RTFlash

Edito : L'échec est salutaire

Notre Pays, comme les autres pays latins, essentiellement l'Espagne et l'Italie, dont les systèmes organisationnels, politiques, économiques et sociétaux se sont inspirés de la Rome antique et de la Rome Catholique, considèrent trop souvent l'échec comme une tare indélébile qui marquera l'individu pendant toute son existence. Tout au contraire, les Pays issus de la Réforme, comme ceux de l'Europe du Nord ou les Etats-Unis d'Amérique qui n'ont jamais eu honte du gain et de l'argent honnêtement gagné, pensent que l'échec est salutaire pour permettre à l'Homme de trouver sa véritable dimension. Vous avez déjà certainement rencontré un ami, une relation, un collègue qui a connu, en France, les affres du dépôt de bilan. Alors que quelques semaines auparavant, tout le monde le félicitait pour avoir eu l'heureuse initiative de créer une entreprise, quelques jours plus tard, alors que sans aucun acte malhonnête mais pour des raisons liées aux circonstances ou à un brusque effondrement du marché, le créateur d'entreprise avait dû se déplacer au Greffe du Tribunal de Commerce pour y déposer le bilan de son entreprise, soudainement de nombreuses personnes qu'il pouvait penser compter parmi ses amis, changeaient de trottoir quand elles se trouvaient dans la même rue, l'évitaient quand elles se retrouvaient dans la même réunion et ne lui téléphonaient même plus pour lui proposer d'emmener ses gamins au ski... Il suffit de constater comment des entrepreneurs peuvent se retrouver " nu comme un ver " après avoir perdu non seulement leur entreprise mais aussi leur maison, leur voiture et constater souvent que même leur femme les quitte, pour prendre conscience de la gravité de l'échec dans notre Pays. Cette pensée dominante a été instillée auprès de notre Peuple depuis des siècles par des responsables " moraux " qui, eux, ne craignent rien puisque leur statut leur interdit l'échec. Cela était déjà vrai depuis le Concile de Trente pour des autorités ecclésiastiques qui étaient passées " maître " dans l'art du sermon sans rien craindre elles-mêmes et surtout en n'appliquant pas à elles-mêmes la règle qu'elles demandaient, avec sévérité, à nos aïeux de respecter. Mais ce qui est plus pénible encore pour un peuple devenu plus mature grâce aux nombreux moyens d'information qui nourrissent sa réflexion se passe, actuellement, dans notre époque moderne. La Révolution Française a fait disparaître ou, du moins, a ramené au niveau du citoyen les membres de la Haute Noblesse ou du Haut Clergé. Mais, peu à peu, la structure pyramidale de la République se substituant à la structure pyramidale de la Monarchie a généré une nouvelle caste qui, elle aussi, ne connaît jamais l'échec puisque son statut le lui interdit : je veux parler de la Haute Administration. Il suffit de noter comment, depuis la seconde guerre mondiale, avec efficacité et professionnalisme, les anciens de l'E. N. A. (Ecole Nationale d'Administration) ont occupé, sinon envahi, tous les postes clés de l'Administration de notre Pays pour constater que le fossé se creuse à grande vitesse, en France, entre ceux qui prennent des risques en entreprenant et ceux qui maintenant nous gouvernent. Car, en effet, et c'est là que le problème est grave, ces hommes brillants et compétents qui étaient formés pour administrer la France ont, depuis trente ans, depuis la disparition du Général de Gaulle, franchi le miroir pour se retrouver dans des postes clés, aussi bien dans le monde politique que dans le monde économique. D'administrateurs, ils ont tenu à devenir gouvernants. C'est ainsi qu'une grande partie des leaders politiques, de gauche comme de droite, auxquels les médias attribuent un réel avenir, sont quasi exclusivement issus de l'ENA et qu'une partie importante des managers des plus grandes entreprises (souvent issues d'anciennes sociétés nationalisées) sont eux aussi d'anciens élèves de l'ENA. Cette consanguinité commence à réellement appauvrir notre Pays. Le discours unique sinon la langue de bois qui, depuis quelques années, attriste notre Pays est l'enfant naturel de ce manque de diversité. Il faut que nos gouvernants prennent conscience que la réelle autorité ne peut être liée qu'à une réelle prise de risque. A l'encontre de ce qui est souvent largement diffusé et amplifié par des médias complaisants frappés de cécité, les élus sont, dans nos sociétés, des individus qui souvent prennent des risques réels. Nous ne comptons plus en France les anciens maires, les anciens conseillers généraux, les anciens députés qui, après un revers électoral, se retrouvent pendant plusieurs mois au chômage et éprouvent les plus grandes difficultés à retrouver leurs anciennes fonctions de cadres d'entreprises, de comptables ou de conseils. Mais, par contre, avez-vous parfois vu un haut fonctionnaire, issu de l'ENA, ancien de la Cour des Comptes, du Conseil d'Etat ou de toute autre haute administration, rompre les liens avec son statut de haut fonctionnaire pour se lancer dans une carrière politique ? Certainement pas. Cela serait trop risqué et ne fait pas partie de la culture de la haute fonction publique française. Si nous voulions montrer au Peuple de France que ses responsables politiques sont enfin prêts à prendre tous les risques pour remplir pleinement leur noble mission, il suffirait que nous ayons le courage, comme la Grande-Bretagne a déjà su le faire, d'obliger tous les candidats à préalablement abandonner la fonction publique et tous ses avantages avant de leur donner le droit de se présenter à une élection. Ce n'est qu'à ce titre que la fonction d'Elu retrouverait dans notre Pays le panache qu'elle n'aurait jamais dû perdre et dont souffre terriblement la France.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top