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Edito : 1977-2007 : trente ans pour interdire enfin le tabac dans tous les lieux publics

Du premier décret "Weil", du 12-09-77, à l'interdiction totale du tabac dans tous les lieux publics, il aura fallu 30 ans. 30 ans d'hésitations et d'atermoiements des pouvoirs publics confrontés à une lente et difficile évolution de l'opinion publique sur cette question. Mais finalement, suivant de plusieurs années tous nos voisins européens, notre pays s'est enfin décidé à franchir le pas et à adopter cette mesure tant attendue en matière de santé publique.

Pour ceux qui doutent encore de l'intérêt et de la nécessité d'une telle interdiction, rappelons quelques chiffres : le tabac tue chaque année 60 000 personnes en France, auxquelles il faut ajouter 5500 décès provoqués par le tabagisme passif, ce qui représente plus de morts que les accidents de la route et le SIDA réunis ! Un fumeur sur deux décèdera à cause du tabac et chaque cigarette fumée réduit en moyenne de dix minutes l'espérance de vie.

Pourtant, bien que les effets cancérigènes du tabac aient été scientifiquement mis en évidence dès 1943, il a fallu attendre 2008 pour en arriver à cette loi d'interdiction inévitable. Quant à l'impact négatif annoncé de cette interdiction sur la fréquentation des établissements de nuit, restaurants ou bars, tous les exemples européens ont montré qu'il n'existait pas et qu'après une légère baisse de fréquentation ces établissements gagnaient au contraire une nouvelle clientèle constituée de non fumeurs qui pouvaient enfin aller boire un verre au café ou manger au restaurant sans être incommodés par la fumée. En revanche, l'impact bénéfique sur la santé publique de cette mesure est lui bien réel.

En mars 2006, l'Écosse a prohibé le tabac dans tous les lieux publics. Sachant qu'un des groupes qui tireraient le plus de bénéfice de cette mesure serait les barmans, les chercheurs de l'hôpital de Ninewells (Dundee, Écosse) ont réalisé une étude sur les fonctions respiratoires de 105 serveurs avant et après cette interdiction. 79,2 % des barmans souffraient de symptômes respiratoires variés avant l'interdiction. Un mois plus tard, ils n'étaient plus que 52 % à se plaindre de tels troubles. Deux mois plus tard, cette tendance s'améliorait encore avec 46 % de participants seulement se plaignant de troubles bronchiques. Une baisse de nicotine dans le sang a aussi été mise en évidence. Parmi les employés de bar, les asthmatiques ont vu leur score de qualité de vie grimper après l'interdiction.

Par ailleurs, toutes les études s'accordent à dire que le fait d'arrêter de fumer réduit de 30 % le risque d'infarctus dans les dix années suivantes et diminue de 50 % dans les cinq années le risque de cancer du poumon. Après dix à quinze ans d'arrêt, l'espérance de vie redevient identique à celle du non-fumeur. En outre, une étude irlandaise réalisée depuis l'interdiction du tabac dans tous les lieux publics, montre que seuls 6 % des fumeurs ont augmenté leur consommation domestique alors que 22 % des fumeurs ont au contraire diminué leur consommation à la maison.

S'agissant de la prétendue atteinte à la liberté et des "persécutions" dont seraient l'objet les fumeurs, il convient également de rétablir la vérité : les fumeurs peuvent continuer à fumer chez eux et dans la rue mais ils n'ont plus, c'est vrai, la liberté d'intoxiquer contre leur gré les non fumeurs dans les espaces clos, ce qui est bien le moins. Cette nouvelle législation constitue une avancée décisive sur le plan du droit car, comme a écrit un philosophe "Pour le faible face au fort, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit".

Faut-il à présent envisager d'aller plus loin et d'interdire purement et simplement la vente et la consommation du tabac qui est, rappelons-le, considéré comme une véritable drogue par l'OMS et a tué, au XXème siècle dans le monde 100 millions de personnes, plus que les deux guerres mondiales réunies ?

La question est plus complexe qu'il n'y parait et mérite un vrai débat démocratique. Bien sûr, à première vue, on peut considérer que, puisque le tabac est si nocif, il n'est pas normal d'en autoriser la vente, qui plus est sous le monopole de l'Etat ! Mais cet argument qui peut sembler inattaquable est discutable car l'usage du tabac correspond à une réalité historique et culturelle qu'on ne peut nier. En outre, les exemples de "prohibition" du tabac ou de l'alcool montrent qu'on aboutit souvent à l'inverse du résultat escompté et à la prise en main par la criminalité organisée de la vente clandestine de ces produits devenus illicites. Dans ce contexte, il faut peut-être admettre que la vente et la consommation de tabac strictement réglementée et contrôlée par l'Etat reste, pour l'instant, la moins mauvaise des solutions, en attendant que les mentalités évoluent à nouveau et soient prêtes, un jour, à accepter une telle interdiction totale.

On peut aussi penser que la baisse constante de la consommation du tabac et du nombre de fumeurs vont se poursuivre, à condition bien sûr de maintenir et d'accroître les efforts de prévention, de protection et d'éducation à tous les âges de la vie.

Quoi qu'il en soit, cette nouvelle étape qui instaure par la loi l'interdiction du tabac dans tous les lieux publics constitue une avancée historique en matière de santé publique mais aussi en matière de respect des libertés individuelles. Trois ans après l'adoption, le 25-02-2005, de la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac de l'OMS, le premier traité international de santé au monde, nous sommes entrés dans une nouvelle ère en matière de prévention contre ce fléau du tabagisme qui a causé tant de morts et de souffrance. Nous devons nous en réjouir et poursuivre, sans jeter l'anathème sur les fumeurs et en recourant autant que possible à l'éducation et à la prévention, ce combat pour la vie.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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