Edito : ASCO 2023 : la France à l’honneur dans la lutte mondiale contre le cancer
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Cette semaine, je reviens comme chaque année, sur les formidables avancées annoncées à l’occasion du grand congrès annuel de l’ASCO (Association Américaine d’Oncologie Clinique) qui vient de se tenir à Chicago du 2 au 6 juin dernier, réunissant plus de 30 000 chercheurs et spécialistes venus du monde entier. Avant de passer en revue les principales avancées annoncées pendant cet ASCO 2023, il est important de rappeler que, contrairement à beaucoup d’idées reçues, le taux de mortalité réel par cancer ne cesse de diminuer dans tous les pays développés depuis au moins trente ans. Aux Etats-Unis, il a été réduit de 32 % après son pic en 1991, ce qui correspond à 3,5 millions de décès évités au total, selon le récent rapport de l’Association Américaine contre le Cancer. Cette baisse s'est même accélérée, passant de 1 % par an dans les années 1990, à 2 % annuellement depuis dix ans. On observe la même tendance en Europe : une récente étude publiée en mars dernier dans la revue « Annals of Oncology » montre en effet une diminution de 6,5 % de la mortalité par cancer chez les hommes et de 3,7 % chez les femmes entre 2018 et 2023.
Selon ces recherches, si cette tendance actuelle à la baisse des décès liés au cancer se poursuit, l’Union Européenne pourrait connaître une baisse supplémentaire de 35 % de la mortalité globale par cancer d’ici 2035. Cette diminution de la mortalité réelle par cancer (en tenant compte à la fois de l’augmentation et du vieillissement de la population) se retrouve également en France où, malgré une hausse de 50 % de l’incidence (nouveaux cas enregistrés chaque année) des cancers depuis 40 ans, la mortalité réelle par cancer ne cesse de diminuer, en tendance, depuis 1990. Cette diminution globale de la mortalité par cancer s’est même accentuée depuis une dizaine d’années, avec une réduction moyenne de 2 % par an pour les hommes et de 0,8 % par an, pour les femmes. On estime aujourd’hui qu’en France, plus de la moitié des patients traités sont toujours en vie 5 ans après le diagnostic de la maladie.
Parmi les annonces qui ont fait sensation lors de cet ASCO 2023, on trouve un nouveau traitement qui permet de réduire de moitié le risque de décès d’un certain type de cancer de poumon, lorsque qu’il est pris quotidiennement après une opération chirurgicale pour enlever la tumeur. Le cancer du poumon est le cancer qui cause le plus de décès, avec environ 1,8 million de morts déplorés chaque année dans le monde, soit un mort du cancer sur cinq. Ce traitement mis au point par le groupe pharmaceutique AstraZeneca, utilise un nouvel inhibiteur de tyrosine kinase, l’osimertinib (commercialisé sous le nom de Tagrisso), pour combattre un type particulier de cancer du poumon. Il concerne les patients atteints d’un cancer dit "non à petites cellules" (la forme la plus commune), et présentant un type particulier de mutation. Ces mutations concernent jusqu’à un quart des patients atteints d’un cancer du poumon aux États-Unis et en Europe, et un tiers en Asie. 680 participants à un stade précoce de la maladie, dans plus d’une vingtaine de pays, ont participé à cet essai. Après ablation de leur tumeur, la moitié des patients a pris le traitement quotidiennement, et l’autre un placebo. Résultat : ceux qui ont bénéficié de ce nouveau traitement ont connu une réduction de 51 % du risque de décès, par rapport au groupe- placebo. Au bout de cinq années, 88 % des patients ayant pris le traitement étaient toujours vivants, contre 48 % des patients ayant pris le placebo. Selon le Professeur Roy Herbst, de l’Université Yale, qui a présenté cette étude à Chicago, ce nouveau médicament permet « d’empêcher la maladie de se propager au cerveau, au foie et aux os et montre que nous sommes entrés dans l’aire des thérapies personnalisées pour les patients de stade précoce et devons fermer la porte à un traitement indifférencié pour tous ».
Toujours en matière de traitement du cancer du poumon, il faut évoquer l’étude VISION, présentée par le Professeur Julien Mazières, pneumo-oncologue au CHU de Toulouse. Ces recherches sont venues confirmer l’efficacité du tépotinib chez les patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), accompagné d’une mutation particulière. Le cancer du poumon non à petites cellules représente 85 à 90 % de l’ensemble des cancers du poumon. Environ 5 % des personnes atteintes de ce type de cancer sont porteurs d’une mutation spécifique acquise dans le gène MET, qui aggrave le cancer en favorisant la prolifération des cellules cancéreuses. Entre 2016 et 2021, cette étude a rassemblé 313 patients issus de plusieurs pays et n’ayant pas encore reçu de traitement ou étant en échec thérapeutique. La moitié des patients a reçu 500mg de tépotinib une fois par jour pendant 18 mois et l’autre moitié la même dose pendant trois ans. Les résultats de cette étude sont très clairs, avec un taux de réponse de 51 % et une survie sans progression de la maladie beaucoup plus importante.
Le laboratoire français Transgene a également fait forte impression avec la présentation, en première mondiale, par le professeur Christophe Le Tourneau, chef des essais cliniques à l'Institut Curie, de son vaccin pour prévenir la récidive de cancers touchant la sphère ORL (oto-rhino-laryngée). Dans le cadre de ce nouveau traitement, les patients reçoivent sous forme sous-cutanée 20 injections de ce vaccin, ce qui permet de rééduquer leur système immunitaire pour repérer des cellules tumorales qui peuvent être encore présentes. Le Professeur Le Tourneau a rappelé que les cancers ORL étaient la quatrième cause de cancer en France, avec 14.000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année. Il a également insisté sur le fait que ce vaccin anti-récidive était totalement individualisé pour chaque patient, grâce à l’analyse moléculaire et génétique de leur tumeur qui permet de sélectionner les mutations les plus à risques. Pour parvenir à réaliser ce véritable travail de Romain qui consiste à identifier les 30 meilleures mutations parmi les 3000, les chercheurs de Curie ont eu recours à une intelligence artificielle très puissante. Les premiers essais de phase 1 ont donné des résultats remarquables, puisque, sur les 16 patients traités, aucun n'a rechuté plus de 10 mois après l'injection.
Contre le redoutable gliome infiltrant, un grave cancer du cerveau, le Professeur Antoine Carpentier, chef du service de neurologie à l’hôpital Saint-Louis AP-HP, a présenté en communication au congrès de l’ASCO les résultats très encourageants d’une étude de phase II menée auprès de 31 patients atteints de ce cancer Les patients ont reçu un nouveau type de vaccin anti-télomérase après le traitement standard par chirurgie et radiothérapie. Les résultats sont également très encourageants, avec une réaction positive chez 90 % des patients, et une médiane de survie globale de 18 mois. Les télomères, qui ressemblent à des capuchons situés aux extrémités des chromosomes, se raccourcissent à chaque division cellulaire, mais lorsqu’ils deviennent trop courts, la cellule devient incapable de se diviser. Dans la plupart des cancers, il y a surexpression de la télomérase, une enzyme qui évite le raccourcissement des télomères au moment des divisions cellulaires et qui, du fait de son mécanisme d’action, favorise la multiplication des cellules cancéreuses. Or, il se trouve que les chercheurs ont découvert, chez 80 % des patients atteints d’un glioblastome, la présence d’une mutation d’un gène appelé TERT, qui provoque une surexpression importante de la télomérase. D’où l’idée d’utiliser la télomérase comme cible pour tenter de bloquer la progression de ce cancer réfractaire aux traitements classiques. Au total, 31 patients atteints d’un glioblastome ont été inclus dans cette étude et ont reçu, après un traitement standard associant chirurgie et radiothérapie, plusieurs injections de ce vaccin anti-télomérase. A l’issue de cette étude les chercheurs ont constaté un net allongement de la survie globale. Ils ont également observé, chez la moitié des patients vaccinés, un élargissement très intéressant de la réponse immunologique au-delà de la télomérase, qui se traduit par une mobilisation forte des lymphocytes contre d’autres antigènes tumoraux. S’appuyant sur ce succès, d’autres études vont démarrer pour évaluer les effets de l’association du vaccin anti-télomérase avec une chimiothérapie et une immunothérapie par inhibiteur de PD-1 administrés après le traitement standard (chirurgie et radiothérapie).
Autre succès français remarqué à l’occasion de cet ASCO 2023, celui des essais présentés par les Laboratoires Servier. Le premier est celui du Tibsovo en association avec la chimiothérapie azacitidine pour la leucémie myéloïde aiguë (LMA) nouvellement diagnostiquée. L’étude de phase III a démontré que cette association permettait de tripler la survie globale, passant de 8 mois à deux ans, en comparaison avec l’azacitidine seule. « Ces résultats confirment les bénéfices considérables du traitement de première ligne par Tibsovo, en association avec l’azacitidine, puisque nous prolongeons la survie globale médiane de plus de cinq mois par rapport à l’analyse initiale », précise Stéphane de Botton, chef du département d'hématologie du Centre de lutte contre le cancer Gustave Roussy. Le second essai présenté par Servier concerne le vorasidénib dans un cancer particulièrement agressif, le gliome résiduel de grade 2, pour lequel aucun progrès thérapeutique n’a été réalisé depuis vingt ans. Ce nouveau traitement a permis de faire passer la durée médiane, sans progression de la maladie, de 11 à 27,7 mois chez les patients traités.
Présentée également lors de cet ASCO 2023, l’étude française VESPER, menée sous la direction des Professeur Stéphane Culine, (service d’oncologie médicale de l’hôpital Saint-Louis AP-HP) et Christian Pfister (service d’urologie du CHU de Rouen) auprès de 500 patients atteints d’un cancer de la vessie localisé, mérite d’être soulignée. Ces recherches visaient à définir le meilleur protocole de chimiothérapie pour ce type de cancer. Les résultats sont sans appel : c’est le groupe traité par ddMVAC, une amélioration significative de l’ensemble des critères analysés, survie sans progression à 3 ans, survie globale et survie spécifique à 5 ans. Le protocole ddMVAC, qui combine 4 agents de chimiothérapie (méthotrexate, vinblastine, adriamycine, cisplatine), devient la chimiothérapie de référence pour les patients atteints d’un cancer de la vessie localisé infiltrant le muscle.
Une autre étude de phase 3 randomisée en double aveugle a été présentée en session orale au congrès de l’ASCO par le Professeur Karim Fizazi, chef du comité génito-urinaire de Gustave Roussy. Ce travail montre qu’en combinant le talazoparib, un nouvel inhibiteur de PARP impliquée dans la réparation des lésions de l’ADN cellulaire, à l’enzalutamide, une hormonothérapie de seconde génération (abiratérone, enzalutamide), on obtient une réduction spectaculaire de 80 % du risque de décès ou de progression tumorale dans le cancer de la prostate métastatique. Cette étude sur 399 hommes atteints d’un cancer de la prostate métastatique est d’autant plus importante que le cancer de la prostate – 50 000 nouveaux cas par an en France – est le plus fréquent chez l’homme.
Plusieurs cancers gynécologiques ont également fait l’objet de communications très encourageantes. Novartis a, par exemple, dévoilé les résultats de phase III du Kisqali (ribociclib), associé à une hormonothérapie chez les patientes atteintes d'un cancer du sein précoce. Cette nouvelle combinaison a permis de diminuer le risque de récidive de 25 % sur une large population de patientes atteintes d'un cancer du sein précoce. AstraZeneca a également présenté les bons résultats de phase III de son association Lynparza (olaparib) et Imfinzi (durvalumab), qui a réduit le risque de progression de la maladie ou de décès de 37 % par rapport à la chimiothérapie et au bevacizumab, chez les patientes atteintes d'un cancer de l'ovaire avancé. Mentionnons également un essai de phase III comparant le Keytruda (pembrolizumab) du laboratoire américain MSD, associé à une chimiothérapie seule pour le traitement de première ligne du cancer du col de l'utérus métastatique. En intégrant cet anticorps monoclonal dans le protocole de soins, les chercheurs sont parvenus à réduire de 40 % le risque de décès pour ce type de cancer. « Cet essai confirme que l’association Keytruda / chimiothérapie va devenir la nouvelle norme de soins pour le traitement de première intention du cancer du col de l'utérus métastatique », souligne le Professeur Bradley J. Monk.
Enfin, permettez-moi d’évoquer pour terminer ce tour d’horizon non exhaustif des nombreuses avancées annoncées lors de cet ASCO 2023, une présentation remarquée de Janssen, concernant une thérapie cellulaire, le Carvykti, évaluée chez des adultes atteints de myélome multiple récidivant et réfractaire au lénalidomide. Cette nouvelle thérapie a réduit le risque de progression de la maladie ou de décès de 74 % et confirmé l'efficacité du Carvykti, lorsque qu’il est administré précocement contre ce type de cancer.
On le voit, cet ASCO 2023 a été un véritable feu d’artifice d’avancées thérapeutiques contre de nombreux cancers, y compris les plus difficiles à traiter. Ce grand congrès annuel a par ailleurs confirmé le tournant historique qu’est en train de prendre la cancérologie, qui s’achemine bien plus vite que prévu vers des traitements sur mesure, entièrement personnalisés en fonction des spécificités biologiques et génétiques de chaque patient, et associant, dans des synergies toujours plus efficaces, immunothérapies, vaccins thérapeutiques, chimiothérapies et radiothérapie de haute précision. Je voudrais également souligner, alors que notre pays a souvent tendance à se déprécier et à douter de ses capacités, l’extraordinaire vitalité et l’excellence, largement reconnue par la communauté scientifique internationale à l’occasion de cet ASCO 2023, de la recherche biologique et médicale française, tant sur le plan fondamental que clinique. Notre pays doit bien entendu poursuivre et accentuer ses efforts de recherche sur le long terme, pour prendre toute sa part dans la lutte contre cette maladie qui, j’en suis convaincu, peut être maîtrisée plus vite que nous le pensions. Je voudrais enfin insister sur le rôle désormais majeur que jouent les modèles mathématiques, la puissance de calcul disponible et les outils d’intelligence artificielle dans la compréhension des mécanismes très complexes du cancer et dans la conception de stratégies thérapeutiques de plus en plus nombreuses et sophistiquées. Plus que jamais, on voit que c’est bien cette alliance féconde des sciences du vivant et des sciences exactes qui permettra de vaincre cette terrible maladie, ou de la contrôler…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Vivant Santé, Médecine et Sciences du Vivant
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