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Edito : Vers la généralisation du péage routier : le pari britannique

L'événement est passé quelque peu inaperçu dans les médias français mais il s'agit pourtant d'une décision politique de portée considérable : le gouvernement britannique a annoncé officiellement il y a quelques semaines qu'il avait l'intention, d'ici 2015, de mettre en place un vaste système global de péage pour l'utilisation de l'ensemble du réseau routier et autoroutier, afin de désengorger le trafic automobile et de réduire les nuisances considérables que la circulation automobile occasionne sur l'environnement. (Voir article).

Pour l'instant, le gouvernement britannique n'a dévoilé que les grandes lignes de son projet et a bien précisé que celui-ci ferait l'objet d'un grand débat démocratique national et serait susceptible de nombreuses modifications et améliorations. Il n'en demeure pas moins que derrière cette volonté de dialogue et cette souplesse apparente, les pouvoirs publics anglais sont fermement décidés à prendre à bras le corps le problème de la régulation et de la maîtrise du trafic routier. Présentant ce vaste plan de régulation routière, Alistair Darling, Secrétaire d'État aux transports, a précisé qu'une expérience pilote serait mise en oeuvre dans un premier temps dans une grande agglomération britannique. Le gouvernement tirera ensuite les enseignements de cette expérimentation avant de décider de généraliser son plan à l'ensemble du pays vers 2015.

Le système imaginé par le gouvernement anglais repose sur une surveillance et une gestion par satellite, et par des boîtiers électroniques placés dans les véhicules, de l'ensemble du trafic routier britannique. L'idée maîtresse de ce projet consiste à instaurer un péage généralisé pour l'utilisation des routes et autoroutes britanniques mais de moduler le montant de ce péage en fonction de l'heure, du lieu, de la puissance des véhicules et de leur impact sur l'environnement.

Le montant du péage routier pourrait ainsi varier de deux centimes d'euros du kilomètre, pour l'utilisation d'une route de campagne la nuit, à plus d'un euro du kilomètre pour pouvoir rouler aux heures de pointe dans un secteur urbain encombré. En présentant son plan, le secrétaire des transports a souligné que l'Etat avait le devoir de mettre en oeuvre des solutions radicales pour réduire le trafic automobile et éviter une totale saturation du réseau routier britannique d'ici 15 ans.

Mr Darling reconnaît que le plan gouvernemental ne sera pas facile à faire accepter par l'opinion publique britannique mais il se dit persuadé qu'il s'agit d'une décision juste et inévitable. Il souligne que «Les futures générations nous maudiraient si nous, les responsables politiques, n'étions pas capables de prendre les mesures drastiques nécessaires pour empêcher la paralysie du trafic routier et réduire les nuisances liées à la circulation automobile». «Notre île n'est pas très grande et il n'y a pas assez d'espace pour construire plus de routes. Nous devons donc trouver les moyens qui nous permettront d'utiliser de façon optimale le réseau routier et autoroutier existant et de réduire l'impact du transport routier sur l'environnement» a ajouté Mr Darling.

La première étude d'opinion réalisée sur ce plan gouvernemental montre que 16 % des conducteurs refuseraient d'avoir des dispositifs de surveillance électronique dans leurs voitures. Par ailleurs, 34 % des personnes interrogées se disent opposées à l'introduction d'un péage routier généralisé. Mais, et c'est le grand enseignement de ce sondage, 47 % des personnes interrogées seraient prêtes à accepter une telle mesure sous certaines conditions. Il est vrai que ce projet gouvernemental britannique de péage routier généralisé s'appuie sur l'expérimentation menée depuis plusieurs années du péage urbain du Grand Londres, unanimement considéré comme un succès par les habitants de la capitale britannique.

Steven Joseph, directeur du groupe de recherches sur les transports, soutient le plan gouvernemental mais souligne que de nombreuses interrogations subsistent dans ce projet. Parmi celles-ci, la question principale est de savoir si le gouvernement conçoit ce plan comme un outil d'incitation à l'utilisation des transports en commun et est disposé à se donner les moyens budgétaires nécessaires pour rendre plus efficaces et plus attractifs ces transports en commun, afin qu'ils deviennent une véritable alternative aux transports individuels.

Parmi les autres questions en suspens, relève la presse britannique, il y a également celle des transferts de nuisances : ce plan ne risque-t-il pas de déplacer le trafic des routes principales vers les routes secondaires ? Autre question non tranchée : quel sera le poids de l'impact du véhicule sur l'environnement dans la fixation du montant du péage ?

Enfin, comment s'assurer que les sommes considérables qui seront perçues par ce système de péage seront bien affectées à l'amélioration des transports et à la protection de l'environnement ? On peut bien entendu penser ce qu'on veut de ce projet du gouvernement britannique mais il a au moins le mérite de lancer outre-Manche un grand débat de société et de proposer des solutions à ce problème lancinant de l'augmentation continue du trafic routier, avec son cortège de nuisances de plus en plus insupportables et ses effets économiques contre-productifs, liés aux millions d'heures perdues chaque année dans les encombrements.

Chaque pays a son histoire, ses traditions, ces spécificités socioculturelles et il ne s'agit pas de s'inspirer d'un quelconque modèle pour résoudre nos propres problèmes. Mais nous devons cependant être conscients que la France n'échappera pas à ce grand débat de société sur la maîtrise du trafic automobile et le contrôle du transport routier. Il y a plusieurs années que j'exprime ma conviction que les coûts d'utilisation et de fonctionnement des infrastructures de transports ne peuvent plus être supportés par la seule collectivité et doivent être évalués de manière transparente (en tenant compte notamment du coût pour l'environnement) et être répercutés sur l'usager, dans un double souci d'efficacité économique et d'équité sociale.

Est-il en effet normal que le seul contribuable supporte non seulement les coûts d'investissements mais aussi les coûts d'utilisation des infrastructures de transports, même s'il ne s'en sert jamais, alors que les gros utilisateurs de ces infrastructures ne participent pas, en tant qu'usagers, au financement des coûts considérables d'exploitation et d'entretien de ces routes ?

En outre, la technologie nous permet à présent d'envisager des solutions nouvelles et très innovantes en matière de transports publics et individuels et de déplacements urbains, en proposant de nouvelles offres de transports qui concilient besoins de déplacements individuels et contraintes collectives, notamment en matière environnementale. Je pense notamment aux "routes intelligentes" et à différents systèmes de véhicules ou de navettes urbaines qui permettent une offre de transport "à la demande", souple, personnalisée et plus respectueuse de l'environnement.

Il appartient à présent aux responsables politiques de faire preuve de courage, d'audace et d'imagination, sans se laisser guider par des considérations démagogiques ou des références idéologiques dépassées, et de proposer à nos concitoyens, dans le cadre d'un grand débat démocratique, des solutions neuves qui puissent traiter la question des déplacements dans sa globalité, en favorisant notamment la généralisation des téléactivités dans tous les domaines, en accélérant par une politique plus volontariste le passage à l'économie de l'hydrogène pour l'ensemble du secteur des transports, et en plaçant la qualité de vie et le respect de l'environnement au centre d'une nouvelle conception des déplacements et de la mobilité.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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