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Edito : L'accord entre Microsoft et AOLTime Warner bouleverse le paysage numérique mondial

L'accord intervenu le 30 mai entre AOL Time Warner et Microsoft, qui met fin à la procédure judiciaire engagée par le plus grand groupe de médias mondial contre le premier éditeur informatique, place le numéro un mondial des médias en position de force sur le marché lucratif, et en plein essor, des loisirs numériques en ligne. Selon les termes de cet accord, Microsoft accepte de verser 750 millions de dollars à AOL pour que celui-ci accepte de retirer sa procédure pour abus de position dominante. Cet accord démontre également la volonté de Microsoft d'abandonner progressivement MSN comme service d'accès à Internet. Cette entente au sommet devrait bouleverser le marché très concurrentiel de la musique numérique et de la vidéo en ligne, qui explose avec la montée en puissance du haut débit dans les foyers. La première conséquence de cet accord devrait être la réorientation de MSN, qui perd de l'argent, vers les logiciels et les services plutôt que l'accès à Internet, domaine dans lequel MSN est un concurrent direct d'AOL. Microsoft a déjà commencé à proposer MSN, indépendamment de l'accès à Internet, offrant à ses utilisateurs un navigateur personnalisé et de nouvelles fonctions pour le service de courrier électronique Hotmail, lancé en 1995. MSN compte près de neuf millions d'abonnés, contre plus de 34 millions pour AOL, premier fournisseur mondial d'accès à Internet. Il est à présent clair que Microsoft souhaite soutenir de plus en plus AOL comme fournisseur de contenu. Cet accord comporte trois grands volets. Tout d'abord, l'éditeur informatique s'engage également à distribuer plusieurs logiciels d'AOL auprès de constructeurs de PC avec qui AOL n'a pas encore d'accord. Ensuite, AOL obtient en outre le droit d'utiliser le navigateur Internet Explorer gratuitement pendant sept ans. Enfin, les deux sociétés vont s'associer dans plusieurs technologies liées à Internet comme les messageries instantanées, les médias numériques et la lutte contre le piratage. Concrètement, pour l'utilisateur cela signifie notamment l'interopérabilité de messageries instantanées respectives de Microsoft et d'AOL, une option jusqu'ici refusée par AOL qui reste le leader incontesté du secteur avec une part de marché de 60 %, contre 22 % pour Windows Messenger. Cette interopérabilité des messageries instantanées de Microsoft et d'AOL devrait élargir considérablement le marché de la messagerie instantanée et lui permettre de se développer dans le secteur professionnel, bien plus lucratif que le marché grand public. Mais à terme, cet accord au sommet place également Microsoft dans une nouvelle position très favorable, pour ne pas dire hégémonique, avec ses logiciels Windows Media, pour devenir la première plate-forme des médias numériques. Les deux entreprises ont indiqué qu'elles allaient promouvoir le développement des logiciels centrés sur la musique, la vidéo et les médias, en s'appuyant sur la technologie de Microsoft et sur le large catalogue d'AOL, qui possède la chaîne de télévision américaine CNN ou le film à succès "Matrix Reloaded". Pour AOLTime Warner, en quête de meilleures synergies entre les "contenus" de Time Warner et le "contenant" AOL, cet accord va lui permettre d'utiliser la plate-forme numérique "Windows Media 9 Series" de Microsoft, ce qui ouvre la voie à une lecture informatique de meilleure qualité pour les programmes dits lourds, de musique ou surtout d'image animée. Quant au piratage numérique, tant redouté par le géant des médias, Microsoft va aider AOL Time Warner à le combattre en mettant à disposition ses outils technologiques. En revanche, cette alliance n'est pas une bonne nouvelle pour les autres acteurs du marché, comme Apple qui vient de lancer avec succès son service musical en ligne, RealNetworks, inventeur d'un lecteur utilisé pour écouter de la musique ou regarder un film, ainsi que d'autres plus modestes. L'alliance conclue avec Microsoft modifie également un partenariat entre AOL et RealNetworks, dont le lecteur est distribué par le fournisseur d'accès à Internet. Mais AOL ne représentant que 5 % de l'activité de RealNetworks et le contrat courant sur plusieurs années, l'impact de l'accord AOL-Microsoft devrait être limité pour RealNetworks. L'accord entre Microsoft et AOLTime Warner pourrait par ailleurs porter le coup de grâce à Netscape, le pionnier des navigateurs Internet commerciaux, acheté en 1998 par AOL. L'accord permet en effet à AOL Time Warner de distribuer gratuitement son grand concurrent, le navigateur Internet Explorer de Microsoft, pendant sept ans. L'histoire de Netscape se confond avec celle du développement d'Internet dans le monde. Netscape comptait jusqu'à 90 % du marché mondial des navigateurs, contre seulement 3 % aujourd'hui. Le déclin inexorable de Netscape a commencé lorsque Microsoft a commencé à distribuer Internet Explorer avec son système d'exploitation Windows. Même America Online a fini par choisir Internet Explorer, si bien que le navigateur de Microsoft peut se prévaloir aujourd'hui de plus de 90 % de part de marché, selon les analystes. La plupart des analystes américains pensent que la vente de Netscape par AOL est désormais programmée et n'est plus qu'une question de temps. Il ne faut pas être sorcier pour imaginer que les conséquences à long terme de cet accord seront une plus large utilisation des produits Microsoft en général, car AOL les soutiendra plutôt que de mettre la puissance de son marketing derrière une société proposant une alternative, comme Real. Selon les analystes, l'accord passé avec Microsoft soulage AOL Time Warner qui souhaite réduire sa dette de 26 à 20 milliards de dollars d'ici 2005 et raviver sa division Internet. Travailler avec Microsoft devrait permettre à AOL de prendre un nouveau départ face à ses concurrents et de poursuivre sa stratégie de développement dans le numérique en baissant ses coûts, estime Enderle. Les récents remaniements au sein d'AOL Time Warner, dont le départ du co-fondateur d'America Online, Steve Case, et le repositionnement du fournisseur d'accès sur les médias plutôt que sur la technologie, laissent présager d'autres accords de ce type. Si cet accord semble favoriser davantage AOL, du moins à court terme, il fonde également une alliance puissante dans le secteur des médias numériques où les deux géants pourraient créer un standard de fait pour la distribution du contenu numérique et la question essentielle de la gestion des droits numériques (DRM), qui représente d'énormes enjeux commerciaux et financiers et qui se trouve actuellement au centre d'un grand débat politico-juridique aux Etats-Unis. Devant cette entente, il sera intéressant de voir comment vont réagir les grands constructeurs informatiques ainsi que Sony qui développe une stratégie globale de maîtrise de la chaîne numérique, du PC à la photo et la vidéo, en passant naturellement par les stations de jeu en ligne, domaine dans lequel Sony, avec la PlayStation2, a pris une avance certaine sur Microsoft et sa X-Box. Il est d'ailleurs intéressant de noter que 2 jours avant l'accord Microsoft-AOL-Time Warner, Sony a dévoilé une nouvelle machine "tout-en-un", baptisée "PSX", qui intégrera une carte de réception TV, un graveur de DVD, un système de jeux vidéo et un puissant disque dur. Cette machine polyvalente pourra être utilisée pour jouer, écouter de la musique ou regarder des films. La PSX doit être lancée sur le marché japonais dans le courant de l'année, en Europe et aux Etats-Unis l'année prochaine. Face à ce "Yalta numérique", Sony parviendra-t-il à poursuivre sa stratégie numérique ? Comment la communauté de "l'open source" va-t-elle réagir et se réorganiser face à cette alliance ? Comment vont réagir les grands constructeurs informatiques qui commencent à proposer, comme Gateway ou Dell, leur propre service de distribution de musique, au travers de "paquets" qui regroupent un PC et l'accès en ligne à une discothèque numérique ? Enfin, et c'est bien entendu la question capitale, quelle sera l'attitude des consommateurs de contenus et de services numériques en ligne ? Pour lever toutes ces interrogations, les mois à venir vont être décisifs mais il est clair que, depuis le 30 mai, une phase capitale de la bataille technologique et commerciale sans merci pour la production et le contrôle mondial des flux numériques, via l'Internet haut débit, est engagée.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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