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Un antibiogramme en seulement deux heures grâce à une pince optique

Lorsqu’une personne est victime d’une grave infection, les médecins doivent identifier rapidement l’antibiotique capable de lutter contre la bactérie responsable de la maladie. Les techniques actuellement utilisées pour réaliser un antibiogramme nécessitent de grandes quantités de cellules à tester, qui excèdent celles prélevées sur le patient. Il convient alors de les cultiver à l’aide d’une boîte de Petri, une étape longue, qui demande au minimum 24 heures.

Des chercheurs du CEA, avec la collaboration du LTM (Laboratoire des technologies de la microélectronique), ont développé une nouvelle approche, basée sur une pince optique, avec l’ambition de raccourcir ce délai à deux heures. Ils viennent de démarrer un projet de recherche, baptisé Supply, en partenariat avec l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne) et le CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) de Lausanne, dans le but de valider ce nouveau concept scientifique. Cette technologie en cours de développement est issue d’un travail de recherche fondamentale mené dans le domaine de la photonique sur puce.

Elle peut être désignée par l’intitulé : cristaux photoniques. Elle consiste à attraper et à manipuler de la lumière à l’aide d’une pince optique, constituée d’une micro ou nanostructure fabriquée dans du silicium et contenant deux micromiroirs entre lesquels un faisceau laser rebondit des milliers de fois. Le dispositif permet à la fois de guider la lumière sur la puce, mais aussi de l’accumuler dans un résonateur - que l’on appelle également une boîte à lumière -, afin qu’elle devienne très intense. Il est alors possible de faire interagir la lumière avec des petits objets.

« Lorsqu’un objet de taille micrométrique se trouve à proximité du champ de lumière, il est attiré dans la direction où elle est la plus intense, et l’on parvient ainsi à l’attraper et à l’immobiliser », déclare Emmanuel Hadji, chercheur à l’institut Irig du CEA. « Nous travaillons sur cette technologie depuis plus d’une dizaine d’années, et récemment, nous avons démontré que l’on peut aussi manipuler des objets vivants comme des bactéries. Une fois attrapées, elles continuent à vivre et à interagir avec la pince, et l’on peut lire leurs interactions avec le résonateur pour connaître leur état de santé ».

Les scientifiques sont parvenus à piéger des bactéries dans une pince optique, puis les ont soumises à un stress thermique. Ils ont alors pu observer une évolution de l’indice de réfraction de ces bactéries avec le résonateur. À ce stade de ce travail de recherche, ils interprètent ce résultat comme étant lié à un stress oxydatif des bactéries, c’est-à-dire que leurs membranes se sont chargées rapidement en fonctions oxygénées. « La littérature scientifique a déjà établi que tous les stress auxquels sont soumises les bactéries, qu’ils soient thermiques ou liés à la présence d’un antibiotique », conduisent à leur oxydation, ajoute Pierre Marcoux, ingénieur-chercheur à l’institut Leti du CEA. « Nous pensons que cette oxydation provoque une augmentation de l’indice de réfraction dans la pince optique, mais cela reste encore à démontrer ».

L’une des étapes du projet Supply va consister à piéger des bactéries avec une pince optique, puis à les confronter à un phage, c’est-à-dire à un antimicrobien, pour observer s’il parvient à les détruire. Si tel est le cas, une oxydation des bactéries se produira et devrait provoquer une évolution de l’indice de réfraction. L’avantage de cette technique est qu’elle ne nécessite pas un grand nombre de bactéries à tester, et donc nul besoin de passer par l’étape de la boîte de Petri pour en cultiver. Et surtout, la lecture de la résonance est quasi instantanée. « Nous sommes prudents et nous annonçons que cette méthode prendrait deux heures, car il faut compter le temps d’injecter le liquide contenant les bactéries dans le système photonique, puis tester différents antibiotiques, à différentes concentrations, et enfin prendre les mesures de chaque essai », précise Emmanuel Hadji.

Ce projet a pour objectif d’aboutir dans quatre ans à un prototype utilisable dans un laboratoire de biologie, avec un niveau de maturité technologique compris entre 4 et 5 sur l’échelle TRL (Technology readiness level), qui en compte 9. Si cette nouvelle méthode fait ses preuves, elle pourrait constituer un véritable pas en avant dans le traitement des maladies infectieuses, surtout celles qui évoluent très rapidement, notamment les infections sanguines ou les méningites. « Le besoin d’un antibiotique efficace est tellement urgent que généralement, les médecins donnent un traitement à large spectre avant d’avoir réalisé le moindre test », complète Pierre Marcoux. « Ils administrent des molécules de toutes dernières générations, alors qu’il est recommandé d’en utiliser le moins longtemps possible, afin d’éviter la survenue de phénomènes d’antibiorésistance ».

Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash

Techniques de l'Ingénieur

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