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Edito : La vie, mode d'emploi : la nécessité d'une nouvelle Loi de Bioéthique

La Cour de Cassation vient d'admettre, dans un arrêt sans précédent, qu'un handicapé soit indemnisé pour le seul fait qu'on l'ait laissé naître et qu'il soit contraint de vivre. Elle a donné ainsi raison à ses parents qui estiment que ce sont les erreurs d'un médecin et d'un laboratoire qui les ont empêchés de décider un avortement et ont donc permis la naissance de leur fils. Cet enfant sourd, quasi aveugle et souffrant de graves troubles mentaux, aura donc réparation du préjudice que constituerait pour lui-même sa propre vie, a décidé la juridiction suprême. La cause de son handicap est une rubéole contractée lors de la grossesse de sa mère, et qui avait été détectée lors d'un examen. Le médecin et le laboratoire avaient toutefois diagnostiqué par erreur que la mère était immunisée. Or, cette dernière avait exprimé le désir d'avorter si elle était atteinte de cette maladie. "Dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec la mère de l'enfant avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues", dit en substance l'arrêt de la cour. La Cour de Cassation, qui siégeait en assemblée plénière, n'a donc pas suivi le Parquet qui s'était opposé le 3 novembre, lors de l'audience, à la demande du couple en soulignant qu'elle supposait l'existence d'un droit à "ne pas naître". L'Avocat général Jerry Sainte-Rose pensait qu'accepter la requête ouvrirait la possibilité à des enfants insatisfaits de leur existence de poursuivre leurs parents en justice. Il évoquait aussi le risque d'une élimination systématique des foetus frappés d'un handicap. La Cour de Cassation n'a pas non plus suivi les arguments de l'avocat du médecin et du laboratoire, qui soulignaient que la cause directe du handicap de l'enfant était la rubéole de sa mère et non la faute du médecin et du laboratoire. Elle semble s'être rangée aux arguments des avocats des parents qui souhaitaient que la Cour "s'éloigne des débats philosophiques et se plonge dans la réalité concrète de l'éducation d'un enfant handicapé". Cette affaire exemplaire pose trois questions fondamentales sur le plan du droit comme de l'éthique : qui peut se prévaloir d'un droit d'être né ou non ? Y a-t-il un préjudice de naître, en particulier de naître avec un handicap ? Enfin, y a-t-il un droit à la mort foetale après sa naissance, autrement dit peut-on reprocher à sa mère de ne pas avoir avorté ? Cette décision de la Cour de Cassation constitue bien un revirement radical en matière de jurisprudence et démontre la nécessité d'ouvrir un double débat : au niveau de la société, d'une part, pour réfléchir à la conception que nous nous faisons de la singularité et de la dignité d'une vie humaine et au niveau législatif, d'autre part, où il faut redéfinir, dans le cadre du réexamen de la loi de bioéthique, que vient d'annoncer le Premier Ministre, la protection à donner à l'embryon, au foetus et à l'enfant-né au fur et à mesure de son développement et des progrès extraordinaires de la médecine et de la génétique. Il faut en effet bien mesurer toute la portée de cette décision qui revient à dire que naître peut constituer en soi un préjudice. Jusqu'à présent, une telle affirmation n'était pas recevable, au nom du respect de la dignité humaine, principe inscrit dans l'article 16 du Code Civil. Remettre en cause cette position c'est admettre, comme l'a souligné avec force l'Avocat général, que « La mort ou l'inexistence deviennent ainsi une valeur préférable à la vie », et que « certaines vies ne valent pas la peine d'être vécues ». Une question aussi essentielle, qui touche aux valeurs constitutives de notre civilisation, ne peut pas, et ne doit pas être circonscrite au seul cadre juridique et doit faire l'objet d'un vrai débat démocratique et d'une réflexion éthique collective.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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