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Edito : Autisme : des avancées mais encore beaucoup d’interrogations…

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René TREGOUET
Sénateur Honoraire.
Rédacteur en Chef de RT Flash

Edito :

Je reviens cette semaine sur les dernières avancées concernant une maladie déroutante et insaisissable, qui est devenue un véritable défi de santé publique dans l'ensemble des pays développés, dont la France, l’autisme. Cette pathologie identifiée il y a 80 ans par le psychiatre Leo Kanner, s’exprime sous de multiples formes, regroupées dans ce que les médecins appellent « Les troubles du spectre de l’autisme » (TSA). Ces troubles, qui semblent liés à de multiples facteurs de nature différente (génétique, métaboliques, sociaux, affectifs, environnementaux) se manifestent au cours de la petite enfance et persistent à l’âge adulte. Selon l’Inserm, 700 000 personnes en France seraient touchées, à des degrés divers, par l’autisme, ce qui en ferait le troisième trouble psychiatrique derrière la dépression et les troubles bipolaires. A ce jour, il n’existe aucun traitement chimique ou pharmacologique qui permette de traiter l’autisme, mais il est possible, par des prises en charge appropriées et personnalisées, de rendre la vie plus supportable aux personnes autistes et d’améliorer leur qualité de vie. Une vaste étude suédoise publiée en 2016, et portant sur 25 000 personnes atteintes d’un TSA, a monté que celles-ci avaient une espérance de vie réduite en moyenne de 15 ans, par rapport à la population générale et présentaient un risque de suicide de 5 à 10 fois plus élevé que les personnes indemnes de ce trouble (Voir Cambridge Core).

Les personnes touchées par ce trouble ont une vie sociale, professionnelle, relationnelle et affective perturbée et doivent être prises en charge, dans le cadre d’approches pluridisciplinaires, intégrant notamment des thérapies comportementalistes, cognitives et psychanalytiques. Une nouvelle étude, menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Inrae et de l’Université de Tours, apporte des résultats prometteurs sur un médicament qui a beaucoup été utilisé dans le traitement de l’épilepsie : les ions bromures. On sait que l’épilepsie est une comorbidité que l’on retrouve souvent chez les personnes atteintes de TSA et certains facteurs de risque et mécanismes biologiques sont probablement communs à ces deux pathologies (Voir Nature).

D’autres travaux ont montré que les déséquilibres entre excitation et inhibition des neurones sont impliqués dans de nombreux troubles, comme l’épilepsie. Il en va de même pour certaines formes d’autisme, associées à un dysfonctionnement des connexions neuronales inhibitrices. Ces chercheurs ont donc émis l’hypothèse que les ions bromure pourraient avoir un effet thérapeutique sur l’autisme, en régulant les connexions neuronales et en améliorant la capacité d’interaction sociale chez les autistes. Ces chercheurs ont montré, dans plusieurs modèles précliniques, que les ions bromures peuvent avoir un effet bénéfique sur le phénotype autistique, améliorer le comportement social et diminuer les comportements stéréotypés des animaux. Les résultats sont d’autant plus prometteurs que les tests ont été menés sur trois modèles de souris qui présentaient différentes mutations génétiques responsables du phénotype autistique.

Même si l’extrême complexité et la grande diversité d’expression de cette pathologie ne sont pas réductibles à un déterminisme génétique, il ne fait aujourd’hui plus de doute qu’il existe de nombreuses mutations génétiques qui, dans un contexte particulier, peuvent concourir à augmenter les risques de TSA. Certaines de ces mutations ont été découvertes pour la première fois en 2003, chez des enfants autistes, par l’équipe de Thomas Bourgeron à l’Institut Pasteur. En 2012, trois études américaines ont montré, grâce à l'analyse d'une partie importante du génome de 549 familles, que des mutations génétiques spontanées chez les enfants pourraient expliquer jusqu'à 15 % des cas d'autismes de ces familles.

Selon ces travaux, un enfant porteur de ces mutations a un risque d'autisme multiplié par 5 à 20 et ces mutations semblent d'autant plus fréquentes que le père a un âge avancé au moment de la conception. Selon le Professeur Bourgeron, il y aurait au moins 1000 gènes (sur 22 000) qui seraient impliqués, à des degrés divers, dans le déclenchement de l’autisme, ce qui rend très difficile l’étude des bases génétiques de ce trouble. En début d’année, une équipe de l’Université de Genève (UNIGE), a mis en lumière, pour la première fois, un lien entre le processus inflammatoire et l’autisme. Ces chercheurs ont pu montrer chez des souris porteuses d’une vulnérabilité génétique, qu’une altération dans l’expression d’une série de gènes, sous l’effet à une inflammation massive (par exemple en réponse à la prise d’un médicament), provoque une hyperexcitabilité des neurones du système de la récompense.

Ces recherches confirment de manière solide le rôle-clé d’un processus d’interactions étroites entre gènes et environnement dans l’apparition des troubles autistiques (Voir UNIGE).

Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a annoncé le 18 juillet 2022 un effort particulier pour la recherche en psychiatrie en dotant de 80 millions d’euros, sur cinq ans, le programme PROPSY (Projet-programme en psychiatrie de précision) porté par l’Inserm et le CNRS dans le cadre des Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Avec ce programme de recherche ambitieux centré sur quatre des troubles les plus invalidants, le trouble bipolaire, les troubles dépressifs majeurs, la schizophrénie et les troubles du spectre de l’autisme

En mars dernier, le Gouvernement a par ailleurs annoncé que 2 300 familles (parents-bébés) allaient être suivies durant dix ans par des chercheurs pour permettre de déterminer le rôle des facteurs environnementaux et biologiques, que l'on appelle « exposome », dans la survenance de troubles du spectre de l'autisme et du neurodéveloppement. Cette recherche, unique en Europe, va bénéficier du soutien de quatre centres hospitaliers universitaires (Lille, Lyon, Rouen et Toulouse). Ce projet ambitieux sera dirigé par deux chercheuses de renommée internationale, la Professeure Amaria Baghdadli, responsable du Centre d'excellence sur l'autisme et les troubles du neuro-développement (Montpellier) et la Docteure Marie-Christine Picot.

Aujourd’hui, environ une personne sur 160 dans le monde présenterait un trouble du spectre autistique. Aux Etats-Unis, le pourcentage d’enfants autistes aurait été multiplié par cinq en 20 ans, pour atteindre à présent un enfant sur 44…). En France, nous l’avons vu, la prévalence de ce trouble ne cesse également d’augmenter depuis 20 ans et cette progression inquiétante ne peut s’expliquer uniquement par les progrès en matière de dépistage, ou des facteurs purement génétiques.

Plusieurs études montrent un lien fort entre l’exposition des femmes enceintes à des substances telles que les perturbateurs endocriniens (molécules issues de la chimie industrielle capables d’interagir avec le système hormonal, comme certains pesticides) et un risque élevé d’avoir un enfant sujet à des troubles du spectre autistique, à de l’hyperactivité ou à des troubles de l’attention. On peut notamment citer une étude menée en Californie entre 1997 et 2008 auprès de 486 enfants atteints par un TSA et 316 enfants non atteints qui a mis en évidence ce lien. Ces travaux ont montré que le risque de TSA était multiplié par deux pour les enfants nés de femmes vivant à proximité d’une zone où des pesticides organophosphorés ont été répandus pendant leur troisième trimestre de grossesse (Voir Research Gate). Une autre étude réalisée par l’Université de Caroline du Nord en 2016 a montré que plusieurs substances, dont la roténone et le bisphénol A, un plastifiant présent dans les emballages alimentaires, etc., et interdit en France depuis 2015, favorisaient l’expression de certains gènes associés à l’autisme (Voir Nature Communications).

Par ailleurs, une étude américaine a montré en 2014 que les femmes enceintes exposées à la pollution aux particules fines pendant leur troisième mois de grossesse risquaient davantage d’avoir un enfant atteint de TSA. Cet effet de la pollution de l’air sur le cerveau a été confirmé en 2018 par une étude de l’Université Monash de Melbourne, qui a montré que des enfants exposés à des particules de 1 micromètre pendant les trois premières années de leur vie ont 86 % de risque supplémentaire de développer un TSA (Voir NIH).

En février dernier, une étude américaine a montré de manière très intéressante, en travaillant sur 773 enfants autistes (637 garçons et 136 filles), que l'autisme s'exprimait différemment en fonction du sexe. Ces recherches ont révélé des différences au niveau des zones cérébrales associées au langage, à la capacité à s'orienter dans l'espace et aux fonctions motrices. Il semblerait que les symptômes de l'autisme touchant le langage et les fonctions motrices soient plus importants, en moyenne, chez les garçons que chez les filles (Voir Cambridge Core).

Parmi les nombreuses pistes prometteuses de recherche en cours d’exploration pour mieux comprendre les mécanismes intriqués qui conduisent à l’autisme, il faut aussi évoquer celle des astrocytes, qui constituent la catégorie de cellule non neuronale la plus abondante dans le cerveau. « Ce n'est qu'au cours des dernières années que nous avons commencé à apprécier le rôle des astrocytes dans le système nerveux et, dans la recherche sur l'autisme, cela a suivi la même tendance », explique Dilek Colak, professeur à la Weill Cornell Medicine de l'Université Cornell à New York. Ces cellules jouent un rôle important dans le maintien des connexions synaptiques et de récents travaux confirment qu’elles jouent également un rôle majeur dans de nombreux troubles du développement, dont l’autisme. En avril dernier, des recherches de la Weil Cornell University, en utilisant une technique microscopique appelée imagerie à deux photons, ont observé une signalisation calcique excessive dans les astrocytes humains transplantés dans le cerveau de souris, ce qui confirme l’implication probable des astrocytes dans l’autisme ( Voir Weill Cornell Medicine).

Il y a quelques semaines, des chercheurs de l’Université de Tel Aviv, sous la direction de la professeure Illana Gozes du Département de génétique moléculaire humaine et de biochimie et de l’École des neurosciences, ont découvert un mécanisme commun aux mutations des gènes ADNP et SHANK3, qui provoquent l’autisme, la schizophrénie et les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Ces scientifiques ont également développé un médicament expérimental – qui s’est avéré efficace en laboratoire – pour réduire les symptômes associés à l’autisme (Voir EurekAlert!). Ces recherches ont permis d’identifier un mécanisme spécifique qui provoque ces dommages sur le gène SHANK3, associé à l’autisme et à la schizophrénie. Ces chercheurs ont identifié des sites supplémentaires sur la protéine ADNP capables de se lier à la protéine SHANK3 et à des protéines similaires. Les chercheurs ont enfin pu montrer in vitro qu’un traitement prolongé à l’aide de davunetide, un médicament expérimental, améliorait considérablement le comportement chez des animaux atteints d’autisme causé par la mutation de la protéine SHANK3.

Enfin, en mai dernier, une équipe de la faculté de médecine de l’Université de Californie à San Diego a fait une nouvelle découverte majeure grâce à des modèles d’organes : ils ont identifié la mutation génétique associée à une forme profonde d’autisme, puis ont réussi à restaurer tout le système neuronal en corrigeant cette mutation (Voir UC San Diego News Center). Ces scientifiques savaient que de nombreux troubles, dont les troubles du spectre autistique (TSA) et la schizophrénie sont associés à des mutations du facteur de transcription 4 (TCF4), un gène du chromosome 18 essentiel au développement du cerveau et à la fonction neuronale. Ces chercheurs ont travaillé sur des neurones et des organoïdes cérébraux issus de fibroblastes cutanés prélevés sur des enfants atteints du syndrome de Pitt-Hopkins, un trouble provoqué par certaines mutations spécifiques du TCF4 et caractérisé par une déficience cognitive, des problèmes gastro-intestinaux et des anomalies du rythme respiratoire. En observant l’évolution de ces organoïdes, ces chercheurs ont réussi à élucider les mécanismes moléculaires qui conduisent aux mutations du TCF4.

En comparant la croissance des tissus intégrant des versions mutées de TCF4 avec des tissus dotés de gènes TCF4 typiques, ils ont pu cartographier précisément les modifications provoquées par ces mutations sur le fonctionnement des tissus. Ces derniers contenaient beaucoup plus de cellules progénitrices neurales et beaucoup moins de neurones, ce qui conforte l’hypothèse selon laquelle la mutation du TCF4 possède bien la capacité de bloquer la multiplication et la différenciation des cellules progénitrices neurales.

Poussant plus loin leurs recherches, ces scientifiques ont voulu voir s’il était possible d’inverser ces modifications structurelles en agissant directement sur l’expression du TCF4. Ils ont découvert que la mutation TCF4 entraînait une réduction de la signalisation Wnt/β-caténine et de l’expression des facteurs de transcription SOX — deux voies de signalement moléculaires qui régulent la multiplication des cellules embryonnaires, leur transformation en neurones et leur migration vers les différentes aires cérébrales. Les chercheurs ont alors décidé d’agir sur la voie de signalisation Wnt, grâce à un composé chimique nommé CHIR99021 qui régule la multiplication des cellules embryonnaires. Cette action a effectivement permis de restaurer l’activité neuronale des organoïdes malades. Mais surtout, la correction directe des mutations du TCF4 par édition génétique a inversé le processus délétère à l’œuvre : les organoïdes porteurs de ce dysfonctionnement génétique sont redevenus presque identiques à ceux normaux utilisés comme témoins. « Le fait que nous puissions corriger ce gène et que cela entraîne un rétablissement de l’ensemble du système neuronal est incroyable », a déclaré la Professeure Muotri.

Il est passionnant de constater que toutes ces découvertes récentes confirment l’irréductible complexité de l’autisme, un ensemble de troubles qui s’inscrit dans un cadre où interagissent de manière inséparable les dimensions biologiques, sociales, culturelles et environnementales, sans qu’il soit possible de hiérarchiser formellement le rôle et l’importance de ces causes. Peut-être faut-il admettre, comme le font certains chercheurs, que ce trouble déroutant révèle la capacité potentielle de notre espèce à percevoir le monde, lorsque certaines circonstances particulières sont réunies, selon d’autres modalités sensorielles, affectives et symboliques que celles dominantes chez la majorité des humains. Cette capacité, que nous avons tendance à concevoir comme pathologique, à l’échelle de l’individu, aurait permis à l’Humanité de bénéficier d’un avantage compétitif décisif, face à de brusques et violents changements de notre environnement. Quoiqu’il en soit, ce défi scientifique que constitue la compréhension de l’autisme nous met également face à l’étrangeté fondamentale de notre condition humaine qui découvre par la raison que la raison n’est pas l’unique mode de rapport au monde et n’épuise pas le réel…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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