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Edito : Le photon dévoile ses secrets et ouvre la porte d'un nouveau monde physique

En quelques semaines, trois expériences tout à fait remarquables et complémentaires ont considérablement fait progresser notre connaissance du photon, cette particule élémentaire de lumière, vecteur de l'interaction électromagnétique et ont conforté le cadre théorique de la mécanique quantique élaboré depuis 70 ans.

La première de ces expériences fera date dans les annales de la science, peut-être au même titre que l'expérience historique d'Alain Aspect en 1982 sur les photons corrélés : après quinze années d'efforts, une équipe de physiciens du Laboratoire Kastler-Brossel de l'École normale supérieure a réalisé un vieux rêve des physiciens : voir un photon sans le détruire.

« Ce chef-d'oeuvre expérimental », comme le décrit Ferdinand Schmidt-Kaler, physicien de l'université d'Ulm, a eu les honneurs d'une publication dans la prestigieuse revue britannique Nature. Au-delà des applications possibles de ce procédé pour réaliser des briques de base des futurs ordinateurs quantiques, « l'expérience illustre de manière très délicate un aspect fondamental de la mécanique quantique, celui de la mesure », précise Serge Haroche, membre de l'équipe de l'ENS et professeur au Collège de France. Quand on arrive dans l'étrange monde de la physique quantique, il est en effet impossible d'observer une particule sans perturber son comportement et sa "nature".

Tous les dispositifs de mesure de la lumière, que ce soit l'oeil ou des photorécepteurs électroniques, ne fonctionnent que grâce au « sacrifice » du photon, qui disparaît et se transforme en énergie dès qu'il interagit avec la matière. « Pour mesurer à plusieurs reprises un photon sans le détruire, il faut réunir deux conditions très exotiques, explique Michel Brune, du Laboratoire Kastler-Brossel (LKB, unité mixte CNRS, ENS, Collège de France et Université Paris-VI) et cosignataire de l'étude.

Il faut d'une part mesurer le photon sans lui prendre son énergie. D'autre part, pour le voir plusieurs fois, il faut se donner du temps, or il voyage à la vitesse de la lumière. » La première condition a été remplie en mettant au point une méthode de détection utilisant des atomes dans un état très spécial, qui varie très subtilement en présence ou non d'un photon. Ces atomes, dits de Rydberg, agissent comme de très grandes antennes sensibles au champ électromagnétique de la lumière.

Le problème du temps d'observation a été résolu grâce à un piège à photons, une cavité formée par deux miroirs supraconducteurs qui se font face. Ces miroirs métalliques placés à 3 cm l'un de l'autre sont refroidis à moins d'un degré au-dessus du zéro absolu pour être les plus réfléchissants possibles. « Ils peuvent renvoyer chaque grain de lumière sans perte plus d'un milliard de fois, ce qui permet de stocker un photon pendant 0,13 seconde, période pendant laquelle il parcourt 39 000 km, soit de l'ordre de grandeur de la circonférence terrestre », explique avec enthousiasme Michel Brune. En conservant ainsi en boîte un photon pendant un temps relativement long, les physiciens ont réalisé une expérience décisive imaginée par Albert Einstein lui même.

La seconde expérience, non moins importante, visait à trancher une question fondamentale qui taraude les physiciens depuis 70 ans : sachant qu'en mécanique quantique, un photon se comporte, selon la méthode d'observation retenue, soit comme une onde, soit comme une particule ponctuelle, à quel moment exactement ce photon fait-il ce choix ?

Cette question a été élucidée par une équipe du laboratoire de Photonique quantique et moléculaire (CNRS/Ecole Normale Supérieure de Cachan) conduite par Jean-François Roch et François Treussart, en collaboration avec Philippe Grangier et Alain Aspect (CNRS/Université Paris 11). Les chercheurs ont mis en oeuvre, pour la première fois de façon très fidèle, une idée proposée dans les années 70 par John Wheeler, l'un des plus grands physiciens du XXe siècle.

Il s'agit en fait de retarder le plus possible le choix de l'expérience qui sera menée sur le photon en attendant que celui-ci soit au milieu de l'appareil de mesure, ici un interféromètre d'une longueur de 50 mètres. Une fois le photon “capturé” dans cet appareil, les chercheurs ont choisi, de manière aléatoire, la mesure qui a finalement été effectuée. Mais le photon ne s'est pas laissé surprendre. Il s'est en effet manifesté comme une onde lorsqu'on a décidé d'observer un comportement ondulatoire et s'est comporté comme un corpuscule lorsqu'on a décidé d'observer un comportement corpusculaire.

Cette expérience démontre la validité d'un des principes fondateurs de la physique quantique : selon ce principe, une ou plusieurs particules peuvent se comporter, en fonction de la manière dont on les observe, comme des particules ponctuelles mais aussi et simultanément comme des systèmes ondulatoires diffus dans le temps et dans l'espace. Cette surprenante propriété a notamment des conséquences fondamentales en matière de télécommunications et de cryptographie quantique, un domaine en pleine effervescence actuellement.

C'est précisément dans ce domaine qu'a eu lieu la troisième expérience remarquable que je voulais évoquer. Dans celle-ci, deux télescopes des îles Canaries ont échangé une information hautement sécurisée sous forme de photons, battant le record de transmission sans fil d'une clef de codage indispensable à la cryptographie quantique. L'équipe d'Anton Zeilinger, de l'Université de Vienne, a utilisé un laser pour envoyer des photons codés depuis un télescope de la Palma vers un autre situé à Tenerife, à 144 kilomètres de distance.

La cryptographie quantique utilise des photons pour transporter la clef qui permet d'accéder aux informations codées. En effet, si quelqu'un essaie d'intercepter l'information, la polarisation du photon est modifiée et l'émetteur comme le récepteur savent que leur échange a été piraté. Le système est encore plus efficace si les photons sont envoyés un par un plutôt que par paquets. Ces photons peuvent voyager par fibre optique mais à partir de 100 km le signal se dégrade.

Mais l'équipe d'Anton Zeilinger a réussi à transmettre la fameuse clef photon par photon sur une distance de 144 km. Pour cela Zeilinger et ses collègues ont eu recours à la téléportation quantique qui permet, à partir de paires de particules intriquées, de faire voyager une information sans support physique. Les chercheurs ont donc créé des paires de photons ayant la même polarisation pour transmettre la clef. Le débit est de 178 photons (ou unités d'information) par seconde, très loin des vitesses de connexion des réseaux internet. Cependant l'objectif n'est pas de transmettre une grande quantité d'informations mais d'avoir le maximum de sécurité.

En mai 2006, une équipe autrichienne, dirigée par le Professeur Zeilinger, avait déjà réussi, pour la première fois, à faire interférer, comme le prévoit la mécanique quantique, deux photons provenant de deux sources de photons uniques fonctionnant chacune à partir de son propre réservoir de photons.

On voit donc qu'en moins d'un an notre connaissance et notre maîtrise du photon a fait des pas de géant, ouvrant la voie non seulement aux télécommunications quantiques mais également à l'ordinateur quantique, utilisant le photon au lieu de l'électron, et pouvant fonctionner de milliers de fois plus rapidement que nos ordinateurs classiques les plus puissants. La société canadienne D-Wave Systems vient d'ailleurs de présenter un prototype d'ordinateur quantique à 16 qubits qui pourrait être commercialisé dès 2008 (Voir article "Un ordinateur quantique commercialisé dès 2008" dans notre lettre 423 de la semaine dernière).

La Grande Bretagne vient, pour sa part, de lancer un ambitieux programme de recherche sur la photonique, avec le soutien de l'Europe (Voir article « La Grande Bretagne mise sur la photonique », dans notre lettre 423 de la semaine dernière). Une équipe de physiciens anglais est actuellement réunie autour d'un projet qui propose de créer un ordinateur capable de fonctionner uniquement avec l'énergie lumineuse en lieu et place des composants électroniques traditionnels.

Enfin, signalons que des chercheurs d'IBM ont dévoilé, le 26 mars, un prototype de microprocesseur utilisant des connexions optiques qui permettraient d'accélérer jusqu'à huit fois la vitesse actuelle de transfert de données entre deux puces. Ce microprocesseur, cadencé à 160 milliards de bits/seconde, permettrait la transmission d'un film en haute-définition sur une courte distance en une fraction de seconde, contre une demi-heure pour les connexions internet à haut débit couramment disponibles, a indiqué IBM.

En dévoilant ses secrets et ses fascinantes propriétés, le photon est bien en train de nous ouvrir les portes d'un nouveau monde et ouvre d'immenses perspectives scientifiques et technologiques dans une multitude de champs d'application, au premier rang desquels se trouve évidemment celui des ordinateurs optiques et des réseaux optiques à très haut débit que j'ai évoqué dans mon éditorial de la semaine dernière.

Souhaitons que la France, qui excelle sur le plan théorique dans cette compétition scientifique, ne se laisse pas distancer et se donne également les moyens de concevoir et de produire les ordinateurs, systèmes et réseaux quantiques qui seront demain au coeur d'une nouvelle révolution technologique et industrielle.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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