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Edito : Le cerveau commence à dévoiler ses secrets

Pour la première fois, un chercheur français, Jean-Claude Dreher du Centre de neuroscience cognitive (CNRS/Université Lyon 1), en collaboration avec une équipe américaine du National Institute of Mental Health (Bethesda, Maryland), vient de montrer, chez des humains, comment l'activité d'un messager chimique clef, la dopamine, affecte des circuits neuronaux vitaux impliqués dans les "circuits de la récompense » (motivation, apprentissage). Ils ont également démontré comment cette activité change lors du vieillissement. Ces résultats cruciaux pourraient bien, à long terme, mener à des stratégies thérapeutiques pour des maladies liées à un vieillissement anormal du cerveau, comme celle d'Alzheimer.

Outre Rhin, des chercheurs de l'Institut Max Planck de neurobiologie et de l'Université de la Ruhr-Bochum viennent de prouver que les cellules nerveuses du cerveau adulte ne recevant plus d'informations de la part de leurs neurones voisins sont capables de tisser de nouveaux contacts avec d'autres neurones. Le cerveau humain contient environ 100 milliards de cellules nerveuses, chacune d'entre elles possédant 10.000 à 20.000 contacts avec des neurones voisins. Ce réseau permet notamment de recevoir et de traiter les informations sensorielles. Or, si des informations provenant d'un des organes sensitifs manquent, comme c'est le cas par exemple lorsque la rétine d'un oeil est endommagée, les cellules nerveuses liées à la zone touchée ne reçoivent plus d'informations.

Les scientifiques ont pu montrer que, dans ce type de traumatisme, ces cellules restructurent leur réseau. Quelques jours après une lésion de la rétine, ces neurones développent des prolongements trois fois plus vite que les neurones voisins n'étant pas directement concernés par le dommage. Ces prolongements permettent de trouver et d'identifier les cellules voisines adéquates pour l'échange de données.

Si la capacité d'adaptation de jeunes cerveaux était déjà connue, "une réorganisation à une telle échelle dans un cerveau adulte" est surprenante, déclare Tara Keck de l'Institut Max Planck de neurobiologie. Cette restructuration permet de compenser en partie les dégâts occasionnés. Cette capacité d'adaptation permet d'envisager de nouvelles approches dans le cadre de blessures d'un organe des sens.

D'autres chercheurs de l'Institut Max Planck de neurobiologie de Martinsried, près de Munich viennent de découvrir le mécanisme remarquable par lequel notre cerveau réalisait l'établissement de nouvelles interconnexions neuronales stables. Les neurones sont reliés entre eux au moyen de milliers de points de contacts, les dendrites. Lors du développement neuronal, les jeunes neurones doivent créer des contacts avec les bons neurones partenaires, et ce, afin que le cerveau puisse réaliser les tâches complexes qui lui sont demandées. A l'âge adulte, ce processus de connexion et de déconnexion se poursuit, il contrôle les fonctions d'apprentissage et d'oubli du cerveau.

Le cerveau est l'organe dont la consommation d'énergie est la plus forte. La construction et la suppression des contacts entre les neurones sont des processus gourmands en énergie. Entre neurones, la recherche de bons "partenaires" est une étape qui devrait néanmoins coûter encore plus d'énergie à l'organisme puisque chaque cellule devrait former quelques milliers de contacts avec ses voisins de manière à échanger au mieux l'information. Si la connexion établie entre les neurones n'est pas satisfaisante, la dendrite est supprimée, et ce, seulement quelques secondes ou quelques minutes après sa mise en place.

Jusqu'ici les chercheurs pensaient que l'échange d'information ne s'effectuait qu'à partir de points de contacts bien spécifiques, les synapses. Or, la formation d'une synapse complètement fonctionnelle nécessite 2 jours et demande beaucoup d'énergie, une dépense superflue si la connexion s'avère inefficace et qu'il faut la supprimer. Le développement neuronal prendrait ainsi 1.000 ans si chaque contact impliquait la création d'une synapse. En conséquence, la formation d'une synapse entre deux neurones n'est pas indispensable au transfert d'information.

En marquant un neurone avec des molécules fluorescentes, les neurobiologistes Christian Lohmann et Tobias Bonhoeffer ont réussi à observer au microscope l'échange d'information entre ce neurone et ses voisins : la communication s'effectue par transmission locale d'ions calcium. Une synapse ne se forme que lorsque le contact entre les deux cellules nerveuses s'établit sur le long terme.

Concrètement, le contact d'une dendrite avec un autre neurone est directement suivi d'un envoi d'ions calcium. Le calcium agit comme un messager, un panneau "stop" pour la dendrite, qui cesse immédiatement sa croissance, il apporte également toutes les informations importantes quant à la qualité du nouveau contact établi. Le contact n'est pérenne que lorsque le niveau de calcium envoyé est supérieur à la concentration en calcium aux environs de la zone de contact. Dans le cas inverse, la connexion se voit supprimée et le neurone cherche d'autres points de contact avec des cellules partenaires.

"L'efficacité de cette technique nous a étonnés" commente Tobias Bonhoeffer, en ajoutant : "Le cerveau économise de cette façon du temps et de l'énergie, en récoltant au passage des informations importantes." Les bonnes connexions neuronales qui en résultent permettent le bon déroulement d'une idée par exemple.

Les recherches sur les cellules souches se traduisent en résultats de plus en plus spectaculaires, à un rythme toujours plus rapide. Quelques jours après la création in vitro de neurones moteurs issus de cellules de peau de personnes souffrant d'une maladie neurodégénérative et la constitution de lignées de cellules souches porteuses des stigmates d'une dizaine d'affections de diverses origines, une nouvelle étape vient d'être franchie : des chercheurs sont parvenus à fabriquer in vitro du cortex cérébral, à partir de cellules souches embryonnaires de souris.

Une équipe conduite par Pierre Vanderhaeghen de l'Université libre de Bruxelles (ULB) en collaboration avec Afsaneh Gaillard (CNRS, université de Poitiers, France), vient en effet de réussir à transformer in vitro des cellules embryonnaires de souris en neurones du cortex cérébral. Le cortex (la couche extérieure du cerveau) est une des structures les plus complexes de cet organe, constituée de cellules nerveuses ou neurones, qui peuvent être le siège de maladies comme les épilepsies, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou la maladie d'Alzheimer.

Pour qualifier son travail, Pierre Vanderhaeghen n'hésite pas à parler de corticogenèse dans la mesure où la culture génère une sorte de tissu de cellules organisées entre elles plutôt qu'un type de cellules bien déterminées. Dans un deuxième temps, cette même équipe a greffé avec succès dans des cerveaux ces neurones générés entièrement en laboratoire. Au bout d'un mois, l'examen des cervelles des rongeurs a permis de constater qu'ils s'étaient connectés dans le cerveau en formant des circuits appropriés. Autrement dit, ces neurones étaient devenus entièrement fonctionnels, les cellules ciblant des endroits bien précis que le cortex cérébral aurait lui aussi choisi.

Cette expérience est la première à montrer sans ambiguïté que l'on pourrait disposer d'une ressource abondante de neurones spécifiques du cortex cérébral. Cette avancée ouvre de nouvelles perspectives dans la recherche sur les affections neurologiques qui trouvent leur origine dans différents dysfonctionnements du cortex cérébral humain.

Bien que créées en dehors du cerveau, ces cellules apparaissent alors fonctionnelles et ressemblent en tout point aux neurones du cortex. Cette observation a été expérimentalement confirmée : la greffe de ces neurones dans des cerveaux de jeunes souris a bien pris. Au Japon,c'est en étudiant des souris mutantes, constituant un modèle animal de la schizophrénie, que Tsuyoshi Fujita Miyakawa de l'Institut des sciences physiologiques du Japon a constaté l'existence d'un problème de maturation dans l'hippocampe. Plus exactement, dans une petite zone de cette structure bilatérale, le gyrus dentate.

Son étude, publiée dans la revue en ligne Molecular Brain, fait état d'un défaut de maturation, physiologique et morphologique, des neurones situés dans le gyrus dentate. Associé à cette déficience, le scientifique a relevé des modifications dans l'expression des gènes liés à la maturation de ces cellules nerveuses. Ces changements sont également présents dans le génome des malades humains souffrant de schizophrénie.

La piste du gyrus dentate semble donc prometteuse, son immaturité pourrait être une cause sous-jacente de la schizophrénie. Le chercheur estime également que cette zone pourrait aussi servir de marqueur objectif de la maladie. Jusqu'à présent, le diagnostic de la schizophrénie repose uniquement sur des critères comportementaux dont l'évaluation dépend, en partie, de l'interprétation du médecin. Le gyrus dentate est une zone connue pour son rôle dans la régulation de l'humeur et dans la mémoire de travail. C'est aussi un des rares endroits dans le cerveau qui est le siège d'une neurogénèse : de nouveaux neurones y naissent et meurent quotidiennement.

Ces remarquables avancées dans la compréhension du fonctionnement et du vieillissement de notre cerveau constituent les premières étapes d'une véritable révolution médicale et confirment que l'exploration de cet océan de complexité qu'est le cerveau humain sera bien l'une des grandes aventures scientifiques de ce siècle.

René Trégouët

Sénateur honoraire

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