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Edito : Vaincre le cancer : un double défi scientifique et social

Vaincre le cancer reste un des défis majeurs des 20 prochaines années mais dans ce domaine il faut toujours rester prudent et éviter les annonces prématurées et les faux espoirs. Pourtant, on peut affirmer sans exagérer que nous sommes à l'aube d'une révolution thérapeutique sans précèdent qui ouvre des perspectives nouvelles dans le traitement du cancer. Les trois principaux axes de cette révolution thérapeutique seront sans doute constitués par les vaccins anti-cancer, le ciblage moléculaire et la prévention active. S'agissant des vaccins anti-cancer, les progrès réalisés depuis 2 ans sont considérables et ouvrent de grands espoirs. En mars 2000, la revue Nature Medicine rapportait une réduction de 50% des tumeurs cancéreuses de deux patients atteints d'un cancer du rein métastasé grâce à un vaccin expérimental. Ce traitement prometteur, obtenu par la fusion électrique de cellules prélevées sur le malade et de cellules d'un donneur, pourrait soigner d'autres formes de cancer, par exemple le cancer du sein et le cancer de la prostate. Parallèlement à ces recherches, un vaccin anti-cancer à base de télomérase, enzyme impliquée dans le vieillissement cellulaire et exprimée dans 90 % des cancers, est actuellement testé sur des souris au centre des thérapies géniques de l'université Duke (Durham, Caroline du Nord, Etats-Unis). Les souris immunisées avec le vaccin fabriquent des anticorps qui détruisent in vitro plusieurs types de cellules tumorales et inhibent in vivo la croissance de divers cancers. Enfin, plus récemment, l'Institut Pasteur a mis au point un vaccin original qui utilise la présence d'un sucre, appelé antigène Tn, à la surface des cellules cancéreuses. Ce vaccin a permis à des "souris humanisées" cancéreuses de rejeter, dans 80 % des cas, leurs tumeurs et de survivre à la maladie. Ce type de vaccin, qui est complémentaire des vaccins anti-cancer utilisant des cellules sanguines (les lymphocytes T) pourrait être utilisé chez l'homme contre les cancers de la prostate, du poumon et du colon. Parallèlement à ces progrès très encourageants en matière de vaccins anti-cancer, une autre voie est en train de révolutionner les moyens thérapeutiques contre cette maladie : le ciblage moléculaire. Le groupe pharmaceutique Novartis ent de faire sensation à San Francisco, où se tient le plus grand congrès mondial de cancérologie, avec la présentation du Glivec, une pilule efficace contre certains cancers. Fruit de 16 années de recherches, le Glivec représente une révolution dans le monde de la cancérologie. Il est le premier d'une nouvelle génération de médicaments en cours de développement fondée sur une nouvelle stratégie : le "ciblage moléculaire". Cette approche permet, tout en épargnant les cellules saines, de s'attaquer spécifiquement aux protéines qui se dérèglent à l'intérieur des cellules cancéreuses et qui causent leur prolifération anormale. Le Glivec pourrait aussi servir contre d'autres tumeurs cancéreuses. Une étude présentée au 37ème congrès annuel de la Société américaine d'oncologie clinique (ASCO) montre que le STI-571 est efficace chez 89 % des personnes atteints de sarcomes gastro-intestinaux (GIST), un autre cancer rare. "Pour la première fois, le STI-571 fait preuve d'effet remarquable sur une tumeur solide", a souligné l'auteur de l'étude, Charles Blanke, oncologiste à l'Université de l'Oregon. Le Glivec vient de faire l'objet d'une autorisation accélérée de mise sur le marché par la FDA. Une étude récente publiée par le New England Journal of Medicine a montré l'efficacité de ce nouveau médicament contre la leucémie myéloïde chronique puisqu'après un an de traitement, 51 des 53 patients traités sont toujours en rémission.(voir article du NEJM. Les scientifiques récoltent aujourd'hui les fruits de 20 années de recherches en biologie moléculaire. Les cancers naissent du dysfonctionnement ou de la mutation de certains gènes qui jouent un rôle-clé dans la croissance des cellules. Ces gènes "sont environ au nombre de 500 et le cancer se déclenche lorsqu'une mutation survient dans quatre ou cinq gènes d'une cellule", explique John Mendelsohn. Dans une cellule cancéreuse, les gènes mutants ou suractivés "s'expriment" de façon anormale en produisant des protéines en quantité excessive. Celles-ci viennent commander l'apparition de récepteurs chimiques sur la membrane de la cellule, sur lesquels viennent "s'accrocher" d'autres molécules présentes dans l'organisme : des facteurs de croissance. Une fois fixés sur la membrane de la cellule, ces facteurs envoient au noyau, via des enzymes intramembranaires, un signal chimique ordonnant à la cellule cancéreuse de se diviser indéfiniment. Dans le cancer, ce processus devient incontrôlé, causant la prolifération des cellules tumorales. Le "ciblage moléculaire" consiste à "accrocher" une molécule spécialement conçue (anticorps monoclonal par exemple) sur ces récepteurs que l'on veut cibler et en bloquer ainsi l'accès. Une autre approche consiste à inhiber, tel un "fusible", directement les enzymes messagers à l'intérieur de la cellule. Dans les deux cas, la cellule cancéreuse ne reçoit plus de signaux lui commandant de se multiplier et elle meurt. De nombreux laboratoires se sont lancés dans la course pour identifier ces cibles (entre 300 et 400) et mettre au point des anticorps monoclonaux pour les attaquer. Une demi-douzaine de ces molécules font actuellement l'objet d'essais cliniques. Selon les chercheurs, un ou deux nouveaux médicaments issus de cette approche devraient être commercialisés chaque année au cours de la prochaine décennie. Il ne faut cependant pas attendre une molécule qui serait un anticancéreux universel mais la médecine disposera dans quelques années de toute une série de molécules qui pourront agir sur les récepteurs spécifiques qui correspondent aux différentes tumeurs. Tout traitement avec ces nouveaux anticancéreux devra donc être précédé d'un test, pour vérifier la présence sur la tumeur du récepteur visé. Cette nouvelle génération de médicaments devrait permettre non de supprimer mais de stabiliser les tumeurs. Ces nouveaux anticancéreux, dont une quarantaine sont à l'étude (dans des cancers aussi fréquents que le sein, le poumon, ou le côlon), vont progressivement faire des cancers, à l'instar du SIDA, une maladie chronique. Des tumeurs aujourd'hui incurables pourront être mises sous contrôle à l'aide de toute une panoplie de nouveaux médicaments à ciblage moléculaire. A plus long terme, il sera possible d'utiliser ces médicaments en chimioprévention, chez des sujets à risque, de manière à éviter que le cancer ne survienne. Cette prévention active et sélective pourrait également être sensiblement renforcée par une modification de notre mode de vie et notamment de nos habitudes alimentaires. On sait aujourd'hui que la consommation régulière de certains aliments constitue une véritable prévention contre certains cancers et si nous parvenions à modifier en une génération nos comportements alimentaires, nous pourrions probablement diminuer d'un quart ou d'un tiers le nombre de cancers. Défi scientifique et médical, le cancer est aussi un défi social et culturel et la victoire sur cette maladie passera tout autant par la modification profonde de nos modes de vie que par les avancées thérapeutiques. A cet égard, l'exemple américain est remarquable. Aux Etats Unis, la mortalité par cancer diminue régulièrement depuis 6 ans d'environ 2 % par an et cela n'est pas seulement le fruit des progrès thérapeutiques mais aussi le résultat d'un grand effort collectif de prévention et d'information. La diminution par trois du nombre de fumeurs américains depuis 40 ans est à cet égard parlante. La victoire sur le cancer est à notre portée, d'ici une génération, si nous le voulons et si nous nous en donnons les moyens. Mais il faut savoir que cette victoire aura un coût élevé et ne se gagnera pas seulement sur le terrain scientifique car le cancer est un problème de société et pour le vaincre définitivement nous devrons changer en profondeur nos habitudes et nos comportements.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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