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Edito : L’énergie solaire pourrait dominer les énergies propres en 2030

En matière d'énergies propres, l'énergie solaire, en dépit d'un développement très rapide depuis 5 ans, reste encore relativement marginale au niveau mondial, loin derrière l’énergie éolienne, la biomasse et surtout l’énergie hydraulique. Grâce à de récentes avancées techniques et à des ruptures technologiques en cours, l’énergie solaire est probablement celle des énergies propres et renouvelables qui possède la plus forte marge de progression pour les décennies à venir et le plus fort potentiel pour devenir la première source d’énergie de l’Humanité avant le milieu de ce siècle.

En matière de panneaux solaires photovoltaïques, le taux de conversion de la lumière en électricité constitue un facteur-clé en matière de développement et de rentabilité. Ce seuil maximum vient de passer à 46 %, nouveau record mondial ! Ce taux a été atteint par une cellule solaire développée conjointement par le CEA-Leti, l'entreprise française Soitec et l’Institut Fraunhofer pour les Systèmes Energétiques Solaires (ISE) en Allemagne.

Contrairement aux panneaux photovoltaïques qui sont utilisés largement aujourd’hui, ces nouvelles cellules ne sont pas fabriquées en silicium mais utilisent d'autres semi-conducteurs, issus des matériaux dits « III-V », parce qu’ils sont composés des éléments chimiques classés dans les 3e et 5e colonnes du tableau périodique de Mendeleïev.

Ces nouveaux capteurs solaires à très haut rendement sont constitués d’une superposition de plusieurs couches - ou "jonctions" - dont chacune réagit à la lumière dans une certaine longueur d'onde. Autre avantage, ce nouveau type de cellule solaire peut être produit à l'aide d'une technologie parfaitement maîtrisée par l'industrie depuis 20 ans. Ces cellules «  III-V » peuvent donc être utilisées à très grande échelle dans les grandes centrales solaires situées dans les régions tropicales ou désertiques qui disposent d’un ensoleillement direct élevé.

En utilisation réelle, sur le terrain, le rendement sera toutefois légèrement inférieur mais devrait tout de même dépasser les 40 %. Un taux de conversion énergétique bien supérieur au taux moyen actuel de 25 % des dernières cellules au silicium.

De son côté, le groupe nantais Armor a présenté il y a quelques semaines sa dernière innovation : un film photovoltaïque mince et organique (OPV), qui devrait permettre, à terme, de transformer de nombreuses surfaces, aujourd’hui inexploitées, en panneaux solaires producteurs d’électricité.

S’appuyant sur sa maîtrise de la chimie des encres et des technologies d’impression, Armor a développé, en partenariat avec Cambrios Technologies, un film organique photovoltaïque. Très mince (400 grammes au mètre carré), il peut s’adapter et s’accrocher à presque n’importe quelle surface. Certes, ce film solaire a pour l’instant un rendement deux fois et demi plus faible que celui d’un panneau classique mais ce handicap est largement compensé par sa facilité de production et d’installation.

Avec ces films solaires souples, on peut en effet imaginer que chacun pourra, d’ici seulement quelques années, produire facilement et en permanence l’énergie électrique dont il a besoin pour les « petites » consommations, comme celles des terminaux et appareils électroniques par exemple. En outre, contrairement aux panneaux actuels rigides en silicium, ces films souples n’utilisent pas de terres rares dont les gisements risquent d’être épuisés dans quelques années.

Mais dans le domaine du solaire, d’autres avancées remarquables sont en cours dans le domaine des centrales solaires thermiques à concentration. Des chercheurs du MIT ont ainsi mis au point une « galette solaire » qui permet de générer de la vapeur à partir de la lumière du soleil. Ce sandwich est constitué de deux couches : d'une part, une couche isolante (insulating) en mousse de carbone, sur laquelle se trouve une autre couche composée de flocons de graphite si légers qu’ils flottent sur l’eau contenue dans le récipient qu’ils recouvrent.

Lorsqu’un faisceau de lumière solaire concentrée touche la galette, le graphite s’échauffe, provoquant une pression qui va faire remonter l’eau par capillarité à travers les pores de la mousse de carbone. L’eau finit par se vaporiser dans la couche de graphite de sorte que la galette fonctionne comme une éponge qui, placée dans l’eau pendant une journée chaude et ensoleillée, peut continuellement absorber et évaporer du liquide. Par ailleurs, la couche de carbone sert aussi d’isolant, empêchant la chaleur de s’échapper de l’eau sous-jacente.

Ces recherches ont montré qu’avec un faisceau de lumière dont l’intensité était seulement 10 fois supérieure à celle d’une journée ensoleillée normale, il était possible d’atteindre un taux de conversion de 85 % de l’énergie solaire en vapeur ! (Voir MIT News).

Il y a six mois, une autre équipe américaine, associant des chercheurs du MIT et de l’Université de Harvard, a, quant à elle, découvert un moyen de stocker l'énergie solaire sous forme chimique afin de la restituer en chaleur plus tard. Le principe repose sur l’utilisation d’une famille de molécules (les azobenzènes) qui, exposées à la lumière du soleil, absorbent l’énergie en modifiant leur configuration. En exploitant cette propriété chimique, il est possible d'inverser à la demande leur état par une légère stimulation afin de produire de la chaleur, ce qui permet de restituer de manière différée l’énergie et la chaleur captées, en chauffant par exemple un bâtiment la nuit… En permettant l’utilisation différée de l’énergie produite, cette technologie offre une nouvelle solution prometteuse au problème que constitue l'intermittence de l’énergie solaire.

Autre avancée en matière de stockage de l’énergie : en mai dernier, la première centrale solaire équipée de la technologie de batterie en flux redox a été inaugurée dans la ville de Turlock en Californie. Développé par la société américaine Enervault, ce dispositif permet de stocker de l’énergie sur une période courte mais suffisante pour faire face de manière optimale aux pics de consommation d’électricité.

Cette technologie redox Fer-Chrome consiste à stocker des électrolytes (substance conductrice) dans deux réservoirs séparés au lieu d’être contenus à l’intérieur de la batterie. Les échanges d’électrons et de protons entre les réservoirs se font alors par l’intermédiaire de deux électrodes en carbone poreux, séparées par une membrane échangeuse d’ions. Le dispositif de circulation entre les deux réservoirs détermine la puissance de la batterie alors que le volume des réservoirs conditionne la capacité de stockage électrique.

Comme ces deux variables sont ajustables indépendamment, il devient possible de stocker de grandes quantités d’énergie à un coût plus faible que dans les batteries traditionnelles.

Ces chercheurs d’Harvard ont montré qu’une batterie en flux redox dont le réservoir serait d’une taille équivalente à celle d’une cuve de fioul de chauffage pour un particulier (2 à 3 m3) est suffisante pour stocker l’énergie produite en une journée par les panneaux photovoltaïques situés sur le toit d’une maison individuelle. Pour stocker l’énergie produite par une ferme éolienne ou une centrale solaire, une dizaine de grandes citernes suffisent.

Comme une batterie en flux redox est capable de stocker et de produire 250 kW pendant 4 h (1 MWh), dans le cas de la centrale de production et de stockage de Turlock, cette technologie redox Fer-Chrome a permis de réduire considérablement le recours de la centrale au réseau électrique traditionnel. Cette nouvelle technologie de stockage est désormais envisageable dans les configurations requérant une importante capacité instantanée de stockage pour assurer une production stable et « lissée » pouvant répondre aux pics de consommation électrique.

Aux Pays-Bas, le ministre de l'Économie néerlandais, Henk Kamp, a inauguré récemment la première « route solaire » au monde. Ce tronçon de route d’une longueur de 70 mètres est composé de modules de béton de 2,5 mètres sur 3,5 mètres recouverts de panneaux solaires. Ceux-ci sont recouverts de verre trempé anti-dérapant et peuvent produire "140 kilowatts d'énergie par heure", « soit l'équivalent de 140 cycles de machines à laver », affirme la porte-parole du projet, Jannemieke van Dieren. Pour l'instant, l'électricité générée est injectée dans le réseau électrique mais pourrait aussi être utilisée dans le futur pour éclairer la voie publique, indique l'Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique (TNO).

D’ici 2016, cette route solaire sera étendue à 100 mètres et elle pourrait permettre à l’horizon 2020 aux vélos et voitures électriques de recharger par induction (sans prise, ni câble) leurs batteries depuis la route ou la piste cyclable.

En France, malgré un retard persistant sur nos voisins allemands, italiens ou espagnols, l’énergie solaire connaît également un nouveau souffle. La société française Neoen a par exemple annoncé début novembre le démarrage de la construction du parc solaire de Cestas, près de Bordeaux. Avec une puissance installée de 300 mégawatts (MW), répartis en 25 centrales sur 300 hectares, cette centrale solaire, d’un coût de 360 millions d’euros, doit entrer en service en octobre 2015, elle sera à la fois la plus grande d’Europe et la plus productive par rapport à la surface occupée.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit qu'en combinant les technologies photovoltaïques et thermodynamiques, l'énergie solaire pourrait représenter 26 % de la production électrique mondiale d'ici 2050. Les panneaux photovoltaïques pourraient en effet produire 16 % de l'électricité mondiale (soit une puissance totale de 4.600 gigawatts) et les centrales thermiques à concentration des rayons solaires pourraient représenter 11 % de l'électricité produite d'ici 2050 (avec une capacité de 1.000 GW), représentant 6 milliards de tonnes d'émissions de CO2 évitées par an, soit 15 % des émissions humaines mondiales de CO2 ou encore l’équivalent de la totalité des émissions de CO2 des transports de toute la planète.

Selon l'AIE, "La baisse rapide des coûts des modules et systèmes photovoltaïques ces dernières années a ouvert de nouvelles perspectives pour utiliser l'énergie solaire comme une source majeure d'électricité dans les prochaines années et décennies". L'Agence précise que le prix de l'électricité produite à partir de panneaux solaires devrait ainsi baisser de 25 % d'ici 2020, 45 % en 2030 et 65 % en 2050 (Voir International Energy Agency).

D’ici 2020, le coût du kWh solaire photovoltaïque devrait descendre à 9 centimes d’euros et rejoindre celui du kWh nucléaire qui va augmenter notamment à cause des lourds investissements liés à la remise à niveau des centrales nucléaires en matière de sécurité. Mais ce coût du kWh issu de panneaux solaires va continuer à décroître et pourrait tomber à seulement 4,3 centimes dans le sud de l’Europe en 2030, selon une étude du réputé Institut Fraunhofer. Cela signifie concrètement que, d’ici 15 ans, la production d’un kWh solaire photovoltaïque devrait non seulement être moins coûteuse que celle d’un kWh nucléaire mais également moins coûteuse que celle d’un kWh issu de la combustion de charbon… (Voir Fraunhofer ISE).

Si l'on tient compte de cette évolution technologique et de la baisse attendue du coût de l'électricité photovoltaïque, il n'est pas impossible d'envisager que le seul solaire photovoltaïque puisse, dès 2030, fournir au moins 20 % de la production totale de l'électricité mondiale, soit environ 6 400 Twh par an (la production électrique mondiale prévue pour 2030 étant de 32 000 TWh ou 32 000 milliards de kWh par an, contre 23 000 TWh en 2013).

Compte tenu du doublement attendu du rendement moyen des panneaux photovoltaïques d'ici 15 ans, la production solaire de ces 6 400 Twh annuels (environ 12 fois la production électrique annuelle de la France), ne nécessiterait que 48 000 km2 de panneaux solaires, soit une superficie comparable à celle de la Slovaquie. En admettant à présent que la planète veuille produire la moitié de toute l'électricité dont elle aura besoin en 2050 (36 000 Twh) à l'aide du solaire photovoltaïque à haut rendement, il ne faudrait que 135 000 km2 de panneaux solaires répartis sur la surface de la Terre pour assurer cette production, ce qui ne représente même pas 1 % de la superficie totale des déserts sur notre planète, ou encore la superficie d'un pays comme la Grèce.

La production d'électricité solaire (principalement photovoltaïque) a déjà été multipliée par un facteur de 48 en dix ans (+ 54 % / an en moyenne), pour atteindre 125 TWh en 2013. Si l'on admet que cette production solaire peut encore être multipliée par 48 d'ici 15 ans, on obtient une production de 6 400 TWH d'électricité solaire en 2030, soit au moins 20 % de la production mondiale d'électricité prévue à cette échéance.

En ajoutant l'éolien et l'hydraulique (environ 16 % chacun en 2030) mais également le nucléaire, faiblement émetteur de CO2 (10 %), il serait donc possible de produire dès 2030 plus de 60 % de l'électricité dont le monde a besoin à l'aide d'énergies à faible émission de CO2, alors qu'aujourd'hui, les deux tiers de l'électricité mondiale restent issus des énergies fossiles, fortement émettrices de gaz à effet de serre.

En matière d'émissions de CO2, les conséquences d'un tel basculement énergétique seraient , nous l’avons vu, considérables : avec une production électrique mondiale assurée à 20 % par le solaire en 2030, il serait en effet possible de diminuer d'autant la production électrique d'origine fossile, ce qui se traduirait par une réduction d'environ 6 gigatonnes par an des émissions mondiales de CO2, soit 15 % des émissions mondiales annuelles actuelles de CO2 et cela malgré une augmentation de la production mondiale d’électricité de 40 %, liée à la croissance mondiale et au développement économique en Asie, en Afrique et en Amérique du sud.

Notre Pays, qui a la chance de disposer à la fois des compétences technologiques nécessaires et des conditions géoclimatiques très favorables au développement de l’énergie solaire, doit tout faire pour rattraper son retard dans ce domaine stratégique et se hisser au niveau de l’Allemagne qui produit, à elle seule, le quart de l’énergie solaire de la planète et assure déjà plus de 10 % de sa consommation électrique grâce à cette source propre et inépuisable d’énergie (contre à peine 1 % en France).

Il faut bien comprendre que, contrairement à l’éolien qui ne peut se développer véritablement qu’en mer et sera toujours confronté à des contraintes d’occupation de l’espace et d’impact visuel, l’énergie solaire qui se captera à l’aide de nouveaux panneaux souples et bon marché, sera demain partout, non seulement dans des centrales thermiques et photovoltaïques de différentes dimensions, dont les plus grandes pourront rivaliser avec la production d’un réacteur nucléaire grâce aux progrès considérables en matière de rendement énergétique mais également sur nos murs, nos toits, nos routes et même nos vêtements…

Comme elle a su si bien le faire dans les domaines nucléaire, spatial, aéronautique ou encore ferroviaire, la France doit prendre l’initiative d’un grand projet européen, à la fois scientifique et industriel, visant à faire de l’énergie solaire, sous toute ses formes, la première des énergies propres utilisée dans 15 ans et la première source d’énergie tout court dans 30 ans. Ce défi peut sembler ambitieux mais je crois qu’il est pleinement à notre portée si nous en avons la volonté collective et si nos dirigeants savent regarder loin devant eux pour préparer l’avenir.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • Jacques Cells-Ere

    14/12/2014

    Et pour l'aider à éliminer ses fluctuations, pourquoi pas une invention propre bien française et mondialisable..., pour redresser notre économie de plus bougés sainement, qu'assistés comme des robots, sans même assez respirer sainement dans les fausses vies actuelles ?
    Echo-no-mise ?
    - http://safeearthsolutions.wordpress.com/lenigme-de-lenergie-libre-ou-dit...

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