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Brevet : piège à idées

Sous couvert de protéger leurs logiciels, les entreprises veulent toucher des droits sur toutes leurs utilisations potentielles. Les partisans d'une informatique " ouverte " dénoncent une atteinte à la créativité. Il fallait y penser plus tôt, maintenant, c'est trop tard : le passage aux 35 heures est breveté depuis le 13 novembre. Vous pensez que c'est une blague ? Que le droit interdit de breveter des idées ou des méthodes ? Vous avez raison. Du moins, en théorie. Car l'informatique aujourd'hui change la donne, et permet parfois de contourner la loi. " L'usage des ordinateurs allant grandissant, la mise en oeuvre d'idées, de procédés ou de méthodes, dépend de plus en plus des logiciels, explique Stéphane Fermigier, président de l'Aful, une association d'informaticiens. Breveter des logiciels conduit alors à breveter des idées. " En clair, lorsque votre entreprise passe aux 35 heures, elle utilise un logiciel approprié pour gérer les plannings. Si quelqu'un brevète le module qui permet de mener cette tâche à bien, d'une certaine manière, il en brevète aussi l'idée. L'astuce consiste à rédiger le brevet de manière à faire passer l'idée pour un " effet technique ". Pour alerter les politiques et l'opinion publique sur les dérives actuelles, l'Aful a ainsi déposé le brevet d'un " système et procédé de réduction du temps de travail ". Donc, si on prend le texte à la lettre, toute entreprise qui s'est mise aux 35 heures après le 13 novembre pourra être accusée de contrefaçon par les auteurs du brevet... et condamnée à payer une amende. Le tour est joué. l'Office européen des brevets a accepté l'idée (pardon: le logiciel) conduisant à l'apprentissage de la prononciation d'une langue par comparaison avec la bonne prononciation, le diagnostic médical automatique effectué à partir d'images et de textes, la distribution de recettes de cuisines dans un super-marché, etc... Quiconque propose maintenant quelque chose qui ressemble au procédé breveté, risque alors de voir débarquer une escouade d'avocats réclamant le paiement d'une licence. Alors on peut aller loin, très loin. Protèger tout et n'importe quoi. Un mastodonte comme British Telecom s'est enfoncé dans la brèche en demandant des comptes à plusieurs fournisseurs d'accès à Internet. Il leur reprochait de permettre à des internautes d'utiliser une de leur prétendue invention, tenez-vous bien : le lien hypertexte, qui permet, sur Internet, de passer d'une page à l'autre d'un simple clic de souris... Le pire, dans tout ça, c'est que ces brevets auraient dû être refusés. L'Europe a en effet écrit noir sur blanc dans l'article 52-2 alinéa b de la Convention de Munich, qui fait référence en la matière, que " ne sont pas considérés comme des inventions

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[http://www.telerama.fr/culturama/ftp/multimedia/butinages/brevets/brevets.asp">brevetables, ndlr] les plans, les principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles [...], ainsi que les programmes d'ordinateurs ". Rien de plus limpide n'est-ce pas ? Mais c'est sans compter avec les délicieuses subtilités du langage juridique. On continue l'article, on passe à l'alinéa c et on lit que l'exclusion ne concerne que les programmes " en tant que tels ". Qu'est-ce que c'est exactement, un programme " en tant que tel " ? Eh bien, aussi bizarre que ça puisse paraître, c'est ce " en tant que tel " qui fait la différence. Selon l'Office européen des brevets (OEB) - créé par la convention pour appliquer la convention - les effets techniques (brevetables, eux, au regard d'une jurisprudence qui date de 1985), sont à distinguer du logiciel " en tant que tel ". Une subtilité risible mais réelle qui justifie le brevet d'un logiciel dont les effets techniques permettent de produire des recettes de cuisine en supermarché. Cette jurisprudence est clairement contraire à l'esprit de la loi. Mais elle existe. Et ce qui fait peur à ceux qui s'opposent à l'idée de brevet, c'est qu'un texte actuellement en préparation à la Commission européenne pourrait bien conforter cette jurisprudence en l'inscrivant noir sur blanc dans la loi. Les militants anti-brevets reprochent également au gouvernement français d'adopter en toute discrétion une position favorable aux brevets. " Nous n'avons pas de position tranchée sur ce dossier délicat. Ici, le débat est encore vif et puis nous manquons de données économiques fiables " dit-on au secrétariat d'Etat à l'Industrie. Mais selon d'autres sources, un représentant de la France aurait déclaré le 21 décembre dernier à Bruxelles que " Les programmes d'ordinateurs doivent être revendiqués en eux-mêmes dans un brevet logiciel ". Qui dit vrai ? La réponse risque d'arriver après que la Commission ait promulgué son texte...Face à ces arguments, leurs adversaires, tenants du " logiciel libre " en tête, dénoncent une tentative concertée de mettre à genoux leur vision d'une informatique ouverte, insistent sur le fait que le monde du logiciel n'est pas celui de l'industrie lourde et qu'ici une invention est dépassée en deux ou trois ans. La protéger par un brevet serait ridicule. Qui plus est, toujours selon eux, toute nouvelle idée intéressante reposerait nécessairement sur des inventions passées. Ils affirment également que breveter un logiciel peut conduire à breveter des idées, ce qui constituerait une sorte de prise en otage commerciale de la vie quotidienne. Enfin, ils rappellent l'absence d'étude économique démontrant l'intérêt du brevet dans l'innovation et l'économie du logiciel.

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