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Edito : le premier cerveau artificiel en 2020 ?

Depuis 2005, un fascinant projet de simulation sur ordinateurs, baptisé «Blue Brain Project»s'est donné comme objectif de fabriquer, dans dix ans, le premier « cerveau électronique.

Comme l'a rappelé le 24 juillet dernier, le directeur du projet, Henry Markram, de l'École fédérale polytechnique de Lausanne (Suisse) lors d'une conférence à Oxford, il s'agit de simuler l'architecture et le fonctionnement du néocortex des mammifères au moyen d'un supercalculateur IBM de la famille Blue Gene, le troisième superordinateur le plus rapide du monde (36 téraflops). Ces machines peuvent effectuer simultanément plusieurs milliers de milliards d'opérations par seconde !

Les chercheurs se sont concentrés sur une colonne du cortex des mammifères. Autrement dit unité fonctionnelle empilant verticalement 10 000 neurones de plus de 200 types génétiques distincts. Il a fallu, pour alimenter le modèle, utiliser les données de plus de 15 000 expériences individuelles effectuées dans les laboratoires du monde entier sur des neurones en culture.

Avec ces données, l'équipe du Pr Markram a créé dans Blue Gene une colonne virtuelle de neurones corticaux où sont mimés l'architecture, la morphologie et le fonctionnement d'un réseau de 10 000 cellules en trois dimensions. L'équivalent d'un micro-ordinateur portable est nécessaire pour effectuer les calculs et la simulation d'un seul de ces neurones, c'est la raison pour laquelle Blue Gene, et ses 1 000 calculateurs ont été choisis.

Pour l'instant, le projet Blue Brain Project n'a reproduit qu'une seule colonne de cortex. Or notre cortex contient environ un million de ces unités fonctionnelles. Pour étudier un cerveau complet, il faudra disposer d'une puissance informatique un million de fois plus puissante que Blue Gene, ce qui ne sera possible qu'en effectuant un saut technologique vers l'informatique quantique.

Mais la phase 1 de l'expérience vient d'être finalisée : le modèle «vit» dans la machine. Les chercheurs ont présenté à ce cerveau in silico des images et mesuré son activité électrique de réponse : «Vous stimulez le système, et il crée sa propre représentation» à partir de cette simulation initiale, a expliqué Henry Markram. Le but final de cette première phase est d'extraire cette représentation et de l'observer pour tenter de comprendre comment le cerveau perçoit le monde !

«Blue Brain nous a permis de découvrir qu'il existe une certaine similitude dans la manière dont les synapses (connexions chimiques ou électriques entre deux neurones) sont agencées pour former des circuits neuronaux, explique le Pr Markram. Cette propriété se retrouve chez tout le monde et elle demeure même lorsqu'on apprend des choses ou qu'on acquiert des souvenirs.» Une découverte qui nuance ce qu'on savait jusqu'ici du cerveau, à savoir qu'il varie énormément d'un individu à l'autre, notamment quant au nombre de neurones qu'il contient.

D'ici à dix ans, le chercheur pense pouvoir recréer l'ensemble du cerveau. Ce «modèle» pourra acquérir des souvenirs, apprendre une langue et se doter d'une personnalité, livrant des informations précieuses sur le fonctionnement de la mémoire. Peut-être répondra-t-il même à l'une des interrogations de base de la philosophie : «Il se pourrait que notre cerveau développe une conscience. Nous aurons alors résolu le mystère de la vie. Si ce n'est pas le cas, reprend-il aussitôt, nous aurons tout de même démontré qu'il faut plus de 100 milliards de neurones qui interagissent pour produire une conscience.»

Mais ce projet a aussi des finalités thérapeutiques très concrètes : deux milliards de personnes souffrent de maladies mentales. Je crois fermement que Blue Brain parviendra à trouver de meilleurs médicaments pour elles.» L'encéphale reconstitué par l'équipe de Henry Markram pourra en effet être modifié pour lui donner les caractéristiques d'un cerveau malade, qu'on comparera ensuite à un cerveau sain pour mieux comprendre les causes fondamentales de cette pathologie. «Notre recherche sur l'autisme, par exemple, suggère que les sujets souffrant de cette maladie ont des colonnes corticales superconnectées et superplastiques."

Blue Brain confirmera ou invalidera cette hypothèse.» Autre application concrète, on pourra alimenter le cerveau modélisé avec les données d'un patient. On obtiendra alors un outil formidable pour poser un diagnostic et tester les effets d'un médicament ou d'un traitement sur cette personne. Le bénéfice est double : «On évite le processus d'essai et d'erreur, où le médecin teste divers traitements jusqu'à ce qu'il trouve le bon, et on réduit fortement les tests sur les animaux.»

Mais les chercheurs ont encore un long chemin à parcourir avant de percer les mystères de notre cerveau : Non seulement il faut connaître et décrire toutes les règles régissant les communications entre les cellules nerveuses, mais l'équipe de Lausanne veut descendre encore plus profondément dans chaque cellule, au niveau moléculaire des structures et des échanges ! Souhaitons que l'Europe s'engage davantage dans la réalisation de ce cerveau artificiel qui sera l'un des grands défis scientifiques de ce siècle.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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