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Edito : Les ondes térahertz : une révolution scientifique et médicale en cours…

Pour vous sortir, pendant quelques minutes, de la polarisation qui frappe actuellement nos concitoyens avec le coronavirus, je vous invite à lire cet édito qui vous emmène dans d’autres mondes…

Cette semaine, je vais évoquer une technologie porteuse de grandes potentialités, bien qu’elle soit encore relativement confidentielle et peu connue du grand public : les ondes térahertz. Ce type de rayonnement, après être longtemps resté une curiosité de laboratoire, est en train de bouleverser de nombreux domaines d’activités, de l’industrie à la médecine, en passant par les télécommunications et l’électronique.

Tout comme la lumière, les ondes térahertz sont des ondes électromagnétiques dont la fréquence s'étend de 100 GHz à 30 THz (100 à 30 000 milliards d’oscillations par seconde) environ, soit environ aux longueurs d'onde entre 0,01 mm et 3 mm. Il est donc situé, dans le spectre électromagnétique entre l’infrarouge (qui relève de l'optique) et les micro-ondes (qui appartiennent à la radioélectricité). Les propriétés des ondes THz sont extrêmement séduisantes. « Comme les micro-ondes, elles possèdent un fort pouvoir pénétrant leur permettant de traverser des matériaux comme les vêtements, le bois, le plastique. Et comme la lumière visible, elles se laissent focaliser, pouvant révéler des détails fins, de l’ordre du millimètre. Enfin, à l’inverse des rayons X, elles sont non ionisantes, et donc a priori sans danger pour le vivant », souligne le physicien Eric Freysz, du Laboratoire ondes et matière d'Aquitaine.

Mais pendant longtemps, les ondes THz ont été vues comme des curiosités de laboratoires, faute de sources et de détecteurs suffisamment performants. La première émission THz remonte certes à 1911, mais il a fallu attendre 1994 pour que soit inventé le premier laser T (pour Terahertz) à cascade quantique par les Laboratoires Bell. Ce nouveau type de laser permet de générer des impulsions lumineuses extrêmement brèves produites par un laser femtoseconde sur un matériau semi-conducteur mis sous tension. Ces impulsions laser ultrabrèves vont venir exciter les électrons, et ceux-ci vont alors émettre des ondes THz.

Mais ce dispositif avait toutefois un inconvénient majeur : il ne pouvait fonctionner qu’en étant refroidi à basse température (-200°C). En 2008, une nouvelle étape décisive a été franchie, avec la mise au point du premier laser térahertz à cascade quantique émettant à température ambiante, une percée réalisée par le laboratoire de physique de l'Université de Harvard.

Depuis quelques années, les applications pratiques des ondes térahertz ne cessent de s’étendre, sans que nous en soyons le plus souvent conscients. Ces ondes sont, par exemple, en train de révolutionner la sécurité dans les aéroports car elles traversent les vêtements mais sont réfléchies par le métal et absorbées par les molécules d'eau, ce qui permet de détecter facilement et rapidement des armes dissimulées. Ce type de faisceaux permet également la recherche rapide et non destructive d'objets dangereux dans les paquets sans avoir à les ouvrir.

Les ondes terahertz ont également bouleversé l’astrophysique et l’exobiologie, car elles permettent d’identifier de manière plus précise des signatures spectroscopiques correspondant à des molécules présentes dans le vide spatial, et qui ne seraient pas repérables par d’autres longueurs d'onde. Au cours de ces dernières années, ces ondes T ont permis de découvrir de nombreuses molécules organiques complexes, nécessaires à l’apparition de la vie, présentes, on le sait à présent, en grande quantité dans les nuages interstellaires qui parsèment le Cosmos.

En matière médicale, l'imagerie et la spectroscopie Terahertz sont également riches de promesses. Elles peuvent notamment permettre de différencier rapidement les types de tissus des tumeurs cancéreuses du sein excisées, comme l’a montré une étude américaine en juillet 2019 (Voir IOS Press). En France, des chercheurs du CNRS, en collaboration avec un laboratoire allemand, travaillent sur un système équivalent, qui permettra en 30 minutes de savoir, à l’issue d’une intervention, si toutes les cellules malignes ont bien été retirées. Les premiers essais cliniques de ce dispositif devraient commencer dès l'année prochaine.

Ces ondes peuvent également être utilisées dans le cadre d’un outil de spectroscopie, qui va pouvoir  mesurer le pouvoir d'émission ou d'absorption d'un matériau, et identifier ainsi la signature moléculaire spécifique de nombreuses substances. En utilisant les propriétés particulières des ondes térahertz, il sera donc prochainement possible de détecter de minuscules quantités d’explosifs, de drogues ou des agents pathogènes dissimulés sur des personnes, ou encore d’estimer le degré de fraîcheur de nombreux aliments, ou la concentration de substances polluantes dans l’air.

Les ondes térahertz (THz) sont non seulement en train de révolutionner les systèmes de sécurité et de l’imagerie médicale, mais elles promettent également de bouleverser l’électronique et les télécommunications. À l’EPFL, les chercheurs du Power and Wide-band-gap Electronics Research Laboratory (POWERlab), dirigé par Elison Matioli, ont présenté récemment un dispositif nanométrique (1 nanomètre équivaut à 1 millionième de millimètre) qui permet de produire de puissants signaux en quelques picosecondes (milliardièmes de secondes), et de les diffuser sous forme d’ondes térahertz. Cette technologie pourrait être intégrée dans les portables et permettre d’ici 5 ans de décupler le débit des liaisons sans fil, pour atteindre les 100 Gbits/s.

Une autre équipe de recherche associant des scientifiques des universités de Leeds et Nottingham a développé un concept original qui combine les propriétés des ondes acoustiques et lumineuses pour faire vibrer les puits quantiques à l’intérieur du laser à cascade quantique (Voir University of Nottingham). Ces chercheurs pensent également parvenir à atteindre 100 gigabits par seconde, soit environ mille fois le débit d’un câble Ethernet de qualité, en utilisant des lasers Térahertz à cascade quantique.

En 2018, Uriel Levy et son équipe de l’Université hébraïque de Jérusalem ont développé un concept pouvant aboutir à la production d’une micro-puce Térahertz « révolutionnaire ». Cette nouvelle technologie pourrait être utilisée sur tous nos outils de communication et augmenterait leur efficacité d’un facteur 100, voire plus. Situées dans la gamme de l’infrarouge lointain, entre l’infrarouge moyen et les micro-ondes, les ondes Térahertz (10^12 hertz) peuvent maintenant être injectées dans des fibres optiques et transportées sur des centaines de kilomètres sans qu’elles ne soient absorbées par la vapeur d’eau. Les travaux sur les ondes Térahertz ouvrent la voie à d’importantes applications dans les domaines de la médecine, de la sécurité, de l’environnement et de la communication.

Il y a quelques semaines, une équipe de physiciens anglais a également révélé un nouveau type de transistor optique. Il s’agit d’un véritable amplificateur Térahertz, constitué d’un sandwich fait de couches de graphène et d’un supraconducteur à haute température, ce qui permet de piéger les électrons. Ce transistor permet de transformer les photons THz en électrons sans masse, puis de retransformer ces derniers en photons THz à haute énergie.

Soulignons que cette révolution des ondes terahertz ne fait que commencer, car pour les générer, les scientifiques peuvent à présent s’appuyer sur plusieurs types de laser. En 2019, des ingénieurs de l’Université de Bochum ont par exemple utilisé les changements de spin des photons pour concevoir des lasers à très faible consommation d’énergie qui peuvent fonctionner à la température ambiante et transmettent cinq à dix fois plus de données que leurs homologues conventionnels (Voir Nature).

En France, après dix ans de recherches, le spécialiste de l'image, i2s, basé à Pessac (Gironde), a présenté il y a trois ans, en collaboration avec le CEA, le premier prototype fonctionnel de caméra utilisant des ondes térahertz (0,3 - 10 THz). Dans cette caméra Térahertz, chaque pixel correspond à un capteur à infrarouge qui permet d'identifier et de représenter un objet selon sa température d'émission. Chaque pixel est ensuite numérisé et transformé en niveaux de gris. Ce nouveau type de caméra, d’une extrême sensibilité, devrait trouver de multiples applications dans des domaines aussi variés que la sécurité, la défense, l’industrie, la médecine ou la biologie.

Mais ces ondes térahertz pourraient également devenir une source d’énergie alternative d’ici quelques courtes années. Jusqu’à présent, on ne savait pas récupérer l’énergie véhiculée par ces ondes térahertz, faute de disposer d’une technologie permettant de capter cette énergie, pour la réutiliser. En effet, les redresseurs conventionnels, conçus pour convertir les ondes basses fréquences, en utilisant un circuit électrique avec des diodes pour générer un champ électrique, ne sont pas capables de fonctionner correctement dans le spectre de très hautes fréquences utilisé par les ondes térahertz.

Mais des physiciens du MIT ont développé un concept qui permet de convertir les ondes térahertz ambiantes en un courant continu, la forme d’électricité qui alimente de nombreux appareils électroniques domestiques. Ces scientifiques américains ont montré qu’en combinant le graphène avec du nitrure de bore, les électrons issus de ce graphène étaient contraints d’aligner leur mouvement de manière ordonnée. Ce phénomène, qui découle des étranges lois de la physique quantique, peut donc permettre de guider la circulation des électrons dans une direction précise, afin d’orienter les ondes térahertz, et de les transformer en un courant continu. Cette découverte fondamentale est très importante car elle ouvre la voie à la possibilité de pouvoir recharger et alimenter directement de nombreux appareils électroniques et numériques, à l’aide de faisceaux terahertz.

Cette brève présentation des remarquables avancées intervenues récemment dans ce domaine plutôt confidentiel des ondes térahertz est révélatrice d’une réalité trop souvent ignorée ou négligée : les innovations de rupture, et les ondes térahertz en sont une, se font souvent à la jonction de plusieurs disciplines, pas forcément habituées à collaborer, et résultent à la fois de progrès en recherche appliquée et d’avancées plus conceptuelles, en recherche fondamentale. C’est pourquoi il est très important d’organiser la Recherche de façon à lui laisser une véritable souplesse de fonctionnement et de permettre la plus large transdisciplinarité possible.

Cela suppose notamment que les chercheurs puissent avoir la possibilité institutionnelle d’évoluer, à certains moments de leur parcours, dans des domaines qui ne sont pas forcément rattachés à leur discipline d’origine. Cela suppose également, et ce point est crucial, que la recherche publique accepte le principe de certains programmes de recherche à longue échéance, sans cahier des charges, ni objectifs trop définis, afin de favoriser l’avènement de ces grandes ruptures scientifiques et technologiques, dont l’histoire des sciences nous montre qu’elles sont presque toujours inattendues.

Ces principes d’ouverture conceptuelle et disciplinaire sont d’ailleurs également vrais pour l’ensemble de la recherche. Alors que le monde entier a actuellement mobilisé toutes ses forces scientifiques pour comprendre et combattre la pandémie de Coronavirus qui nous frappe, on prend bien conscience, chaque jour d’avantage, que la collaboration interdisciplinaire est féconde pour avancer dans notre connaissance de ce déroutant virus. Et en retour, il est très probable que cet effort exceptionnel de recherche au niveau mondial sur le Covid-19 aura des retombées très positives dans de multiples autres champs de la recherche biologique et médicale, cardiologie, cancérologie, gériatrie, neurosciences notamment.

C’est en cultivant et en préservant cet esprit précieux d’ouverture scientifique et de coopération entre disciplines que nous parviendrons à réaliser les grande avancées qui, demain, permettront de nouvelles et spectaculaires améliorations de nos conditions de vie et se traduiront par des victoires décisives contre les fléaux naturels qui ne cessent de menacer l’Humanité.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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