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Edito : si l'Humanité veut survivre, elle doit se réconcilier avec la nature

Alors que la Terre connaît sa sixième grande crise d'extinction depuis l'apparition de la vie, la conférence internationale sur la "Biodiversité, science et gouvernance" s'est déroulée toute cette semaine au siège de l'Unesco, à Paris. La tenue de cette conférence avait été proposée par Jacques Chirac au sommet du G8 à Evian, en juin 2003. Au cours de cette réunion, 1.200 chercheurs, responsables politiques et écologistes venus d'une trentaine de pays ont débattu sur notre patrimoine naturel et ont réfléchi aux manières de le préserver. Le directeur général du Programme des nations unies pour l'environnement, Klaus Toepfer, a tout d'abord tiré les leçons écologiques du tsunami qui a dévasté l'Asie. "Les mangroves, les récifs coralliens peuvent jouer un rôle tampon contre les catastrophes naturelles", a-t-il indiqué. "Les premiers rapports indiquent que les zones qui avaient gardé des écosystèmes en bonne santé, comme les forêts de mangroves, ont mieux résisté que celles qui avaient des forêts dégradées", a renchéri Hamdallah Zedan, secrétaire exécutif de la Convention sur la biodiversité biologique. "C'est une crise sans précédent depuis l'extinction des dinosaures", a rappelé Klaus Toepfer. "Il est grand temps de nous interroger sur les moyens de stopper cette disparition de la diversité des espèces. Nos enfants, nos petits-enfants demanderont pourquoi nous avons laissé se développer cette déperdition du vivant". "45 % de nos forêts originelles ont déjà disparu, 10 % des coraux, et le reste est gravement menacé", a indiqué M. Zedan.

Des milliers d'espèces disparaissent chaque jour avant d'avoir été décrites, alors qu'elles auraient pu rendre service à l'humanité, selon les scientifiques. Le développement des activités humaines se traduit par une altération accélérée de la nature. Selon une étude récente qui vient d'être publiée par la revue " Nature", et a fait grand bruit, d'ici à moins d'un demi-siècle, 15 % à 37 % des espèces - animales et végétales - pourraient avoir disparu de la surface de la Terre. La "liste rouge" de l'Union mondiale pour la nature (UICN) dénombre pour sa part au moins 15.589 espèces confrontées à un risque d'extinction, soit un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit, un amphibien sur trois. "Cette biodiversité est le produit de plus de 3 milliards d'années d'évolution", a plaidé Michel Loreau, président du Comité scientifique de la conférence. L'homme altère son environnement "à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine", a expliqué M. Loreau. Il a rappelé que "Les espèces s'éteignent dans le monde à un rythme 100 fois supérieur au taux moyen observé dans l'histoire de la Terre (une par million et par an) et des dizaines de milliers d'espèces sont condamnées à une extinction future, à cause de la destruction récente de leurs habitats".

Le "père" de la notion de biodiversité, l'Américain Edward Wilson, a ensuite défini "trois niveaux" : "les écosystèmes, comme les forêts ou les lacs, les espèces telles que l'ours brun, et enfin la variété des gènes qui déterminent les traits de ces espèces". "La Terre est une planète bien mal connue", a-t-il rappelé. L'homme n'a décrit que 1,8 million d'espèces, sur les 10 à 30 millions qui existeraient. "L'homme, qui a été capable de s'embarquer pour l'espace, peut certainement sauver cette magnifique planète", a estimé M. Wilson. Avec les moyens modernes comme la photo numérique, dresser un inventaire de la biodiversité ne coûterait pas plus, en 25 ans, que le projet de décryptage du génome humain, soit 3 milliards de dollars, a-t-il estimé. Mais la Convention sur la biodiversité, signée en 1992, n'impose pas de cadre contraignant et cette conférence de Paris, organisée en dehors du cadre officiel de négociation des Nations-Unies, ne peut rien adopter formellement. Les chefs d'Etats se sont certes engagés en 2002, au sommet de la Terre de Johannesburg, à réduire la perte de biodiversité d'ici à 2010, mais il s'agit d'un objectif jugé à la fois trop vague et irréaliste par les scientifiques.

Inaugurant cette conférence, Jacques Chirac a, pour sa part, tiré lundi la sonnette d'alarme sur la disparition accélérée des espèces. Il a appelé la communauté internationale à créer "un groupe international sur l'évolution de la biodiversité", à l'image de ce qui existe sur le climat. Double objectif : permettre aux scientifiques d'avoir une meilleure connaissance de ce phénomène mais aussi d'alerter les dirigeants politiques et l'opinion. "Sur tous les continents et dans tous les océans s'allument des signaux d'alerte", a lancé le président de la République, en citant "la destruction des forêts primaires tropicales", "la mort lente des récifs coralliens" ou "l'effondrement des populations de grands mammifères sauvages". "La destruction de ce patrimoine, légué par des millénaires d'évolution est une terrible perte et une grave menace pour l'avenir", a-t-il souligné. Evoquant "une responsabilité sans précédent qui engage notre destin à tous", le chef de l'Etat a incité "chaque pays à prendre des mesures concrètes. Au premier rang, ceux qui abritent une biodiversité exceptionnelle. Comme la France qui s'y engage résolument".

Il est vrai que notre pays, avec ses territoires d'outre-mer, abrite 10 % des récifs coralliens mondiaux, 20 % des atolls et plus de 7 millions de km2 de forêt amazonienne en Guyane. Dès cette année, a assuré Jacques Chirac, "l'Etat n'utilisera, pour ses grands travaux immobiliers, que du bois éco-certifié", une mesure étendue d'ici à 2010 à tous les achats publics. Egalement annoncée : "la création d'ici à 2006" des parcs nationaux de la Réunion et de Guyane qui sont depuis des années en gestation, celle de nouveaux parcs naturels marins, "par exemple en mer d'Iroise", ainsi que de réserves naturelles dans les Terres australes et antarctiques françaises. En Nouvelle-Calédonie, la France "renforcera aussi la protection et la gestion de la barrière de corail, en vue de son classement au patrimoine mondial de l'Unesco", a-t-il dit. Le chef de l'Etat s'est également engagé à ce que la France complète "d'ici la fin 2006 le réseau de ses sites Natura 2000". "Grâce à cet ensemble de mesures, la France entend tenir l'engagement européen d'enrayer l'érosion de sa biodiversité d'ici 2010", a-t-il affirmé.

Mais alors que s'ouvrait cette conférence sur la biodiversité, l'institut britannique de recherche sur les politiques publiques publiait son dernier rapport, intitulé "Relever le défi du climat" et destiné aux dirigeants du monde entier. Ce rapport dont la rigueur scientifique est incontestable, est très alarmiste et ses conclusions sont implacables : le point de non-retour dans le réchauffement de la planète, produisant des sécheresses, des mauvaises récoltes et des pénuries d'eau, pourrait être atteint beaucoup plus tôt que prévu, à l'horizon de dix ans, prévient en effet ce rapport. (voir article dans notre rubrique "Sciences de la Terre&Environnement). Ce point est fixé à 2 degrés au-dessus de la température moyenne de la planète en 1750, soit avant la révolution industrielle. La température moyenne mondiale a augmenté de 0,8 degrés depuis cette date.

Si nous franchissons cette limite des deux degrés, les conséquences seront des sécheresses majeures, des pénuries d'eau, la disparition de forêts, des difficultés dans l'agriculture, une montée du niveau des mers et une recrudescence de multiples maladies. "Il y a une bombe à retardement écologique devant nous", souligne Stephen Byers, ancien ministre des Transports, qui a co-présidé le groupe chargé de rédiger ce rapport avec la sénatrice républicaine américaine Olympia Snowe. Ce rapport appelle notamment les pays du G8 à se mettre d'accord pour qu'un quart de leur électricité provienne de sources d'énergies renouvelables d'ici 2025. Toutes ces récentes études scientifiques nous montrent que ces différents problèmes, biodiversité, réchauffement climatique, prévention des catastrophes naturelles, sont intimement liés et doivent être pensés et traités globalement.

Par ailleurs, comme je l'écris depuis maintenant plusieurs années, il est à présent urgent de mettre sur pied un véritable système de gouvernance mondiale dotés de moyens politiques, juridiques et économiques contraignants et suffisamment puissants pour pouvoir mettre en oeuvre sans tarder les mesures drastiques qui vont devoir être prises au niveau planétaire pour tenter, s'il est encore temps, d'éviter une catastrophe écologique d'une ampleur sans précédent et dont nous ne pouvons même pas imaginer toutes les conséquences dévastatrices. Il est notamment urgent de mettre en place, comme le propose Wilson, un groupe d'expertise intergouvernemental capable de fournir une information incontestable et d'aiguillonner les Etats. A cet égard, il faut s'inspirer des travaux du groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat qui ont permis de parvenir à un consensus scientifique sur la réalité et la portée du réchauffement climatique.

Grisée par deux siècles d'extraordinaires progrès scientifiques et techniques, l'humanité est en train de réaliser avec stupeur que, si elle a besoin de la nature, celle-ci n'a pas besoin de nous et pourrait à brève échéance nous rendre la vie insupportable si nous ne modifions pas radicalement l'organisation et le fonctionnement de notre civilisation techno-industrielle. Cette nécessaire mais douloureuse réconciliation avec la nature ne sera pas seulement politique, économique et scientifique, mais aussi métaphysique et éthique. Depuis près de quatre siècles, dans notre civilisation occidentale, l'homme s'est conçu comme extérieur et étranger à la nature. Il a dès lors considéré qu'il n'avait vis à vis de la nature que des droits et aucun devoir, ni aucune responsabilité, et qu'il pouvait exploiter et détruire son environnement pour son seul profit.

Le temps est venu, pour assurer notre survie, de passer avec la nature un nouveau contrat universel et de considérer qu'il s'agit de notre bien commun le plus précieux. La protection et la valorisation de l'environnement doivent devenir les principaux moteurs du progrès économique et scientifique et notre société de l'information doit mettre toute la puissance de son intelligence collective au service de la planète, enfin conçue comme une entité unique et vivante dont l'homme fait à jamais partie.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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