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Edito : La mobilité propre doit devenir notre horizon pour 2030

La nouvelle n’a pas fait la une des journaux, et pourtant : selon l’organisation Carbon Brief, la pandémie mondiale de Covid-19 va entraîner la plus important baisse des émissions de CO2, et la plus forte diminution de la pollution atmosphérique jamais enregistrées, publiées jeudi 9 avril (Voir Carbon Brief).

Cette très sérieuse organisation estime en effet que la baisse des émissions de CO2 en 2020 pourrait atteindre au moins 1,6 gigatonne cette année, soit 5 % des émissions anthropiques mondiales de CO2 constatées en 2019 (33,1 gigatonnes). Cette diminution historique correspond aux émissions annuelles de la Russie, 4ème émetteur mondial de CO2 (derrière la Chine, les USA et l’Inde). Elle équivaut également, selon cette étude, à retirer plus de 345 millions de voitures de la circulation, soit environ le quart du parc automobile mondial.

Malgré cette bonne nouvelle, Carbon Brief rappelle que cette baisse record des émissions de CO2 risque d’être sans lendemain et ne suffira pas à éviter les effets du changement climatique en cours, sauf si elle s’inscrivait dans la durée. L’analyse montre que pour prévenir un réchauffement catastrophique, nous devrions réduire les émissions de 2,2 gigatonnes par an, soit environ 3 % chaque année, à l’échelle mondiale sur les 10 prochaines années afin de parvenir à maintenir l’augmentation des températures mondiales au-dessous de la barre des deux degrés. En France, la Convention citoyenne pour le climat, qui doit présenter prochainement des mesures au gouvernement, préconise pour sa part de réduire d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.

Si nous voulons réussir à réduire de moitié, selon les recommandations de la communauté scientifique, nos émissions globales de GES de la planète d’ici 2050 (ce qui suppose de les diviser par quatre en Europe et dans notre pays), notre effort doit principalement porter sur la décarbonisation massive de la production d’énergie et des transports, qui représentent plus de la moitié des émissions mondiales de CO2

S’agissant de la production d’énergie, un effort gigantesque, quoiqu’encore insuffisant, est engagé au niveau mondial et devrait permettre de faire passer la part des énergies propres au niveau mondial de 15 à 36 % d’ici 2030, selon les prévisions de l’Irena (Voir Irena). Les énergies renouvelables devraient satisfaire 30 % de la demande en électricité en 2023 et 44 % en 2030 contre seulement 24 % en 2017. Durant cette période, les énergies renouvelables devraient représenter 70 % de la croissance mondiale de production d'électricité, tirées par le photovoltaïque, l'éolien, l'énergie hydraulique et enfin la bioénergie.

Mais l’autre grand défi à surmonter reste la décarbonisation, plus difficile sur le plan technologique et économique du secteur des transports, non seulement responsable de plus du quart des émissions mondiales de CO2 mais générateur d’une pollution de l’air qui a été  largement sous-estimée et tue, on le sait à présent, au moins 9 millions de personnes par an dans le Monde. A cet égard il est d’ailleurs frappant de constater que, même si le nombre de morts du Covid-19 en Chine a été sous-estimé et qu’il dépasse sans doute les 10 000 morts, il reste nettement inférieur au nombre de vies épargnées dans ce pays, du fait de la baisse drastique de la pollution de l’air. Selon une étude de l’économiste des ressources environnementales de l’université de Stanford, Marshall Burke, cette diminution spectaculaire de la pollution en Chien aurait en effet permis d’éviter 77 000 décès depuis le début de la pandémie (Voir G.FEED).

Au niveau mondial, il n’est pas impossible, selon certains scientifiques, nous le saurons dans quelques années lorsque cette pandémie sera maîtrisée et que des études épidémiologiques sérieuses auront été menées, que la baisse globale considérable de la pollution de l’air, liée au confinement de la moitié de la population mondiale et à la diminution spectaculaire de l’activité économique, ait finalement permis d’éviter plus de décès que le nombre de morts qui auront malheureusement été provoqués par le coronavirus.

Tous les citadins habitant de grandes métropoles, mais également les médecins en charge des malades victimes d’affections respiratoires, ont déjà pu constater à quel point, depuis la mise en place du confinement, l’amélioration de la qualité de l’air résultant d’une très forte réduction de la circulation routière dans nos villes avait eu des conséquences positives en matière de santé.

Il faut également souligner un fait qui commence juste à être étudié et fait réfléchir : selon plusieurs études scientifiques réalisées dans les régions italiennes les plus touchées par le Covid-19 - Lombardie et Emilie-Romagne, le taux de mortalité de la pandémie serait supérieur au reste du pays à cause du niveau de pollution de l’air élevée de ces régions. Pour de nombreux chercheurs, cette pollution agirait simultanément à deux niveaux, d’une part en fragilisant le système immunitaire des patients, d’autre part en favorisant et en amplifiant le propagation du virus, sous l’effet des nuages de particules fines.

Cette terrible pandémie nous montre donc à quel point il est urgent d’accroître nos efforts pour  réduire plus rapidement la pollution de l’air et les autres nuisances (dont le bruit qui altère gravement la qualité de vie de nombreux citadins) provoquée essentiellement par les transports et la circulation automobile. Concrètement, cela signifie, d’une part développer les offres de transports collectives personnalisées et intelligentes, grâce aux technologies numériques et, d’autre part, se fixer une feuille de route technologique, industrielle et politique très volontariste, prévoyant la décarbonisation totale des véhicules urbains d’ici 10 ans.

Il faut également sortir de ce faux dilemme qui oppose les solutions hydrogène et « tout électrique ». En effet, ces deux modes propres de propulsion n’ont ni les mêmes échelles d’espace, ni les mêmes échelles de temps. Pour les passagers, comme pour le fret, l’hydrogène est bien adapté aux transports massifs et aux véhicules lourds, train, tramway, camions, bus…Mais pour les déplacements individuels en véhicules légers et particuliers, la technologie des piles à combustible ne sera pas compétitive avant de nombreuses années (une voiture particulière à hydrogène coûte encore plus de 75 000 euros et un utilitaire, 48 000 euros HT) et se heurte de surcroît à la question du réseau de distribution, entièrement à construire, et du stockage sécurisé de l’hydrogène dans les véhicules.

En revanche, la propulsion « tout électrique » fonctionne très bien pour les véhicules particuliers, sur de courtes ou moyennes distances, principalement en milieu urbain. En outre, grâce aux progrès considérables en cours dans les performances des batteries (avec l’arrivée prochaine des batteries solides), la plupart des experts prévoient que les voitures électriques seront, dès 2025, aussi compétitives que les voitures thermiques de performances équivalentes.

Nous devons donc combiner de la manière la plus pertinente et pragmatique possible ces deux technologies complémentaires : l’hydrogène pour faire rouler de manière totalement propre nos poids-lourds, trains, bus, bateaux de commerce et, à plus long terme, avions, et l’électricité pour propulser les différents types de véhicules destinés à la mobilité urbaine, à commencer par les voitures particulières et navettes urbaines.

En France, ce sont 42 700 nouvelles voitures électriques particulières qui ont été mises en circulation, l’an dernier, ce qui représente  une hausse de + 38 % par rapport à 2018 et 1,9 % de l'ensemble des immatriculations de véhicules particuliers tous carburants confondus, contre 1,5 % en 2018. Au total, il y a maintenant plus de 250 000 véhicules électriques en service dans notre pays, pour un objectif de 3 millions en 2028. La France a également beaucoup progressé en matière d’infrastructures, avec plus de 30 000 bornes de recharge (elle est dans la moyenne européenne) et doit atteindre les 100 000, dont une forte proportion permettra des charges rapides, en 2022.

Selon la dernière étude prospective du réputé cabinet Boston Consulting Group (BCG), la mobilité électrique pourrait peser un tiers du marché dans 5 ans, et 50 % dans 10 ans. Les différentes familles de moteurs hybrides (rechargeables, non rechargeables…) atteindraient, au total, 33 % du marché à cette date.

Mais trois obstacles ont longtemps été mis en avant par les détracteurs des véhicules électriques pour prévoir un échec de la mobilité électrique dans notre pays. Le premier obstacle concerne le prix des véhicules électriques, qui reste encore sensiblement plus cher que celui des voitures thermiques de performances comparables. Sur ce plan, la révolution attendue des batteries « tout solide » va changer la donne. En effet ce nouveau type de batterie, que j'ai souvent évoqué dans notre lettre, sera sur le marché dans quelques courtes années, permettant de commercialiser vers 2025 des voitures électriques qui auront plus de 500 km d’autonomie (grâce à des batteries plus légères, plus performantes et plus sûres) et ne seront pas plus coûteuses que leurs homologues thermiques (le coût moyen des 100kW embarqués devrait descendre à moins de 100 euros d’ici 2025 selon les spécialistes).

Le second obstacle concerne la question de l’alimentation de ce parc électrique. On s’est longtemps demandé si notre réseau électrique serait capable de supporter une forte montée en puissance des véhicules électriques. Sur ce point important, plusieurs études récentes ont montré que notre réseau électrique pourrait sans problème supporter une forte montée en charge des véhicules électriques. RTE, le gestionnaire du réseau électrique a notamment montré que, même en prenant en compte l’hypothèse haute de 15,6 millions de voitures électriques en circulation en France 2035, le surcoût en termes de consommation électrique ne serait que de 7 %, environ 37 Twh par an.

Encore faut-il préciser que ce surcoût pourrait être largement compensé par la baisse prévue de notre consommation électrique nationale, une baisse conséquente, résultant des multiples progrès attendus dans le domaine de l’efficacité énergétique des bâtiments et des économies d’énergie. En outre, les véhicules électriques étant inutilisés et à l’arrêt 90 % du temps, ils sont appelés à devenir, grâce à leur connexion sur les réseaux intelligents d’énergie qui se mettent en place, des centrales productrices d’électricité qui pourront alimenter le réseau et contribuer à le stabiliser, ce qui facilitera d’autant plus l’intégration massive des énergies renouvelables dans la production électrique totalement décarbonée.

Enfin, un troisième obstacle est mis en avant avec beaucoup d’insistance depuis des années, non sans arguments, par les opposants au développement massif des véhicules électriques : il s’agit du bilan carbone total, qui serait défavorable, sur l’ensemble du cycle de vie des véhicules électriques. Là encore, s’il est vrai que cette « empreinte-carbone » des voitures électriques a pu être effectivement sous-estimée, la donne a aujourd’hui changé et cet argument n’est plus recevable. A cet égard, une nouvelle étude de Transport&Environment montre de manière très convaincante que les véhicules électriques polluent trois fois moins que le diesel ou l’essence en Europe, et encore moins en France.

Cette étude très instructive a réuni des informations sur la production des batteries, d’électricité, et les émissions en conditions réelles. Le résultat est clair : dans tous les pays de l’Union Européenne, les voitures électriques ont des émissions de CO2 par km nettement inférieures à celles des voitures thermiques. Cela est encore plus vrai pour les petites voitures électriques urbaines, dont les émissions de CO2 réelles sont en moyenne de 90 g/km de CO2 émis, contre 233 g/km pour les voitures diesel et 253 g/km pour les voitures à essence…

L’étude montre également que, sur un cycle de vie complet de 225.000 km, une voiture électrique ne va émettre, même en tenant compte du « cout-carbone » de la production de la batterie et des matériaux utilisés, que 20 tonnes de CO2, contre 52,5 par une diesel, et 57 t par une essence. L’étude montre qu’en France, les voitures électriques, alimentées avec une électricité très décarbonée, économisent plus de 30 tonnes de CO2 sur leur durée de vie par rapport à leurs homologues thermiques.

Autre précision importante, l’étude montre que, même dans les pays comme l’Allemagne ou la Pologne, qui produisent encore une électricité huit à dix fois plus carbonée qu’en France, on note quand même que les émissions de CO2 liées aux voitures électriques sont inférieures de 28 % à celles d’une voiture à essence. Ce remarquable bilan carbone s’explique largement par l’efficacité thermodynamique d’une voiture électrique, qui ne perd, en moyenne, que 10 % de l'énergie dans l'efficacité du moteur, contre au moins 65 % pour une voiture thermique.

Le temps presse et la pandémie qui nous frappe montre à quel point les questions liées à la multiplication de zoonoses de plus en plus fréquentes et meurtrières, à la pollution de l’air –devenue une cause majeure de mortalité et de perte de qualité de vie dans le Monde -,  aux transports et aux modes de déplacements, sont liées, et doivent être envisagées et traitées de manière connexe. Dans quelques semaines, les 150 citoyens qui forment la Convention citoyenne, chargée de faire des propositions fortes en manière de rénovation économique, sociale et environnementale, rendront officiellement au Gouvernement, et à la Nation, leurs conclusions, au terme de plusieurs mois de débats d’une exceptionnelle qualité qui fait honneur à notre démocratie.

Parmi les nombreuses propositions que devraient faire cette Convention, beaucoup vont dans le sens d’une mobilité à la fois plus durable, plus propre et plus équitable. La Convention propose notamment d’augmenter fortement la prime de mobilité durable prévue par la loi d’orientation des mobilités pour qu’elle bénéficie à l’ensemble des Français qui effectuent leur trajet domicile-travail à vélo ou par le biais du covoiturage. Mais la Convention propose aussi de nombreuses mesures visant à faire évoluer notre parc automobile le plus diéselisé d’Europe et composé d’une part croissante de SUV. Parmi celles-ci, l’arrêt en 2025 de la commercialisation de véhicules neufs très émetteurs (plus de 110 g de CO₂/km), des prêts à taux zéro pour l’achat d’un véhicule propre et une forte augmentation du système de bonus-malus, pour inciter à l’acquisition de véhicules propres et dissuader l’achat des véhicules polluants.

D’autres propositions sont dans l’air, comme l’indexation de la TVA sur le niveau de CO2 des véhicules, ou la récupération totale de la TVA pour les entreprises qui achètent des véhicules électrifiés. Certains économistes proposent d’aller encore plus loin et imaginent de réformer l’ensemble de la fiscalité sur le revenu, en y intégrant une forte composante basée sur nos émissions de CO2. Cette fiscalité-carbone, bien que complexe à mettre en œuvre, et sous réserve que soient prévus des mécanismes de péréquation évitant qu’elle ne pénalise surtout nos concitoyens les plus modestes, est une piste de réflexion qui doit être explorée.

Il est enfin important de souligner que les responsables économiques et chefs d’entreprises, comme le montre la tribune publiée le 4 mai dernier dans la presse, veulent prendre toute leur part dans ce « Monde d’après » qui se dessine et appellent également de leurs vœux un changement de société et la mise en œuvre volontariste d’une feuille de route vers une économie décarbonée et durable, qui réconcilie économie et écologie et remette l’homme au cœur de notre système de production de richesses (Voir Le Monde).

Toutes les conditions sont à présent réunies pour que nous sortions « par le haut » de cette terrible pandémie mondiale et que nous tirions toutes les leçons de cette catastrophe sanitaire, mais aussi économique et sociale, pour réorienter profondément nos sociétés, et leurs redonner, dans des cadres d’expression démocratiques nouveaux et plus participatifs, des finalités réinventées et porteuses d’espoirs.

Parmi les nombreux chantiers à mener, celui de la mobilité propre – individuelle et collective - est essentiel car il permettra à la fois d’accélérer de manière décisive la lutte contre le changement climatique, d’améliorer considérablement la santé et la qualité de vie de nos concitoyens, et de relancer l’innovation, l’économie et l’emploi sur des nouvelles bases. Mettons-nous dès maintenant au travail pour que, dans dix ans, et non 30 ou 40 ans, ce chantier titanesque mais nécessaire et juste, soit achevé et que nos enfants puissent vivre dans un nouveau monde dans lequel les principes d’intérêt général et de bien commun deviennent les valeurs suprêmes.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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