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Edito : Il ne reste que peu de temps pour décider de l'avenir du cinéma français

La révolution que beaucoup attendaient depuis de nombreuses années est en train de se dérouler sous nos yeux. Les derniers maillons qui composent la chaîne numérique du cinéma viennent d'être forgés. En cette semaine de Festival de Cannes, il nous faut prendre conscience que cette grande mutation du numérique va donner un nouveau souffle au 7e Art. George Lucas avec Star Wars l'année dernière et Walt Disney avec Toy Story 2, il y a quelques semaines, ont ouvert une époque nouvelle dans l'histoire du cinéma en tournant les deux premiers films " grand public " pour lesquels il n'a pas été utile d'utiliser le moindre mètre de pellicule. Mais ce qui est peut-être encore plus extraordinaire, et pourtant cet événement est passé quelque peu inaperçu, un cinéma parisien, comme le font par ailleurs une quinzaine de salles aux Etats-Unis et deux au Canada, projette Toy Story 2 sur grand écran sans employer la moindre bobine, portant le film au standard historique de 35 mm. Cette chaîne numérique ininterrompue qui va du tournage jusqu'à la projection sur grand écran dans les salles obscures va certainement autant changer l'avenir du cinéma qu'a pu le faire en son temps l'avènement du parlant ou de la couleur. Cette prouesse de la projection numérique sur grand écran utilise un procédé de vidéoprojection révolutionnaire reposant sur les puces DMD (Digital Micromirror Device) qui sont en train de bouleverser le secteur de l'image et de la vidéo. Des micro-miroirs qui se comptent en millions basculent en 1/60e de seconde sur de minuscules barres de torsion. Chacun de ces miroirs est attiré ou repoussé par deux électrodes. En basculant, chacun de ces miroirs, soit envoie la lumière sur l'écran (le point projeté est alors blanc) soit la dévie vers une surface d'absorption (le point projeté est alors noir). Pour la couleur, le même nombre de miroirs (en millions) traitent chacune des couleurs de base (rouge, vert, bleu). Cette technique permet de faire disparaître les zones légèrement ombrées qui entourent chaque pixel avec des cristaux liquides (LCD) car chacun de ceux-ci doit porter un micro-transistor alors que les miroirs sont parfaitement jointifs. De plus, grâce à une astuce qui permet de faire basculer chaque miroir à une vitesse différentielle supérieure à 1/60e de seconde, il est obtenu un piqué (surtout dans les gris) qui n'a jamais été atteint avec une autre technologie de vidéoprojection. En effet, si la durée typique du basculement est de 1/60e de seconde, le miroir projettera un point blanc si le rayon est, pendant cette durée, dirigé vers l'objectif. Mais si ce même miroir est éclairé pendant 1/120e de seconde seulement, la moitié de l'énergie lumineuse sera projetée sur l'écran et le point sera alors gris. Si le basculement ne dure que 1/240e de seconde, il sera obtenu un point lumineux, beaucoup plus faible, en gris sombre proche du noir. Si nous imaginons que ces durées cycliques de basculement peuvent être simultanément gérées de façon autonome sur les millions de micro-miroirs et ce dans les trois couleurs de base, chacun imagine le nombre de centaines de millions de couleurs qui pourront être utilisées. De plus, comme l'énergie lumineuse avec les puces DMD n'est plus absorbée par le composant comme c'est le cas actuellement sur les cristaux liquides (LCD), lorsque le pixel projeté est noir, mais réfléchie par le miroir sur une surface sombre d'absorption, les problèmes liés à l'échauffement sont beaucoup moins importants. Cela permet d'utiliser avec ces puces DMD des " lanternes " puissantes (plusieurs kilowatts) permettant d'obtenir des images très lumineuses sur les grand écrans des salles de cinéma. Par ailleurs, les ingénieurs de Texas Instruments qui se sont montrés particulièrement imaginatifs dans cette formidable aventure ont réussi à mettre au point, en s'appuyant sur la théorie mathématique des ondelettes, des algorithmes de compression ramenant de 2000 Go à 50 Go la taille du fichier numérique d'un film comme Toy Story 2 tout en obtenant un résultat sensiblement supérieur au procédé MPEG. Comme par ailleurs les réseaux câblés et les satellites auront très prochainement la possibilité de livrer ces films numériques à une vitesse de transmission de 10 Mo/seconde au moins, cela signifie qu'il sera alors possible de télécharger en temps réel les films numériques diffusés. Avec ce bouclage de la chaîne numérique du cinéma, ce sont non seulement les lourdes et fragiles bobines de pellicules qui vont disparaître après un siècle de bons et loyaux services, mais c'est tout un secteur économique qui aura profondément marqué le 20e siècle qui va être bouleversé. Mais ce bouleversement très conventionnel finalement puisqu'il respecte les règles et les hiérarchies établies depuis longtemps entre les producteurs et les distributeurs n'est rien par rapport à la profonde révolution que va provoquer cette chaîne numérique du cinéma dans nos rapports avec l'image. En effet, comme devrait l'annoncer Texas Instruments à Infocomm International à Anaheim en Californie (du 15 au 17 juin 2000), la technologie DLP (Digital Light Processing) qui porte les puces DMD devrait être introduite immédiatement dans le vidéo-projecteur de Monsieur Toulemonde. Si le " plumage était aussi beau que le ramage ", il n'y a aucun doute que chacun devrait pouvoir disposer de l'outil idéal pour installer chez soi son propre cinéma (home-cinema). C'est là que se trouverait le vrai défi de l'avenir pour le cinéma. Très vite, les producteurs seraient incités à investir dans de puissants réseaux optiques ou satellitaires (n'est-ce pas ce qu'a commencé à faire Time Warner ?) et proposeraient leurs films les plus récents (jusqu'ici réservés aux salles de cinéma) à leurs abonnés sur le réseau mondial. Les économies de distribution atteindraient un tel niveau par rapport aux réseaux traditionnels que cette nouvelle approche mettrait non seulement les réseaux traditionnels de distribution en difficulté mais ce sont même les économies nationales du 7e Art qui pourraient être mises en péril, par cette diffusion utilisant les satellites. En effet, pourquoi les grands groupes de production américains qui dominent outrageusement le cinéma mondial s'encombreraient-ils encore des particularités nationales et de notre " exception culturelle " si la chaîne numérique ne comptant plus de maillon faible leur permettait d'être solidement reliés à chaque cinéphile ? Tous les responsables du cinéma français et même les ministres (dont le premier d'entre eux) qui, dans ces jours printaniers, gravissent les escaliers d'honneur de Cannes, devraient très vite prendre conscience que nous ne disposons plus que de peu de temps pour décider de l'avenir du cinéma français et européen en faisant en sorte que de ce coté de l'Atlantique nous sachions aussi bien mettre en valeur cette nouvelle chaîne numérique du 7e Art (de la production jusqu'au spectateur) comme s'y prépare la puissante industrie cinématographique américaine.

René TREGOUET

Sénateur du Rhône

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