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Edito : Vers un nouveau paysage énergétique à l'horizon 2050 : préparer l'après pétrole

Les habitants de notre planète consomment aujourd'hui un peu plus de 9 milliards de TEP (tonnes équivalent pétrole), chaque année, pour satisfaire leurs besoins en énergie, soit une augmentation de 60 % en 30 ans. Chaque habitant de la terre consomme 1,5 tonne par an, et, selon les prévisions les plus prudentes, cette consommation devrait encore augmenter de 60 % d'ici 2020, doubler d'ici 2040 et quadrupler d'ici la fin de ce siècle. Géographiquement, 23% de cette énergie sont consommés au USA, 5 % au Japon et 15 % en Europe. A l'autre extrémité, on trouve l'Inde, l'Afrique et la Chine, qui réalisent ensemble environ 20 % de la consommation mondiale d'énergie pour 50 % de la population mondiale. Actuellement le pétrole représente encore 38,4 % de la consommation mondiale d'énergie, contre 58 % en 1973, le charbon 24,7 %, le gaz 23,7 %, le nucléaire 5,5 %, l'énergie hydraulique 6 %, et enfin les énergies renouvelables 1,7 %. Jusqu'à 2020, ce paysage énergétique mondial ne devrait pas connaître de bouleversements majeurs : le charbon devrait toujours représenter 20 % de l'énergie consommée, alors que la part du gaz naturel, en dépit de son coût, devrait passer de 23 à 28 %. Quant au pétrole, il devrait encore représenter, en 2020, 38 % de la consommation mondiale d'énergie. Le nucléaire resterait stable et la part des énergies renouvelables (comprenant l'hydraulique) devrait atteindre les 10 %. Mais après 2020, l'évolution vers une diversification, une décentralisation et une "décarbonisation" accrues de la production d'énergie devrait s'accélérer sous la pression conjointe des nouvelles contraintes économiques, écologiques et géopolitiques. Dans cette perspective, et sans tenir compte d'une possible rupture technologique majeure dans les domaines de la fusion, de la supraconductivité ou du solaire spatial, l'ensemble des énergies renouvelables conventionnelles pourrait assurer la moitié de la consommation mondiale d'énergie vers 2050. L'utilisation massive des énergies fossiles n'est en effet pas tenable sur le long terme, d'une part parce que leurs coûts d'exploitation vont considérablement augmenter à partir de 2030-2040 à cause de l'épuisement des réserves faciles et, d'autre part, parce que ces énergies fossiles, charbon et pétrole surtout, sont largement responsables des émissions de CO2, gaz qui entraîne le réchauffement de la planète. Ces émissions de CO2 devraient augmenter de 62 % d'ici 2020. Face au réchauffement climatique accéléré, cette variation accrue de nos émissions de gaz à effet de serre est devenue un enjeu technologique, économique et politique majeur qui va conditionner de plus en plus fortement nos choix énergétiques. Il est vrai que ces émissions des gaz à effet de serre ont augmenté de 10 % depuis 1990, avec un bond de 35 % dans les pays en voie de développement. Au mieux, le protocole de Kyoto, qui prévoit que les pays industriels doivent réduire en moyenne de 5,2 % leurs émissions de gaz à effet de serre en 2008-2012 par rapport à 1990, parviendra à une réduction de seulement 2 % des émissions. Lors de la réunion plénière du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à Paris en février 2003, le Premier Ministre et la Ministre de l'Ecologie ont confirmé l'objectif ambitieux d'une division par 2 des émissions mondiales de gaz à effet de serre avant 2050, ce qui signifie une division par 4 des émissions des pays industrialisés. Pour mesurer l'ampleur du défi économique, social et politique qui nous attend, il faut bien comprendre que si la France et ses principaux voisins européens veulent atteindre dans un demi siècle leur objectif ambitieux mais nécessaire d'une réduction de 75% des émissions de gaz à effet de serre, la substitution à plus de 50% des énergies fossiles par des énergies renouvelables ne suffira pas. Il faudra également faire un effort considérable en terme d'économies d'énergie, ce qui suppose de profonds changements dans nos habitudes et notre mode de vie, et une réorganisation globale de notre économie. Il faudra également accomplir au niveau national et européen un effort de recherche et d'innovation considérable afin de doubler d'ici 2050 le rendement énergétique de notre industrie, de nos transports, de nos systèmes de chauffage domestique et de nos appareils ménagers et numériques, de manière à pouvoir intégrer la nécessaire croissance économique dans le cadre plus large du développement durable qui se fera à consommation d'énergie constante. Rappelons que la directive sur les sources d'énergie renouvelable adoptée le 7-09-2001 par le Conseil des ministres de l'Union Européenne, fixe à la France pour objectifs à l'horizon 2010 de porter de 6 % à 12 % la contribution des Energies renouvelables dans la consommation d'énergie et à 21 % la part de ces énergies renouvelables dans la consommation d'électricité. Si la France veut respecter la directive sur les énergies renouvelables, elle devra faire un effort considérable non seulement dans le domaine de l'éolien, mais aussi dans le solaire, la biomasse ou la géothermie, sans oublier le volet essentiel de la maîtrise de la demande. Le grand débat national sur les énergies actuellement en cours sous l'égide de Mme Fontaine, Ministre de l'Industrie, souhaite accorder une large place aux énergies renouvelables qui contribuent non seulement à la protection de l'environnement mais à l'innovation, la création d'emplois et la croissance économique. Cette diversification et cette décentralisation des sources et des vecteurs d'énergie sont d'autant plus inévitables que notre civilisation du pétrole s'éteindra inexorablement avant la fin de ce siècle. Si l'on recoupe en effet les dernières données les plus sérieuses de l'IFP et de l'OCDE, on constate que la totalité des réserves de pétrole (y compris le pétrole "difficile") sera consommé en 2075. Les stocks terrestres d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) finiront forcément par s'épuiser, quels que soient les délais supplémentaires que le progrès technologique pourrait nous accorder par rapport à nos prévisions actuelles. Les réserves d'uranium ont également des limites naturelles. On peut évidemment espérer que la fusion thermonucléaire sera contrôlée dans quelques décennies mais d'immenses difficultés techniques restent à surmonter et il faudra au moins 40 ans pour disposer de réacteurs à fusion de type industriel. Tout en intensifiant les recherches dans ce domaine de la fusion, nous devons donc préparer notre avenir énergétique en faisant appel aux ressources inépuisables dont nous disposons dès aujourd'hui et que nous appelons les énergies renouvelables. Quelles sont ces énergies renouvelables ? Il n'est pas possible de passer ici en revue les potentialités de toutes les sources d'énergie renouvelable mais on peut cependant évoquer l'énergie solaire thermique et l'énergie solaire photovoltaïque. A l'heure actuelle, pour une production centralisée, l'électricité d'origine photovoltaïque aurait un coût beaucoup plus élevé que celle produite par l'électronucléaire ou à partir des carburants fossiles. Mais ce prix pourrait baisser jusqu'à 1,5 euro le watt en 2010, et devenir compétitif d'ici 2020. S'agissant de l'énergie éolienne, la capacité installée en matière d'énergie éolienne a augmenté de 28 % dans le monde en 2002, la capacité totale mondiale est de plus de 31.000 MW, ce qui équivaut à l'alimentation de 7,5 millions de foyers américains ou de 16 millions de foyers européens. Les 15 pays de l'Union Européenne génèrent aujourd'hui les trois quarts de l'électricité éolienne mondiale. Le champion du monde de l'énergie éolienne est l'Allemagne, avec 12.000 MW, soit un tiers des capacités mondiales. La France figure aux alentours du quinzième rang mondial, avec 145 MW. L'énergie éolienne assure actuellement seulement 0,4 % de la demande mondiale en électricité. On estime que l'énergie du vent pourrait fournir 12 % de la consommation mondiale d'électricité en 2020. A long terme, les scientifiques fondent beaucoup d'espoirs sur la fusion nucléaire, qui est la réaction ayant lieu lorsque deux atomes qui sont suffisamment proches, se combinent pour former un atome plus lourd. Cette réaction dégage de grandes quantités d'énergie. La fusion d'un kilogramme de deutérium et de tritium, qui est la réaction de fusion la plus facile à réaliser en laboratoire, produit plusieurs milliers de fois plus d'énergie que la combustion d'un kilogramme de charbon. ITER sera la première machine intégrant la majorité des technologies essentielles à la préparation du réacteur de fusion mais les difficultés techniques à surmonter sont encore si importantes qu'il est peu probable que l'exploitation commerciale à grande échelle de la fusion contrôlée puisse intervenir avant 2040. En même temps que la fusion contrôlée, une autre source d'énergie pourrait révolutionner le paysage énergétique mondial après 2040 : les centrales solaires spatiales. Ces centrales seraient composées de gigantesques panneaux solaires couplés à des antennes émettant de larges faisceaux de micro-ondes vers d'immenses récepteurs situés au sol. Chacune de ces centrales électriques de l'espace pourrait produire de 1 à 10 gigawatts. La fusion contrôlée comme le solaire spatial peuvent encore pour beaucoup sembler relever de la science-fiction mais pourtant aucun obstacle technique insurmontable ne s'oppose à leur réalisation et s'il existe une volonté politique internationale forte et durable en leur faveur, je suis convaincu que ces deux technologies de rupture pourraient, en synergie avec la généralisation de l'hydrogène comme vecteur de transport de l'énergie, révolutionner nos perspectives énergétiques pendant la seconde moitié de ce siècle. Le problème de l'énergie éolienne et de l'énergie solaire est qu'elles nous arrivent de façon intermittente, avec des variations diurnes et des variations saisonnières. Pour une utilisation continue se pose immédiatement le problème du stockage de l'énergie reçue. C'est là qu'intervient la combinaison énergies renouvelables-hydrogène, qui forme un binôme très prometteur pour l'avenir. Il y a deux siècles que les scientifiques ont compris le potentiel énergétique de l'hydrogène sous forme gazeuse (H2) et Jules Verne, en visionnaire de génie, avait pressenti dès 1874, dans "L'Ile mystérieuse" les formidables potentialités de l'hydrogène en matière d'énergie. Mais il faut bien comprendre que l'hydrogène, contrairement au pétrole et au gaz naturel, n'est pas une source d'énergie en tant que tel -il n'est pas directement utilisable- mais un vecteur d'énergie, ce qui modifie profondément le cadre économique de son utilisation énergétique. Pour atteindre, en 2020, l'objectif des 20% de la consommation énergétique totale fournie par l'hydrogène, il faudra réussir à multiplier par 25 la production actuelle. Ces données éclairent bien la mesure du défi techno-industriel à relever en moins de 20 ans. Mais atteindre cet objectif ambitieux est également un défi économique et politique qui suppose que soient remplies trois conditions : une augmentation suffisante de la demande pour amortir les investissements considérables à réaliser, une stabilisation des prix et enfin une aide fiscale importante et durable de l'Etat. La Pile à Combustible (PAC) constitue un maillon essentiel de l'économie hydrogène mais ce maillon, en dépit des progrès réalisés depuis 10 ans, est encore loin d'être stabilisé sur le plan technologique et souffre encore d'un coût de production trop élevé -20 fois plus cher qu'un moteur de voiture ou 10 fois plus cher qu'une chaudière domestique classique- qui freine sa diffusion auprès du grand public. Malheureusement, la Pile à Combustible universelle et idéale reste à inventer et pas moins de 6 types de PAC coexistent, chacun de ces types représentant un laborieux compromis entre de nombreux facteurs. Mais en dépit des difficultés techniques rencontrées, GDF mise sur la PAC domestique et se fixe l'objectif de proposer une PAC à 6000 euros en 2007, amortissable en 7 ans grâce aux économies d'énergie réalisées. Quant au bilan environnemental, il est particulièrement favorable à l'émergence des piles à combustible, tant en terme d'émission de bruit que d'émission de polluants et de CO2. En attendant ces PAC domestiques et les PAC dans nos voitures, le grand public va pouvoir rapidement se familiariser avec les PAC, avec les micro-piles de type DMFC qui permettront dès la fin de cette année d'alimenter nos appareils électroniques avec une autonomie jusqu'à 10 fois plus importante qu'aujourd'hui. Toshiba vient d'ailleurs de présenter, il y a quelques jours, le premier modèle de PAC rechargeable pour ordinateur portable. Il suffira de mettre, de temps en temps, du méthanol dans son micro pour ne plus jamais avoir besoin de le recharger à une prise électrique. Mais à terme, c'est sans doute dans le domaine des transports qui connaît un développement mondial considérable (750 millions de véhicules aujourd'hui et 1,5 milliard en 2025) et qui est le plus grand consommateur d'énergie avec l'industrie, que la révolution en matière d'énergie sera la plus profonde grâce notamment aux progrès attendus de la pile à combustible. Il faut en outre souligner que si le parc automobile américain était aujourd'hui entièrement équipé de PAC, il représenterait une puissance électrique potentielle quatre fois supérieure à la production électrique totale des USA ! Sachant qu'une voiture est à l'arrêt 95% du temps on peut tout à fait imaginer qu'il serait possible d'utiliser une partie de la capacité de production de ces PAC embarquées dans nos voitures pour compléter notre alimentation électrique domestique ou alimenter le réseau local en tant que "micro-producteur". Historiquement, le basculement d'une source d'énergie dominante à une autre, du bois vers le charbon puis le pétrole, le gaz et enfin l'hydrogène, se fait d'un combustible plus riche en carbone vers un combustible plus riche en hydrogène. Le produit de combustion est de plus en plus l'eau (écologiquement neutre) au détriment du gaz carbonique (dioxyde de carbone, origine prouvée d'un effet de serre). Depuis le début de la révolution industrielle, la tendance est à la hausse du rapport hydrogène sur carbone, c'est ce que Jérémy Rifkin appelle la "décarbonisation". Mais cette révolution énergétique que nous sommes en train de vivre ne se limite pas à la diversification et à la décentralisation de la production d'énergie, elle touche également à la transformation, au stockage et à la distribution de cette énergie. Pourtant, cette mutation énergétique historique ne peut se réduire à ces dimensions technologiques, économiques et écologiques et suppose une réorganisation globale de nos économies et de nos sociétés, défi politique par excellence ! C'est là tout l'enjeu du passage à l'économie de l'hydrogène. Dans ce projet visionnaire que n'aurait pas renié Jules Verne, énergies renouvelables, hydrogène et électricité forment un triptyque interdépendant et interactif: les énergies renouvelables sont combinées et exploitées de manière optimale et évolutive pour produire de manière décentralisée et souple de l'électricité et de l'hydrogène. L'hydrogène devient alors le vecteur énergétique majeur que l'on peut, selon les besoins, stocker, utiliser directement ou transformer en électricité. Hydrogène et électricité se coproduisent mutuellement et forment un nouveau binôme énergétique quasi-inépuisable d'une puissance, d'une souplesse et d'une propreté incomparables. Mais il faut à nouveau souligner avec force que l'abandon des énergies fossiles, la diversification des sources et des formes d'énergie et les innovations technologiques ne suffiront pas à résoudre la question énergétique au niveau planétaire et devront s'accompagner d'un effort considérable et persistant de réorganisation économique et sociale pour économiser et réduire "à la source" notre consommation d'énergie. C'est pourquoi cette question capitale de l'énergie doit être pensée et intégrée dans le cadre plus large du développement durable : le nouveau paysage énergétique qui émergera en 2050 sera cadré par trois contraintes incontournables et extrêmement puissantes : la contrainte environnementale, la contrainte sociale et la contrainte économique. On voit donc que d'ici deux générations, tous les secteurs d'activité humaine vont être bouleversés bien plus vite qu'on ne l'imagine par cette révolution énergétique qui concernera la production, la consommation, la distribution et le stockage, deviendra l'un des principaux moteurs de l'innovation et du développement économique et provoquera une réorganisation en réseaux de nos sociétés qui marquera la fin des structures économiques sociales et politiques rigides, hiérarchiques et centralisées. C'est pourquoi il est capital que la France, qui dispose d'atouts naturels, économiques et technologiques de premier ordre, joue un rôle de pionnier dans cette mutation énergétique planétaire qui sera, avec les biotechnologies et les technologies de l'information, un des moteurs majeurs de la compétitivité et du développement économique mondial durant ce nouveau siècle.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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