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Edito : La vie sur Terre est-elle venue de l'espace ?

Personne n'a oublié les expériences historiques de Stanley Miller à Chicago en 1953 qui avait réussi à recréer en laboratoire les conditions de la "soupe primitive", qui existait sur Terre au moment de l'apparition de la vie, et qui avait montré que ces conditions étaient propices à la formation des acides aminés qui constituent les "briques" de base du vivant. Depuis cette date qui coïncidait d'ailleurs avec la découverte de la structure de l'ADN par Watson et Crick, la communauté scientifique n'a cessé de s'interroger sur la question fascinante de l'origine et de la nature de la vie.

La semaine dernière, une équipe franco-allemande regroupant des chercheurs de l'Institut de chimie de Nice (Université Nice Sophia Antipolis/CNRS) et de l'Institut d'astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud) a publié une étude qui montre, dans une remarquable expérience, que les premières molécules constituant les "briques" de la vie peuvent se former spontanément dans les comètes. Après avoir fabriqué une comète artificielle dans les conditions extrêmes qui règnent dans l’espace (-200°C et sous vide), les chercheurs ont regroupé sur un fragment de fluorure de magnésium (MgF2), des composés présents dans le vide interstellaire (eau, ammoniac (NH3) et méthanol (CH3OH)). Ils ont ensuite irradié cette "soupe" à l'aide d’un rayonnement ultraviolet (Voir le communiqué de presse du CNRS).

Deux semaines plus tard, la matière organique interstellaire ainsi obtenue a été analysée par les chercheurs (l'équipe d’Uwe Meierhenrich et de Cornelia Meinert) en utilisant un chromatographe multidimensionnel en phase gaz, une technologie de pointe dix fois plus sensible que les systèmes de détection traditionnels. Alors que, jusqu'à présent, seuls trois acides aminés avaient été mis en évidence dans ce type d'expérience, ils ont pu identifier vingt-six acides aminés, les éléments qui constituent les protéines, dans la comète artificielle.

Mais surtout, ils ont aussi découvert pour la première fois six acides diaminés, des molécules formées de deux groupes amines (-NH2), au lieu d’un seul pour les acides aminés classiques. Parmi ces molécules figure la N-(2-Aminoethyl) glycine qui est peut-être le composant majeur des premières molécules d'ADN terrestre : les molécules d’acide peptidique nucléique (APN). Ces résultats confirment donc de manière éclatante que les premières "briques" moléculaires nécessaires à l'apparition de la vie ont bien pu se former dans les comètes et dans le vide interstellaire et "ensemencer" la Terre à l'occasion des chutes permanentes de météorites et de comètes. Ces résultats passionnants justifient largement la pertinence de la mission spatiale européenne « Rosetta » qui vise à faire atterrir en 2015 une sonde sur la comète Tchourioumov-Guerassimenko pour étudier la composition de son noyau.

Cette très belle découverte vient après plusieurs autres qui avaient déjà considérablement élargi et transformé notre approche de la vie. Début 2000, des chercheurs australiens avaient notamment découvert, dans le grès du fond des océans, des organismes vivants d'une taille extraordinairement petite, comprise entre 20 et 150 nanomètres (voir article de la lettre 82, rubrique biologie "Y-a-t-il une vie dans le nanomonde ?").

Fin 1999, une autre découverte réalisée par l'astronome Sun Kwok, de l'Université de Calgary, au Canada (voir article de la lettre 80, rubrique biologie "La chimie de la vie au coeur des étoiles") avait révélé, en mesurant le spectre de nombreuses étoiles à des stades de développement avancés que celles-ci synthétisaient des quantités importantes de molécules organiques en quelques milliers d'années seulement. Ces molécules organiques qui constituent la base des sucres et des acides aminés étaient ensuite expulsées vers l'espace interstellaire et pouvaient alors entrer dans le processus de constitution de nouvelles planètes, provoquant ou favorisant l'apparition de la vie.

Il faut rappeler que l'idée même de la "soupe primitive" est très ancienne et que le grand Darwin l'avait déjà imaginée dès 1871. Dans les années 1920, deux biologistes, le Britannique John Haldane et le Russe Alexandre Oparine eurent également l'idée, indépendamment l'un de l'autre, que l'atmosphère primitive de la Terre avait pu favoriser l'apparition de molécules organiques qui se seraient ensuite complexifiées jusqu'à produire l'émergence des premiers être vivants monocellulaires. Mais à l'époque, ces chercheurs ne purent étayer leurs hypothèses par l'expérimentation. C'est cette étape décisive qui fut magistralement franchie en 1953 par Stanley Miller, sous la direction d'Harold Urey (Prix Nobel de chimie 1934), qui avait construit un modèle d'atmosphère primitive basé sur le carbone et le méthane.

D'autres expériences réalisées en partenariat par le laboratoire d'Astrochimie du Ames Research Center de la NASA et le Département de Biochimie de l'Université de Santa Cruz Californie ont également montré que la formation des constituants primordiaux de la vie avait pu se dérouler dans les conditions hostiles de l'espace. Cette équipe de recherche menée par Louis Allamandola du Centre Ames avait réussi à provoquer la formation de composés biochimiques particuliers se présentant sous la forme de petites bulles similaires à des membranes cellulaires et permettant des échanges avec l'extérieur. Ces résultats montraient donc que la vie avait très bien pu naître dans l'espace avant d'être apportée sur Terre par une météorite ou un astéroïde.

En 2004, la sonde américaine Stardust était parvenue à collecter des poussières de comète en passant à proximité de la comète Wild 2. Ces poussières avaient été ramenées sur Terre en 2006 et les scientifiques de la NASA eurent la surprise d'y trouver de la glycine, le plus simple des acides aminés. Après trois ans d'analyses et de vérifications, les chercheurs purent démontrer que cette glycine était bien d'origine extraterrestre et ne provenait pas d'une contamination humaine.

En 2007, une équipe internationale d'astrobiologistes a montré, en reproduisant, en laboratoire, les conditions d'impact d'un astéroïde, la possibilité d'un transfert de vie entre Mars et la Terre. En 2010, avec le télescope infrarouge de la Nasa installé sur le M'auna Kea, à Hawaï, une autre équipe américaine avait détecté de la glace d'eau et des composés organiques (briques élémentaires de la vie) sur l'astéroïde 24 Themis. Cette découverte avait alors conforté l’hypothèse selon laquelle l’eau des océans, ainsi que les molécules nécessaires à l’apparition de la vie, proviendraient d’astéroïdes.

En mars 2011, une équipe de chercheurs de la Nasa dirigée par Richard Hoover a découvert sur trois météorites des traces de bactéries fossilisées autochtones dont la structure montre qu'elle ne peuvent pas provenir d'une contamination par des micro-organismes terrestres et qui viendraient donc bien de l'espace. Toujours en 2011, une autre équipe de la NASA, après avoir analysé neuf météorites tombées notamment en antarctique, ont identifié de l'adénine, et la guanine, qui sont des composants de l’ADN.

On voit donc que depuis une dizaine d'années l'accumulation des observations et des expérimentations valide, d'une part, l'hypothèse que la vie est infiniment plus résistante et adaptable qu'on ne l'imaginait et, d'autre part, que l'apparition de la vie sur terre pourrait avoir été provoquée par des micro-organismes extra-terrestres amenés sur notre planète par des comètes et par l'apport d'eau extraterrestre contenue dans les astéroïdes.

En outre, début 2012, une équipe de recherche française a estimé pour la première fois le nombre de planètes existant dans notre galaxie à 240 milliards ! Sur l'ensemble de ces planètes, plus d'un milliard de planètes pourraient être semblables à la Terre et présenteraient des conditions physico-chimiques qui rendraient possible l'apparition et le développement de la vie, selon une autre étude réalisée en 2002 par des astronomes britanniques de l'Open University.

On voit donc, à la lumière de toutes ces avancées et observations scientifiques, que ces deux hypothèses en entraînent une troisième encore plus vertigineuse : la vie, loin d'être un phénomène tout à fait exceptionnel, liée à un extraordinaire concours de circonstances dont la terre aurait été le théâtre, pourrait être, au moins sous ses formes les plus rudimentaires, relativement répandue dans l'univers, surtout si l'on prend en compte le nombre gigantesque de planètes dans le Cosmos. La mise en service de la prochaine génération d'outils d'observations et d'analyses astronomiques et cosmologiques et la poursuite des voyages d'exploration spatiale dans notre système solaire permettront peut-être dans les décennies à venir de découvrir ou observer indirectement des traces de vie extraterrestres.

L'un des grands défis scientifiques et théoriques de ce siècle sera donc de savoir si la vie, même sous des formes très étranges, est bien présente ailleurs que sur terre (il n'est d'ailleurs toujours pas exclu qu'elle existe dans le sous-sol martien ou dans les profondeurs liquides d'Europe, l'un des satellites de Jupiter) ou si nous devons nous résoudre finalement à accepter l'idée qu'elle n'est apparue sur notre planète qu'à la suite d'une succession de circonstances si exceptionnelles et improbables qu'elles n'ont aucune chance de s'être reproduites ailleurs dans l'Univers.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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