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Voyage au coeur de la fracture numérique

La « fracture numérique ». L'expression est dans toutes les bouches. Le G8 y a consacré un sommet à Okinawa cet été. Lionel Jospin a annoncé une série de mesures pour « réduire le fossé numérique ». Et Jacques Chirac n'a pas manqué de mettre en garde contre toute « fracture » ou « fossé numérique » qui pourrait constituer « une menace pour la cohésion des Etats et des grands équilibres mondiaux ». Cinq ans après la « fracture sociale », la « fracture numérique » est en passe de devenir le nouveau cheval de bataille dans la course à l'élection présidentielle de 2002. Une chose est sûre, Internet reste une affaire de privilégiés. Selon les dernières statistiques fournies en juillet 2000 par la société Nua Internet Survey, le Réseau touche à peine 6 % de la population mondiale. Et encore, ce chiffre prend en compte les personnes s'étant connectées au moins une fois dans les trois derniers mois de l'étude. Autant dire que la réalité est sans doute bien en dessous. Cela ne surprendra personne, « Internet ne bénéficie qu'aux individus relativement aisés et instruits, conclut le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) dans son rapport mondial sur le développement humain de l'année 1999 ; 88 % des internautes vivent dans des pays industrialisés qui représentent à peine 17 % de la population mondiale ». On rajoutera que les Etats-Unis et le Canada, qui représentent moins de 5% de la planète en termes de démographie, abritent près de la moitié des internautes, alors que l'Afrique, qui fournit 13 % de la population mondiale, pèse moins de 1 % dans le cybermonde. Mais ce gouffre technologique ne sépare pas seulement les pays riches des pays pauvres, il existe également au sein même des Etats les plus industrialisés. Car la locomotive d'Internet est le commerce électronique. Son développement s'oriente donc naturellement en direction des catégories sociales les plus élevées et les mieux éduquées, ayant, de surcroît, une parfaite maîtrise de l'anglais (plus de 80 % du contenu de la Toile sont écrits dans la langue de Shakespeare). Ce qui fait écrire aux auteurs du rapport du PNUD que l'internaute type est « un homme de moins de 35 ans, diplômé de l'enseignement supérieur, disposant de revenus élevés, habitant en ville et parlant anglais », soit « un membre d'une élite très minoritaire ». A un degré moindre, le constat vaut également pour la France. Car, même si le nombre d'internautes progresse régulièrement (il serait passé de 3, 9 millions à 5,8 millions entre décembre 1999 et juillet 2000, selon les derniers chiffres publiés par NetValue), il représente toujours moins de 10% de la population française. Et, à y regarder de plus près, on observe que le gouffre est également béant entre les catégories socioprofessionnelles, les ouvriers ne représentant que 2,7 % des internautes, contre 35,8% pour les cadres et professions libérales. Dès lors, on mesure à la fois l'urgence et le chemin qu'il reste à parcourir pour bâtir la « société de l'information pour tous » que le premier ministre appelle de ses voeux. D'ici à 2003, 3 milliards de francs devraient être débloqués, 4 000 emplois jeunes de formateurs multimédias créés, 7 000 espaces publics d'accès à Internet ouverts, toutes les écoles primaires raccordées. Le gouvernement semble s'être donné les moyens de son ambition. S'il reconnaît que les mesures annoncées par Lionel Jospin vont dans le bon sens, Philippe Quéau, le directeur de la division information et informatique de l'Unesco, n'en pense pas moins que l' « on devrait aller beaucoup plus loin encore, dans le sens d'une intégration plus approfondie de la cyberculture dans la structure de l'enseignement ». Sur le terrain, le monde associatif l'a déjà compris, qui intègre de plus en plus la pratique d'Internet dans les activités qu'il propose. A Créteil, les enfants de l'association Initial - qui initie les jeunes des quartiers défavorisés aux rudiments du Net - sont unanimes : « Internet, c'est l'avenir, alors autant savoir l'utiliser le plus tôt possible. » Il n'en demeure pas moins que, s'il semble indispensable d'offrir à chacun la possibilité de maîtriser le monde virtuel pour entrer dans le XXIe siècle avec les meilleures armes, il faut peut-être aussi commencer à organiser la société pour que l'on puisse continuer à vivre et travailler sans savoir cliquer. Et, comme le rappelle Yves Lasfargue, directeur des études du Centre d'études et de formation pour l'accompagnement des changements : « Il faut tout faire pour éviter le totalitarisme numérique » !

Le Monde :

http://interactif.lemonde.fr/article/0,3649,2894--93207-0,00.html

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