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Edito : Souvenons nous de ce qui est arrivé à Prométhée...

Chers lecteurs d'@RT Flash,

Cette semaine s'est tenu le grand colloque international sur les Robots, qui était organisé par le Groupe de Prospective du Sénat que j'ai l'honneur de présider. Comme vous avez été très nombreux à m'adresser votre candidature pour assister à ce colloque, et n'ayant pu retenir que les 50 premiers inscrits, vous êtes beaucoup de lecteurs de notre Lettre à ne pas avoir pu participer à cette journée particulièrement intéressante. Aussi, à titre tout à fait exceptionnel, mon édito est remplacé, cette semaine, par l'intervention que j'ai faite en introduction de ce colloque. Bien cordialement. René TREGOUET

Mesdames, Messieurs,

Après avoir voulu imaginer, dans nos précédents colloques, ce que pourrait être l'automobile dans 25 ans, et ce que serait le réchauffement climatique dû à l'effet de serre au cours du 21e siècle, si l'Homme ne devenait pas plus raisonnable, le Groupe de Prospective du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, a tenu à réunir, aujourd'hui, les meilleurs spécialistes français, mais aussi les chercheurs mondiaux les plus compétents, pour nous parler du rôle du robot dans la société de demain. N'en doutons pas, le robot va jouer un rôle fondamental sur le destin de l'Homme, dans ces prochaines décennies. Pour être exact, je devrais déjà parler au présent. En effet, sans que nous en ayons bien conscience, des systèmes complexes sont déjà totalement gérés par des robots. Ainsi, quand des avions décollent de Roissy pour aller se poser à New-York, des robots assurent automatiquement l'essentiel des procédures tout au long du vol. Il en est de même des centrales nucléaires, mais aussi des réseaux de télécommunications de plus en plus complexes. Pour être exhaustif, il me faudrait aussi citer des milliers d'exemples, qui souvent se situent dans notre environnement familier, sans que nous en ayons conscience. Depuis l'Antiquité, l'Homme a imaginé des automates qui atteignirent parfois un haut niveau de raffinement. Dès le premier siècle de notre ère, Heron d'Alexandrie inventa un distributeur de vin doté de capacité de régulation. Chacun se souvient des travaux d'Albert le Grand et de Léonard de Vinci. Blaise Pascal fit faire un bond extraordinaire au calcul en imaginant la première machine à calculer. Mais ce fut sans doute Vaucanson qui, en 1738, frappa les esprits en concevant son canard mécanique et en concrétisant le premier, ce qui fit l'obsession des savants pendant des siècles, de la conception des automates à apparence humaine ou animale. Il est indéniable que l'histoire se soit accélérée depuis quelques courtes décennies. Quand en 1971, Intel commercialisa son premier micro processeur accessible à Monsieur Tout Le Monde, le coeur de ce computer ne battait que 104 000 fois par seconde. Aujourd'hui, le micro-ordinateur, que peut acheter ce même Monsieur Tout Le Monde ou son fils, a un coeur qui bat à un rythme qui dépasse les 2 milliards de pulsations par seconde. Ainsi, en 30 ans exactement, la capacité de calcul de nos machines a été multipliée par 20.000. Quand on sait que la capacité de mémoire de nos ordinateurs a cru à une vitesse comparable, et que cette croissance se poursuivra encore de nombreuses années, en respectant toujours la célèbre Loi de Moore qui veut que les capacités de nos machines voient leurs performances doubler tous les 18 mois, nous prenons conscience de l'importance que pourraient prendre les robots, si ceux-ci n'avaient comme finalité que de calculer et de mémoriser. Certes, cette puissance de calcul est fondamentale, mais les spécialistes particulièrement éminents qui s'adresseront à vous aujourd'hui vous diront beaucoup mieux que moi, que la finalité d'un robot n'est pas uniquement d épuiser successivement tous les états possibles des arbres mathématiques disposés en forêts d'algorithmes. Mais, si nous voulons que le robot change réellement notre destin, il ne faut pas qu'il en reste, un peu comme l'Homme de Cro-Magnon, au niveau de la force brutale que lui confèrent sa puissance et sa vitesse de calcul. Tout ne peut pas se résoudre en équations. Le cerveau humain a des capacités d'associations instantanées, qui lui permettent d'apporter des réponses pertinentes à des situations les plus complexes. Nous disons des êtres humains, que les plus doués sont ceux qui apportent les justes réponses dans les temps les plus courts, en disposant d'un minimum d'éléments. C'est là que se trouve l'un des défis essentiels que doivent affronter les concepteurs des robots de demain. Nous écouterons avec attention, dans cette journée, plusieurs intervenants qui nous parleront, comme Darwin le fit en son temps pour les êtres vivants, de la capacité qu'ont maintenant les robots d'évoluer seuls, sans intervention humaine, en ne sélectionnant dans leurs génotypes que ceux qui sont les meilleurs et en éliminant automatiquement ceux qui sont les plus mauvais. Certains, ou du moins l'un d'entre eux, Monsieur Hugo de Garis, ira même plus loin, en nous affirmant que les cyberborgs puisque c'est ainsi qu'il appelle ces robots du futur, seront capables de battre l'Homme, et donc de le dominer dans les 50 ans qui viennent en acquérant de la conscience. Bien entendu, nous lui laissons la responsabilité de son affirmation, mais le poil à gratter qu'il apportera dans le débat incitera certainement les autres intervenants à lui répondre. Mais il ne faut surtout pas fausser le débat par un problème de sémantique. Si nous donnons au mot conscience son sens réaliste qui veut que la conscience soit le sentiment intime d'un fait ou la connaissance des choses extérieurs (dans ce cas nous disons avoir conscience du danger, du risque), il ne fait pas de doute que le robot acquerra un certain niveau de conscience, quand à sa puissance de calcul et à sa mémoire s'ajouteront les cinq sens, la vue, l'ouie, le toucher, le goût et l'odorat qui permettent à nos propres cerveaux de communiquer avec l'extérieur. Mais si nous donnons à ce mot de conscience son sens philosophique qui nous permet de différencier le bien et le mal en portant un jugement de valeur sur chacun de nos actes, tout laisse à penser, en cette année 2001, malgré l'obsédante conduite du robot Hal dans l'Odyssée de l'Espace, que tout le 21e siècle ne sera pas suffisant pour qu'une machine acquière une telle conscience. Par ailleurs, je voudrais soumettre aux éminents spécialistes ici présents un problème qui me préoccupe depuis plusieurs années et que j'ai essayé d'exposer dans un de mes éditos hebdomadaires, il y a plus de deux ans déjà et que j'avais intitulé « Les mondes virtuels : la drogue du 21e siècle ». Je suis convaincu que les outils de simulation vont atteindre un tel niveau de réalisme dès ces prochaines années qu'ils sauront, en utilisant nos cinq sens, tromper nos cerveaux avec ces mondes virtuels aussi vraisemblables que les mondes réels. Ma crainte est de voir les êtres les plus faibles se réfugier dans ces royaumes virtuels où ils se feront roi et ne plus vouloir revenir dans notre monde réel de plus en plus brutal et égoïste, où ils ne seraient que de pauvres ères. Nous avons l'obligation de réfléchir à une telle possibilité de dérive car elle pourrait être un terrible asservissement pour la race humaine. Cette crainte devient d'autant plus vive quand nous voyons le leader mondial du logiciel, Microsoft, quitter pour la première fois le domaine du software où il a acquis une position dominante incontestable pour aller vers le hardware. Or, dans quel domaine cet acteur majeur a-t-il décidé de s'impliquer avec force : celui de la console de jeux s'appuyant sur des processeurs particulièrement rapides permettant de créer des scènes hyper réalistes. En créant ainsi des situations virtuelles obsédantes, ce grand leader mondial n'aurait-il pas l'intention de capter très tôt les jeunes cerveaux de nos enfants pour les rendre dépendants toute leur vie durant ? C'est une question que nous devons nous poser en cette journée où, finalement, nous allons principalement traiter des relations de plus en plus intimes qui vont se développer entre notre cerveau et la machine. Avant de laisser la parole aux experts, permettez-moi de m'adresser aux personnes présentes dans cette salle et qui, comme de nombreux habitants de notre Terre, ont parfois peur de l'avenir quand on leur laisse croire que, demain, leur destin pourrait leur échapper pour être de plus en plus confié à des machines. Il est tout à fait vrai que les tâches répétitives, fatigantes, prévisibles seront de plus en plus remplies par des robots. Mais par contre, je porte en moi la profonde conviction et cela sera repris, j'en suis convaincu, par de nombreux intervenants tout au long de la journée qu'au milieu de tout cela, il n'y a qu'une chose qui vaille : C'est l'Homme. Il y a des territoires entiers qui sont ceux de l'imagination, de la création artistique, du rêve et pourquoi ne pas parler de la Foi, qui longtemps encore resteront du strict domaine de l'Homme. Si un expert ose dire dans cette journée que la machine pourra bientôt se substituer à un Michel Ange, à un Einstein, à un Mozart, à un Shakespeare, à un Goethe ou un Chateaubriand, je me permettrai respectueusement de lui dire qu'il n'a pas le droit de tutoyer Dieu. Prométhée avait la prétention de le faire en dérobant le feu aux dieux, et en façonnant lui même l'Homme avec de l'argile et en l'animant avec ce feu. On sait ce qui arriva à Prométhée... Le Président du Groupe de Prospective du Sénat, mais aussi tous les experts que nous entendrons tout au long de cette journée, n'ont pas l'intention, j'en suis convaincu, d'être enchaînés par Zeus au sommet du Caucase pour avoir ainsi défié les Dieux. Mesdames et Messieurs, Merci pour votre attention. Je vous souhaite à tous une très belle et passionnante journée.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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