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Edito : La presse de demain sera collaborative, personnalisée et virtuelle

La presse a connu depuis 20 ans une révolution technologique sans précédent et vit la plus grande mutation de sa longue histoire. L'explosion de la presse en ligne et des blogs mais également l'émergence d'une presse collaborative et d'un nouveau journalisme "civique" ont été au coeur du 59e Congrès mondial des journaux qui s'est déroulé à Moscou.

Le rédacteur en chef d'un nouveau type, devra non seulement parfaitement maîtriser les nouvelles technologies, mais avec l'avènement du journalisme citoyen, devra également "intégrer le défi de publier des articles soumis par ses lecteurs", estime le spécialiste Mark Glaser (PBS.org), dans le rapport "Tendances dans les salles de rédaction 2006", présenté par le WEF (World Editors Forum, Forum mondial des rédacteurs en chef).

Deux étapes décisives ont marqué cette mutation historique de la presse : en 2004, blogs, vidéos, photos d'amateurs ont témoigné du tsunami en Asie pour le monde entier.

Mais c'est surtout avec les attentats terroristes de Madrid, en 2003 et de Londres en 2005 que le journalisme citoyen s'est imposé, avec les photos prises grâce aux téléphones portables qui ont fait le tour du monde, analyse Dan Gilmor, célèbre auteur du livre "We the Media" et pionnier des blogs. En 2006, le New Orleans Times-Picanuye a utilisé massivement blogs et forums de discussions avec la population pendant et après l'ouragan Katrina.

"Finalement, c'est un nouvel état d'esprit qui est requis à l'âge numérique" poursuit M. Glaser. "L'ancienne mentalité des rédacteurs en chef parlant avec condescendance aux lecteurs n'est plus possible. On doit traiter les lecteurs sur un pied d'égalité".

Ce lien avec les lecteurs est illustré par le quotidien Bluffton today (Caroline du Sud), qui expérimente le "journalisme citoyen", avec un niveau de contenu "hyperlocal", a expliqué lors du congrès Steve Yelvington, vice-président du contenu et de la stratégie du groupe Morris. Le site web travaille en étroite coordination avec les lecteurs. La population envoie commentaires, photos et même recettes de cuisine. "Nous, journalistes, étions les gardiens de la vérité" dit M. Yelvington. "Maintenant, nous devons être là pour animer, donner la parole. Nous pouvons guider, en aucun cas contrôler".

Autre exemple, le quotidien espagnol El Correo (groupe Vocento, 124.000 exemplaires, 600.000 lecteurs), leader dans la région basque, offre deux pages quotidiennes à ses lecteurs qui par plusieurs canaux, de la simple lettre au site internet, peuvent envoyer textes, photos personnelles, questions en vue d'une interview, commentaires etc...

En Grande Bretagne, le vénérable Times vient de lancer un service de télévision sur internet. Le projet Le service, baptisé Times TV, sera dans un premier temps, alimenté par le contenu fourni par des médias tiers, comme Reuters. Mais, signe des temps, le quotidien, qui a retenu la leçon des attentats de Londres, envisage également de diffuser les vidéo réalisées par ses propres lecteurs, "si celles-ci présentent un intérêt du point de vue de l'actualité». Le journal annonce que 59,9 millions de pages ont été imprimées sur son site internet Times Online en mai. L'objectif affiché du Times est de tripler le nombre de pages imprimées les prochaines années.

Au Japon, en partenariat avec Hitachi, le quotidien japonais Nikkei s'apprête déjà à lancer, d'ici la fin 2006, une édition sur papier électronique qui présentera sous forme « téléchargée » la une du quotidien. Il suffira d'appuyer sur un bouton pour passer à une autre page. D'une durée de vie de 3 mois, ce quotidien électronique pourra même s'enrouler sur lui-même comme un vrai journal.

Le quotidien économique "Les Echos" actualisé en temps réel, sera testé sur des e-books à l'automne 2006 et des supports en feuilles plastiques numériques A4 et A5 en 2007. Le lancement grand public est prévu en 2008" ; les utilisateurs disposeront de tous les articles du journal du jour, accompagnés de leurs illustrations et infographies, de toute l'information en continu fournie par la rédaction Web des Echos, d'un journal économique audio en podcast, des articles du Financial Times et des compléments éditoriaux. «A terme, l'utilisateur pourra disposer d'une version totalement personnalisable», explique le groupe.

Par ailleurs, une quinzaine de magazines, sur la trentaine du groupe Cyber Press Publishing (CPP), devraient être disponibles sur le Net en septembre. Le groupe a, en effet, un projet de kiosque à journaux numérique. Tous les titres seraient consultables à partir du même site, appelé MonKiosque.fr. Il ne s'agit pas d'une version Web des journaux, mais bien de pages numérisées que l'on fait défiler d'un clic de souris. Dans ces conditions, cette consultation sera bien sûr payante, mais les tarifs et les formules d'achat sont encore à l'étude.

Il faut aussi évoquer le remarquable succès d'Agoravox, première plate-forme multimédia mise à la disposition de tous les citoyens en France qui souhaitent diffuser des informations inédites ou s'exprimer sur les grands sujets de société. Alors que les media traditionnels font descendre l'information du haut vers le bas, AgoraVox la fait circuler de manière transversale grâce à une équipe de «rédacteurs-citoyens » dont la grande diversité constitue la richesse.

A la lumière de ces nouveaux modes d'expression et de ces nouveaux médias on voit bien que la presse de demain sera donc profondément différente de celle d'aujourd'hui non seulement sur le forme et les supports, avec l'avènement proche du papier électronique mais également sur le fond car sa finalité et son impact social et informationnel vont à la fois s'étendre et se transformer. Le lecteur d'un quotidien en 2015 voudra à la fois prendre connaissance d'une information très spécialisée l'intéressant, même si cette information vient du bout du monde, et être informé de la vie culturelle de son quartier ou de son village et même pouvoir lire dans son journal des message à caractère personnel provenant de sa famille ou de ses amis.

Mais ce lecteur voudra également pouvoir réagie "à chaud" sur un article en devenant lui même coproducteur d'informations et de commentaires. Le journal interactif, personnalisé et multimédia de 2015 permettra cette extraordinaire souplesse rédactionnelle et informative et deviendra un fabuleux outil d'information mais aussi un outil puissant de convivialité et de création de nouveaux liens sociaux, et de nouveaux espaces de solidarité et d'expression démocratique.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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