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Edito : Notre univers est-il né à partir du vide ?

Le satellite WMAP vient de livrer, il y a quelques semaines, ses premières images extraordinairement précises du bruit de fond thermique de l'Univers tel qu'il était seulement 400000 ans après le Big Bang. En étudiant la taille et la répartition de ces fluctuations thermiques les scientifiques ont obtenu des informations fondamentales sur notre Univers. Premièrement, l'âge de l'Univers peut être calculé avec une précision sans précédent (1 %). Cet âge est de 13,8 milliards d'années. Ces images confirment en outre que l'Univers est "plat" à grands échelle et qu'il va donc continuer son expansion sous l'effet d'une énergie inconnue, la mystérieuse "énergie sombre", qui représente 73 % de l'Univers (le reste étant composé par la "matière noire", 23 %, et notre matière "ordinaire, seulement 4 %) et s'oppose à l'effet de la gravitation. En observant des supernovae très lointaines, à la fin de l'année 1998, une équipe internationale de chercheurs avait déjà calculé que non seulement l'Univers est en expansion, mais qu'il connaîtrait une phase d'accélération depuis environ 4 milliards d'années ! La fameuse constante cosmologique, imaginée par Einstein au début du siècle, pourrait expliquer ce phénomène remarquable. Cette constante représenterait "l'énergie du vide", ou "l'énergie sombre" dont la force serait de sens opposé à la force gravitationnelle. Ces observations récentes ne nous proposent pas seulement une nouvelle description de l'Univers, et une nouvelle vision de son évolution, mais elles accélèrent la remise en cause théorique du modèle "standard" actuel qui explique la naissance de notre Univers par le Big Bang. Le Big Bang pose en effet des problèmes scientifiques et métaphysiques considérables. On ne peut notamment échapper à ces deux interrogations fondamentales : pourquoi le Big Bang a t'il eu lieu et qu'avait-il "avant"? Enseignant à l'université de Stanford depuis 1990, Andrei Linde, un des plus grands cosmologistes de notre temps, a formulé en 1982 une nouvelle théorie de l'univers qui se veut une "amélioration" du modèle du Big Bang (l'explosion initiale à l'origine de la création de l'univers). Linde critique la théorie du Big Bang pour les nombreux problèmes physiques et philosophiques qu'elle soulève. Il considère notamment que les équations physiques qui déterminent le Big Bang prédisent un univers beaucoup plus petit qu'il ne l'est en réalité et que le modèle théorique n'explique pas pourquoi les différentes régions de l'univers se ressemblent et les lointaines galaxies sont distribuées de façon aussi uniforme dans toutes les directions au sein de l'univers. Sur ce dernier point, il semblerait que les fameux trous noirs aient joué un rôle fondamental pour rassembler les milliards d'étoiles et les organiser en galaxies grâce à la gravité (voir sur ce point précis l'article sur les trous noirs dans notre rubrique espace). C'est pourquoi Linde propose la théorie d'un univers auto-reproducteur et à très forte croissance (self-reproducing inflationary universe) qu'il a modélisé grâce à des simulations sur ordinateur. Selon lui, la croissance de l'univers à son origine aurait été extrêmement rapide et aurait obéi à un modèle d'"inflation chaotique". Alors que la théorie classique du Big Bang décrit un univers semblable une bulle de savon se gonflant graduellement, la théorie de Linde décrit un univers semblable à une bulle qui produirait des bulles identiques, et ainsi de suite. L'univers décrit par Linde enfanterait de nouveaux univers par auto-reproduction et selon une arborescence empruntée aux mathématiques fractales découverte par Benoit Mandelbrot. Pour le physicien russe Andrei Linde, il faudrait imaginer l'univers comme un ensemble de bulles intereliées qui se développent de manière fractale (chaque partie du tout ressemble au tout). Il y aurait donc eu création d'un univers à partir duquel plusieurs bulles se seraient formées de façon indépendante. Ces nouvelles bulles seraient en fait des points de l'univers qui seraient entrés en expansion en eux-mêmes, sans affecter l'univers originel. Chacun de ces univers aurait ses propres lois de la physique et pourrait donner naissance à d'autres univers, et ainsi de suite. Ce mécanisme donnerait lieu à un univers auto-reproducteur éternel et infini dans le temps et dans l'espace. Le modèle de Linde est à la fois très audacieux et très novateur car il dépasse le problème de l'origine du Big Bang et se situe dans un nouveau cadre théorique qui intègre la relativité générale et la physique des particules (théorie quantique des champs et théorie des interactions fondamentales) pour obtenir un cadre explicatif plus général. Ce nouveau cadre, appelé "quintessencence" par certains physiciens, est fascinant car il ouvre la possibilité mathématique et physique d'une création ex nihilo, à partir de fluctuations du vide quantique. Dans le monde quantique, les objets (particules, ondes ou champs) ne peuvent jamais être au repos absolu. Ils restent toujours dans un état de vibration résiduelle. Ainsi, le vide, ne doit plus être considéré comme un néant ou une absence totale de matière et d'énergie mais comme un champ d'énergie à son niveau minimal. Dans ce cadre théorique, les particules deviennent des émanations de ce champ. Leurs disparitions et apparitions sont la manifestation des fluctuations du champ quantique fondamental. L'expansion de l'espace induit l'excitation du champ, et donc la création de particules. Cette expansion de l'Univers apparaît donc comme un réservoir d'énergie interne. Le processus ne consomme globalement aucune énergie, puisque celle-ci est simplement "transvasée" du contenant géométrique vers le contenu matériel, le champ quantique. Le plus étonnant c'est que ce processus peut s'enclencher quel que soit l'état quantique du champ au départ, même si c'est l'état de vide. La préexistence de particules matérielles n'est pas nécessaire pour amorcer la création d'autres particules. Linde s'appuie sur ce nouveau cadre théorique pour proposer son modèle cosmologique d'univers auto-reproducteur et auto-accélérateur. Dans ce scénario cosmologique, la singularité du Big Bang se voit remplacée par un détonateur physique, qui n'est autre qu'une instabilité du vide. En la présence, inévitable, de la gravitation, le système passe nécessairement d'un vide quantique instable à un Univers en expansion et empli de matière, selon un processus qui s'entretient tout seul et qui ne coûte rien du point de vue énergétique. Dans ce fascinant scénario que nous propose Linde, tout se passe comme si la matière et l'espace-temps courbe, d'une part, et le vide, d'autre, part n'étaient que deux phases distinctes, mais énergiquement équivalentes d'un seul et même substrat. Tous les objets contenus dans l'univers, y compris nous-mêmes, ne seraient finalement qu'une forme cristallisée du vide. Dans le modèle de Linde notre univers ne serait donc qu'une infime partie d'un "multivers" qui n'aurait ni commencement, ni fin et serait éternel. On voit donc qu'en ce début de XXI e siècle, la cosmologie, grâce aux nouveaux moyens d'observation et d'analyse, est en train de vivre une extraordinaire révolution, à la fois empirique et théorique, qui va déboucher sur un nouveau cadre conceptuel intégrant et dépassant, probablement à l'aide de la supersymétrie et de la théorie des supercordes, la physique quantique et la relativité générale. L'existence de cette omniprésente et mystérieuse "énergie sombre", qui gouverne l'évolution de notre Univers et en constitue la majeure partie, démontre en tout cas à quel point Teillard de Chardin avait raison quand il écrivait "en science, seul le fantastique a des chances d'être vrai."

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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