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Edito : La ville a-t-elle encore un avenir ?

Les deux avions lancés à grande vitesse et avec leurs réservoirs pleins ont fait s'effondrer les deux plus grandes tours de New York. Une explosion dans une usine de chimie à Toulouse a tué plusieurs dizaines de personnes, blessé des centaines d'autres et littéralement démoli quelque 20.000 logements. Pendant ce même temps, un sentiment d'insécurité se développe dans nos grandes villes. Devant un tel amoncellement d'éléments stressants pour les habitants des grandes unités urbaines, le moment est venu de se poser la question de savoir si les villes ont encore de l'avenir. Historiquement, les villes ont été avant tout des lieux protégés. Il y a plusieurs siècles, les plus pauvres venaient se réfugier derrière les remparts des cités. Depuis quelque deux siècles, nos sociétés étant devenues plus policées, ce n'était plus ce caractère protecteur qui justifiait seul l'extension des villes mais beaucoup plus leur fonction accélératrice. Le temps est ainsi devenu un facteur majeur dans la vie de chacun d'entre nous. Or, aujourd'hui, ces deux traits essentiels, qui souvent définissent la qualité de notre vie, que sont la sécurité d'une part et l'efficacité d'autre part au travers d'une volonté de ne plus perdre de temps, semblent rapidement s'estomper dans les grands ensembles urbains. J'ai souvent décrit combien les grandes villes devenaient de moins en moins efficaces, surtout dans les déplacements de leurs habitants. Pour aller d'un point à un autre de nos grandes cités, entre notre appartement et notre bureau par exemple, nous mettons souvent plus de temps qu'il y a cinquante ans. Cela est devenu plus sensible encore pour ceux qui ont moins de moyens financiers car, au fur et à mesure du déploiement des services massifs de transports en commun tels que les métros et RER, ils ont dû s'exiler de plus en plus loin, l'immobilier des centre-villes n'étant plus à leur portée. Il est inutile de reprendre les centaines de dépêches qui, chaque jour, tombent et relatent des méfaits de plus en plus nombreux pour vérifier la montée de l'insécurité dans nos villes. Il suffit d'observer les traits figés d'une mère qui, le soir, attend sa fille rentrant du travail et qui a un peu de retard, pour comprendre que cette douleur anxieuse frappe au ventre de toutes nos grandes cités. Face à cette problématique, beaucoup de spécialistes continuent à affirmer, comme il y a 40 ans, que la modernité et l'aménagement du territoire ne peuvent s'imaginer sans une croissance permanente des grands ensembles urbains. Si le développement industriel de notre pays suivait la même voie que pendant les « trente glorieuses », ils auraient sans aucun doute raison. Mais pourquoi se le cacher. Il y aura inexorablement de moins en moins de personnes qui travailleront dans les grandes unités industrielles. Si ces grandes entités ne sont pas délocalisées hors de notre pays, elles utiliseront de plus en plus de robots. Et ce n'est certainement pas la réduction unilatérale du temps de travail dans notre pays qui ralentira ce processus... Les emplois « nouveaux » qui seront créés dans ces prochaines décennies seront essentiellement des emplois de services s'appuyant, d'une part, sur le « signal » et, d'autre part, ceux attachés à la personne et plus particulièrement aux personnes âgées. La différence essentielle entre les emplois industriels qui ont porté notre passé récent et les emplois de services qui vont porter notre avenir est que les premiers ont besoin de matières physiques et réelles devant emprunter les autoroutes, les voies ferrées et les routes pour parvenir jusqu'aux usines, alors que les seconds s'appuyant sur un signal « virtuel » n'ont besoin que d'un câble ou même plus rustiquement de l'éther pour se propager. Par définition, les emplois industriels sont donc sédentaires et essentiellement urbains alors que les emplois de services s'appuyant sur le signal sont beaucoup plus nomades et pourront, à l'extrême, être exercés quel que soit notre lieu de résidence. Les services à la personne n'ayant besoin ni de matière ni de signal pour être exercés se développeront là où il y aura des personnes qui voudront et surtout pourront se payer de tels services. Or, les chiffres récemment publiés du dernier recensement mettent en évidence qu'en silence, la France a entrepris une grande migration générationnelle. De plus en plus rejetés par les villes et de plus en plus attirés par le soleil, les jeunes retraités qui ont souvent encore plusieurs décennies à vivre font de plus en plus fréquemment le choix de quitter les grandes cités. Ainsi, les régions du Sud avec leurs plages, leurs cigales, leur soleil, leurs campagnes calmes et bien desservies, voient-elles leur population croître imperturbablement alors que les coeurs et surtout la première couronne de nos grandes villes, insensiblement mais avec la même réalité, perdent des habitants. Il faut avoir conscience que cette migration « héliotropique » n'est souvent accessible qu'aux personnes les plus aisées, qui ont les moyens de rémunérer des emplois de services à la personne alors que les inactifs, les plus démunis, doivent continuer à vivre, avec tension, dans les banlieues les plus stressantes et les plus polluées. Si les pouvoirs publics ne prenaient pas conscience de cette migration d'un nouveau genre, nous pourrions constater que les emplois de services à la personne seraient dans quelques courtes décennies créés et rémunérés sur des fonds publics dans les villes et que les emplois de services à la personne à haute valeur ajoutée, rémunérés sur fonds privés, ne seraient plus dans les villes mais bien dans ces nouveaux espaces de migration. Cette fracture générationnelle et sociale ne serait certainement pas, alors, sans conséquence sur l'ensemble de la structure de notre Nation. En voyant de tels vents contraires se lever face à la ville, certains aménageurs du territoire, à courte vue, pourraient penser que cette rupture historique serait la chance du monde rural. Malheureusement, ils sont dans le faux. Il n'en serait rien. Le monde rural a ses vertus, ses qualités mais aussi ses défauts (pourquoi ne pas le dire ?) parce que sur ses grands espaces peu de personnes y résident. Si demain, comme le disait avec humour Alphonse Allais, nous construisions les villes à la campagne, cela serait un immense gâchis. Non, la solution est ailleurs. Il nous faut profondément repenser la ville et, comme nos anciens ont su le faire au niveau urbanistique au 19e siècle, nous avons l'ardente obligation d'imaginer ce en quoi les nouvelles technologies, les nouveaux moyens de communication, les nouveaux outils de déplacement, les nouvelles énergies non polluantes, les nouvelles approches commerciales vont profondément changer la finalité et le fonctionnement de nos grandes cités. Oui, et ce sera là ma conclusion, nos grandes cités ont encore un grand avenir si elles n'ont qu'un seul objectif : rendre l'Homme heureux.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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