envisageant une sortie complète du nucléaire d'ici 2025 avec le scénario énergétique suivant : 60 % d'éolien, 12 % de solaire, 16 % de gaz et 12 % d'hydraulique. Le premier scénario supposerait un investissement de 178 milliards à 212 milliards d'euros alors que le scénario de sortie du nucléaire entraînerait un investissement bien plus important, de l'ordre de 352 à 560 milliards d'euros.
Ces études confirment, comme nous l'avons déjà souligné dans cette Lettre, que, sauf à l'étaler sur une période très longue (au moins un demi-siècle), une sortie complète du nucléaire serait non seulement très coûteuse pour notre Pays mais entraînerait de surcroît une augmentation sensible de nos émissions de CO2 (moins de 6 tonnes par an et par habitant, contre 10 tonnes pour un allemand et 8 tonnes pour un européen) incompatible avec nos engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique. On peut bien sûr nier cette réalité pour des raisons idéologiques mais elle n'en demeure pas moins vraie !
Reste que l'utilisation massive et durable de l'énergie nucléaire en France pose un vrai problème d'acceptabilité sociale qui nécessite une transparence totale et une information beaucoup plus complète de nos concitoyens des spécificités de cette énergie.
A cet égard, il faut souligner que la question redoutable et sensible de la gestion des déchets hautement radioactifs est en train d'être bouleversée par deux ruptures technologiques majeures.
La première concerne la transmutation qui vise à transformer les déchets très radioactifs en éléments beaucoup moins radioactifs et à durée de vie courte en les bombardant par des neutrons produits par un réacteur spécialement conçu à cet effet. L'Europe a en effet lancé le projet très prometteur du réacteur de recherche Myrrha (Multi-purpose hybrid research reactor for high-tech applications), conçu par le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCK-CEN). Ce projet vient de démontrer, il y a quelques semaines, la faisabilité technique, via la fission nucléaire, de la transmutation des déchets radioactifs à longue durée de vie en déchets à courte durée de vie.
Grâce à ce réacteur Myrrha, il est désormais envisageable de traiter une importante catégorie de déchets nucléaires, les actinides ainsi que le plutonium, le neptunium, l'américium et le curium. Après une irradiation appropriée par une réaction de fission, ces éléments très radioactifs à longue durée de vie se transforment en éléments à durée de vie beaucoup plus courte (3 à 7 ans). Cette transformation va bouleverser complètement la donne en matière de stockage et de retraitement des déchets nucléaires car, non seulement elle permet de réduire considérablement la toxicité et la durée de vie des déchets hautement radioactifs, mais elle peut également être utilisée pour produire, à partir des déchets initialement dangereux, des substances très utiles, comme le Xénon, un gaz rare, du silicium dopé, indispensable à l'industrie électronique ou encore des radio-isotopes thérapeutiques pour traiter le cancer qui sont actuellement très difficiles à obtenir en quantité suffisante.
Parallèlement à ces progrès considérables dans la transmutation des déchets radioactifs, la communauté scientifique poursuit activement ses efforts pour parvenir à réaliser la séparation complète des actinides mineurs, composants majeurs des déchets radioactifs issus des centrales nucléaires. Un prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides au sodium, nommé « Astrid », devrait être opérationnel en 2020.
Ce réacteur de 4ème génération, à neutrons rapides au sodium, présente un véritable saut technologique, pourquoi ? Parce que cette nouvelle génération de réacteur sera capable de transformer la totalité de l’uranium 238 en plutonium 239, ce qui multipliera par 100 les ressources fissiles primaires mondiales.
Autre avantage, ces réacteurs pourront brûler les actinides mineurs qui constituent la majeure partie des éléments radioactifs à vie longue. A l'issue de ce retraitement, il ne restera donc que des produits de fission faiblement radioactifs pendant 300 ans et facilement stockables.
Enfin, une autre voie, encore plus radicale, est en cours d'expérimentation : la réinjection géothermique. Des chercheurs russes basés au Kamtchatka (Extrême-Orient russe) sont en effet parvenus à enfouir des déchets nucléaires à une température élevée (350°) dans des systèmes hydrothermaux. Ces expérimentations ont montré que l'enfouissement des déchets nucléaires, dans ces conditions particulières de pression, de température et de configuration géologiques, débouche sur la formation de combinaisons chimiques et géologiques stables et inoffensives.
La neutralisation des déchets par la voie géothermique pourrait donc offrir à terme une solution simple, peu coûteuse et parfaitement sûre à la question du retraitement et de la gestion des déchets nucléaires ultimes. Une telle injection de déchets nucléaires par voie géothermique n'aurait aucune conséquence pour l'environnement car la quantité de déchets injectés serait insignifiante par rapport aux volumes de ces flux. Cette voie technologique a d'ailleurs été validée par l'AIEA.
Ces progrès majeurs en cours dans le domaine de la séparation des actinides et de la transmutation ne pourront certes se substituer au stockage souterrain mais il vont permettre, d'une part, de réduire considérablement la quantité et la toxicité des déchets à entreposer et d'autre part, de produire à un niveau industriel de multiples matériaux et substances utiles à notre développement économique. Transformée par ces ruptures technologiques, l'énergie nucléaire va donc entrer dans une nouvelle ère et pourra, il faut l'espérer, être utilisée à une large échelle pour répondre à la soif d'énergie de la planète, sans contribuer à l'aggravation du réchauffement climatique et dans le cadre d'une utilisation durable et d'un niveau de risques acceptable par nos sociétés.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat