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Edito : Le protocole de Kyoto : un petit pas pour l'humanité face à un immense défi de civilisation

Le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre est officiellement entré en vigueur le 16 février dernier. Ce document est le premier programme légalement contraignant destiné à lutter contre le changement climatique. Il s'inspire d'un plan lancé en 1992 au Sommet de la Terre de Rio, qui prévoyait à l'horizon 2000 la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre à leur niveau de 1990. Cet objectif n'a pas été atteint.

Défaut majeur, pour certains, du protocole de Kyoto, il n'inclut pas, au moins jusqu'en 2012, des pays en voie de développement tels que l'Inde, la Chine et le Brésil, qui abritent pourtant plus d'un tiers de la population mondiale. "C'est un grand pas en avant dans notre lutte contre ce qui constitue l'un des plus grands défis du 21e siècle : le changement climatique", a déclaré le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, dans un discours préenregistré censé être diffusé lors de la cérémonie prévue à Kyoto ce mercredi. "Le changement climatique est un problème mondial. Il exige une réaction mondiale, et concertée", a-t-il ajouté. "J'appelle la communauté internationale à faire preuve d'audace, à adhérer au protocole de Kyoto, et à se hâter de prendre les mesures nécessaires. Il n'y a pas de temps à perdre !"

Le pacte vise à ralentir la hausse des températures que beaucoup d'experts imputent aux émissions de gaz à effet de serre, qui pourrait provoquer une recrudescence des ouragans, des inondations et des sécheresses, et entraîner l'extinction de milliers d'espèces animales et végétales d'ici 2100. Le niveau des mers pourrait également s'élever, menaçant les zones situées à très faible altitude, les villes côtières et les nappes phréatiques.

Aux termes de ce texte, les pays développés doivent réduire d'ici 2008-2012 de 5,2 % par rapport à leur niveau de 1990 leurs émissions de gaz à effet de serre, et notamment de dioxyde de carbone, gaz émanant des combustibles fossiles utilisés dans les centrales électriques, les usines et les voitures. "Kyoto fournit une base très solide pour notre politique en matière de changement climatique", se félicite Klaus Toepfer, chef du Programme des Nations-unies pour l'environnement, qui y voit une première étape dans la lutte contre des modifications du climat potentiellement catastrophiques.

"Le réchauffement climatique est déjà à l'oeuvre (...) Nous savons que Kyoto est seulement un premier pas", a déclaré le commissaire européen à l'Environnement Stavros Dimas, en relevant que l'élévation des températures tuait déjà, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 150.000 personnes par an. Mais Kyoto a été affaibli en 2001 par le retrait des Etats-Unis, le premier pollueur mondial, source de près du quart des émissions humaines de dioxyde de carbone.

L'Australie a également refusé de ratifier le protocole de Kyoto, suscitant la colère de groupes écologistes qui ont, lors d'une manifestation à Sydney, fait fondre des sculptures de glace représentant des kangourous et des koalas. Le président américain George Bush a estimé que Kyoto était trop coûteux pour l'industrie et qu'il avait tort d'exempter dans un premier temps - jusqu'en 2012 - les pays en voie de développement.

En Chine, qui compte près d'1,3 milliard d'habitants et affiche une des plus fortes croissances économiques du monde, un militant de Greenpeace déguisé en ours polaire, la mine sombre, a parcouru les rues de Pékin pour illustrer les effets du réchauffement climatique. Les défenseurs du pacte estiment que les pays riches sont la principale cause de l'accroissement de 0,6 degrés Celsius des températures mondiales depuis la révolution industrielle, et qu'ils doivent donc prendre l'initiative en réduisant leur recours aux combustibles fossiles et en favorisant des énergies propres, notamment solaire et éolienne.

"Kyoto ne fera pas grand-chose en soi, mais il établit un plan d'action", souligne Kristian Tangen, directeur de Point Carbon, un groupe de réflexion sur l'écologie dont le siège se trouve à Oslo. "Mais il y a un vrai risque que tout l'édifice s'effondre après 2012." Selon lui en effet, les grands pays en voie de développement - Chine et Inde en tête - sont peu susceptibles d'y adhérer à cette date si les Etats-Unis ne le font pas. Bush a déclaré que de nouvelles recherches étaient nécessaires, jugeant les prédictions sur le changement climatique insuffisamment étayées. Les Etats-Unis ont beau être montrés du doigt, de nombreux signataires du pacte pour qui il acquiert valeur contraignante sont eux-mêmes bien au-dessus des niveaux d'émissions de 1990.

L'Espagne et le Portugal étaient ainsi en 2002 à 40,5 % au-dessus du niveau des émissions de 1990, l'Irlande à 28,9 % et la Grèce à 26 %, selon les chiffres de l'Onu. Par comparaison, l'Australie se situe à 22,2 % au-dessus des niveaux de 1990, et les Etats-Unis à 13,1 %. Au Japon, première économie mondiale, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de huit pour cent par rapport à 1990.

Même s'il est scrupuleusement appliqué, le protocole ne réduira la hausse prévue des températures d'ici 2100 que de 0,1 degrés Celsius, selon les projections de l'Onu, soit peu de chose par rapport à un accroissement des températures d'ici 2100 que l'Onu évalue à entre 1,4 et 5,8 degrés Celsius.

La Convention de 1992 vise en effet à une stabilisation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère mais pour atteindre cet objectif, il faut réduire d'environ deux tiers le niveau des émissions de CO2 par rapport au niveau actuel d'ici la fin du siècle prochain. Le dioxyde de carbone a tendance à s'accumuler dans le système climatique. Pour stabiliser le niveau de CO2, il faudrait donc réduire les émissions davantage que ce que prévoit le Protocole de Kyoto, ce qui signifie impliquer aussi les pays en voie de développement. Kyoto couvre seulement 25 % des émissions. La prochaine étape devrait porter sur les 75 % restants. Le plus important défi sera de convaincre les Américains. Les Etats-Unis, qui n'ont pas ratifié le Protocole de Kyoto, émettent à eux seuls près d'un quart des gaz à effet de serre.

Il resta que cette étape de Kyoto, même si elle est tout à fait insuffisante, constitue un premier pas dans la bonne direction. Comme l'a souligné Jacques Chirac, à la veille de l'entrée en vigueur du Protocole de Kyoto. Celui-ci a déclaré qu'il fallait "aller beaucoup plus loin" dans la lutte contre le réchauffement climatique en divisant "par quatre" d'ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre des pays développés. Jacques Chirac a souhaité que le prochain sommet du G8 en juillet à Gleneagles (Grande-Bretagne) soit "l'occasion d'avancer dans cette direction". "La France soutient la volonté du Royaume-Uni d'en faire une priorité. L'Europe doit continuer à montrer l'exemple", a-t-il souligné. Lors de ce sommet, le "premier objectif" du président français sera de "réengager les Etats-Unis", non signataires du protocole de Kyoto, "dans l'effort international de lutte contre le changement climatique".

Le deuxième objectif de la France sera d'aider les pays émergents", et notamment les pays en décollage économique comme la Chine, l'Inde et le Brésil, à "s'engager sur la voie d'un développement énergétique propre". Jacques Chirac souhaite "les aider à dépasser la contradiction entre la croissance, indispensable pour la réduction de la pauvreté, et la préservation de l'équilibre du climat, bien public mondial". Dans cette perspective, le président français va demander "à une grande personnalité de l'industrie" de lui faire des propositions "sur les moyens de renforcer la coopération scientifique et industrielle avec les pays émergents, les transferts de technologie vers ces pays et le financement de leur développement propre".

Au niveau national, Jacques Chirac a souhaité que la France soit "exemplaire" dans la mise en oeuvre de ses engagements au titre du protocole de Kyoto. Estimant que la France était "bien partie" grâce au plan climat adopté l'an dernier pour atteindre l'objectif fixé par le traité, à savoir ne pas dépasser en 2012 son niveau d'émission de 1990, il a souhaité qu'elle "essaie d'aller au-delà de ses engagements de Kyoto". Il a demandé au ministre de l'Ecologie Serge Lepeltier, présent à la réunion, de "réfléchir à de nouvelles incitations afin d'accélérer la réhabilitation énergétique des bâtiments anciens", de renforcer les "normes existantes" dans le secteur automobile et "d'engager, au plan européen, une réflexion particulière sur le secteur aérien". L'Etat devra être "exemplaire" dans sa politique d'achats publics.

Jacques Chirac a enfin souhaité faire de la lutte contre le changement climatique "un atout pour la compétitivité de la France et de l'Europe". Dans cet esprit, il a appelé de ses voeux un renforcement des programmes de recherche dans les domaines stratégiques de la séquestration du carbone, du véhicule propre, de la pile à combustible hydrogène, des biocarburants, de l'énergie solaire et du bâtiment économe en énergie.

Il est vrai qu'il y a urgence et que toutes les dernières études scientifiques nous montrent que le réchauffement climatique en cours pourrait s'aggraver de manière brutale et catastrophique au cours de ce siècle. Dans le Pacifique Sud, certaines îles pâtissent déjà de la hausse des niveaux des mers et voient des vagues géantes s'écraser sur leurs côtes, inondant des habitations.

Aux pôles et en montagne, les glaciers fondent plus rapidement, et certains experts craignent que le réchauffement climatique mondial n'entraîne la fonte définitive de banquises au Groenland et en Antarctique, qui provoquerait la hausse de plusieurs mètres du niveau des mers. Dans les pires scénarios, les zones côtières du monde entier seraient menacées, et des villes telles que Londres, Shanghai, Bombay et New York inondées.

Alors que le protocole de Kyoto entrait en vigueur, une nouvelle étude révélait que l'année 2004 aura été la quatrième plus chaude depuis le début des enregistrements au XIXe siècle. James Hansen, du Goddard Institute for Space Studies de la NASA, et ses collègues ont compilé les données des stations météorologiques au sol et les mesures satellitaires des températures de surface des océans. Avec 0,48 degré Celsius de plus par rapport à la période 1951-1980, la température moyenne globale de 2004 se place juste derrière celles de 1998, 2002 et 2003, confirmant une tendance au radoucissement observée sur les trente dernières années.

Pour les chercheurs, cette augmentation n'a pas seulement pour origine des causes naturelles comme le phénomène climatique El Nino ou les éruptions volcaniques. La tendance proviendrait pour une part non négligeable des activités humaines (notamment de la combustion de carburants fossiles, génératrice de gaz à effet de serre). Selon les projections de James Hansen, 2005 pourrait également battre des records. Les calculs établis depuis longtemps par son équipe et d'autres suggèrent en effet que la Terre absorbe actuellement beaucoup plus d'énergie solaire qu'elle n'en reflète, même si les conséquences peuvent en être masquées par des fluctuations naturelles.

Comme je l'ai déjà affirmé avec force depuis plusieurs années, nous n'avons pas encore pris toute la mesure de l'immense défi de civilisation qui attend l'Humanité au cours de ce siècle pour tenter de maîtriser ce réchauffement climatique et d'éviter qu'il n'atteigne une ampleur catastrophique et ne provoque des conséquences dévastatrices pour des centaines de millions d'hommes.

Nous devons très rapidement repenser complètement toute notre politique énergétique, en accélérant de manière très volontariste la mutation vers les énergies renouvelables et propres, à commencer par la filière hydrogène pour le secteur des transports, principal responsable des émissions de gaz à effet de serre. Dans trente ans, notre pays devra être capable de produire deux fois plus de richesses avec la même consommation d'énergie qu'aujourd'hui et la moitié de notre production d'énergie devra être d'origine renouvelable et non polluante.

De manière conjointe et cohérente avec ces objectifs, nous devons aussi revoir de fond en comble, nos modes de déplacements et de transports, notamment en milieu urbain, et combiner de manière intelligente et novatrice les nouveaux modes de propulsion propre et les possibilités de gestion et de prévision du trafic offertes par les TIC, afin de réduire de manière drastique la pollution et les nuisances insupportables provoquées par l'accroissement continue de la circulation automobile, tout en proposant à chacun de nouveaux systèmes de transport plus efficace et moins coûteux. Le défi est immense car il n'est pas seulement économique et technique mais aussi social et culturel, tant il touche à l'évolution des mentalités et des modes de vie. Mais c'est à ce prix que nous pourrons transmettre une planète vivable à nos enfants et nos petits-enfants.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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