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Les vendanges sous l’œil du ciel

A quelques semaines des premières vendanges dans le Bordelais, les viticulteurs scrutent le ciel et la terre. Depuis quelques années, certains d'entre eux surveillent aussi leur courrier avec la même attention. Entre le 15 juillet et le 15 août, selon la climatologie de l'année, ils reçoivent un CD d'images satellitaires infrarouges de leur propriété, prises à 800 kilomètres d'altitude, quinze à vingt jours avant la véraison, le stade où la baie change de couleur. "Ces informations sont très surprenantes", dit Patrick Bongard, directeur des 14 châteaux girondins du groupe Castel, un des premiers groupes viticoles français, basé à Blanquefort (Gironde).

Depuis trois ans, Géo-informationservices (GIS), une filiale du groupe Astrium Services, propose, en partenariat avec l'Institut coopératif du vin (ICV) – une coopérative de services, conseils techniques et distribution de produits œnologiques –, cette prestation baptisée "Œnoview".

L'idée de départ est simple : donner aux propriétaires une carte de leur vignoble sur laquelle ils peuvent voir de manière détaillée – avec une résolution de 2 mètres – l'état de végétation de leur vigne. "C'est un outil d'aide à la décision et un gain de temps, explique Jacques Rousseau, responsable des services viticoles au groupe ICV. C'est intéressant pour un chef d'exploitation, de plus en plus sollicité à l'extérieur, d'avoir une vision d'ensemble instantanée de son vignoble, qui lui permettra de le connaître à un instant T, comme s'il avait parcouru ses rangs un par un."

Cette cartographie satellitaire permet de déterminer avec précision l'hétérogénéité de maturité du raisin sur une même parcelle: plus la couleur tend vers le vert, plus la surface végétale est vigoureuse et importante; plus elle vire au rouge et au bleu, moins la végétation est développée. De cette observation, le chef d'exploitation peut tirer des conclusions, à commencer par les dates optimales de vendanges."Pour plusieurs de nos châteaux, nous pensions que toutes les parcelles étaient homogènes. En fait, ce n'est pas le cas, indique Patrick Bongard, utilisateur d'Œnoview depuis 2009. Nous avons alors décidé de ne pas vendanger certaines zones en même temps que les autres, pour ne prendre que le raisin le plus mûr possible." Au final, pour chaque château, la meilleure sélection des baies a permis de mettre 20 % de la production en premier vin, le plus élevé en qualité et le plus cher d'une propriété.

Il en va de même chez Fieuzal, grand cru classé de Pessac-Léognan, premier vignoble girondin à avoir testé ce système. "Cela m'aide à mieux sélectionner mes raisins et, notamment, sur une même parcelle, à récolter des lots différents à des moments différents, explique Stephen Carrier, son directeur. Je peux également mieux définir la texture de mes vins." Le nouveau cuvier construit cette année comprend même des cuves en fonction de ces lots et non plus en fonction des parcelles, comme c'est généralement le cas.

Ces cartes permettent aussi d'établir ou de conforter des hypothèses sur d'éventuels problèmes agronomiques: vignes vieillissantes, sol pauvre, utilisation trop importante de produits phytosanitaires, zones à fortes contraintes hydriques… Sur les conseils d'ICV, l'exploitant peut être incité à modifier ses pratiques culturales. "Toutes les propriétés ont vu leurs vinifications évoluer, assure Patrick Bongard. Le principe est basé sur la maturité des tanins : toutes les cuves issues des parcelles ou morceaux de parcelles apparaissant en jaune ou en rouge sur la carte sont vinifiées en privilégiant le tanin, alors que les cuves issues des parcelles vert clair à vert foncé sont vinifiées en privilégiant le fruit, car sinon, la structure tannique manquerait d'élégance." Dans ces mêmes vignobles, les intrants de produits phytosanitaires ont également été réduits de 20 %.

Ces cartes seront aussi des informations pour les générations futures. "Cela permet de laisser une trace. Avant, sous prétexte de secret, les propriétaires se croyaient les gardiens du temple et on se disait, seulement de manière orale, si telle parcelle était bonne ou non", confie Stephen Carrier, qui a souffert de ce manque d'informations à son arrivée, en 2007, à Fieuzal.

Depuis la commercialisation d'Œnoview, 6000 hectares de vignobles sont photographiés chaque année pour le compte d'une cinquantaine de clients, essentiellement dans le sud de la France. Il leur en coûte 70 euros par hectare: une "goutte d'eau" dans l'exploitation d'un vignoble, le retour sur investissement étant très rapide. Un réseau de conseil sur l'utilisation du système vient d'être installé dans le Bordelais, via six centres œnologiques. Des tests sont aussi en cours ou en projet en Grèce, au Maroc et au Japon.

Satellites et cartographies ne font pourtant pas tout. "On ne veut pas faire croire qu'il est possible de gérer sa vigne à partir d'un ordinateur ou même d'un outil comme celui-ci, admet Jacques Rousseau. L'expertise humaine reste indispensable."

Le Monde

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