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Edito : Santé : il faut réévaluer l’impact de la pollution de l’air

L’événement est passé un peu inaperçu mais il revêt pourtant une importance capitale sur le plan scientifique et médical : le 17 octobre dernier, le Centre International de Recherche contre le Cancer de Lyon a reconnu officiellement, au nom de l’OMS, que l'exposition à la pollution de l'air extérieur pouvait provoquer certains cancers, parmi lesquels le cancer du poumon et le cancer de la vessie. Selon le CIRC, en 2010, au moins 223 000 personnes dans le monde sont mortes d'un cancer du poumon en lien avec la pollution de l'air (dont 16 000 en France).

En juin 2012, le CIRC avait déjà classé comme cancérogènes avérés les particules fines émises par les moteurs diesel et avait montré qu’une exposition régulière à ces particules fines triplait le risque de cancer du poumon.

Au niveau mondial, on estime selon une étude très sérieuse publiée dans la lettre de la recherche sur l’environnement en juillet 2013(voir Phys) que le nombre total de décès provoqués par la pollution de l’air dans le monde serait d’environ 2,6 millions par an (2,1 millions de morts provoquées par les particules fines et 500 000 morts provoquées par l’augmentation de la concentration d’ozone).

L’un des auteurs de ce rapport, le professeur Jason West, de l’Université de Caroline du Nord, souligne que la pollution de l’air est à présent devenue l’un des principaux risques au niveau mondial en matière de santé publique.

Cette situation alarmante a été confirmée par une autre étude publiée dans la célèbre revue « Lancet », fin 2012 (Voir The Lancet). Selon ce travail, la pollution de l’air serait aujourd’hui responsable du décès de 3,2 millions de personnes par an dans le monde, contre seulement 800 000 en l’an 2000, soit une mortalité presque multipliée par trois en 12 ans !

La plupart des études épidémiologiques internationales s’accordent à présent sur le fait que la seule pollution de l’air extérieur (c’est-à-dire sans tenir compte des effets de la pollution intérieure beaucoup plus difficile à évaluer) serait à présent devenue la cinquième cause intrinsèque de mortalité dans le monde, derrière les maladies cardio-vasculaires (17 millions de décès par an ), le cancer (15 millions de décès par an), la sous-alimentation (6 millions de décès par an) et le diabète (4 millions de décès par an).

En Europe, la situation n’est guère plus réjouissante et 22 pays, dont la France, ne respectent pas les normes européennes. Si depuis dix ans, les émissions de dioxyde de soufre responsables des pluies acides ont été réduites de moitié et les émissions de monoxyde ont été réduites d'un tiers, les émissions de particules fines restent à un niveau bien trop élevé, non seulement à cause de la part du diesel dans notre parc automobile mais également à cause du développement du chauffage au bois. En outre, selon une étude de l'Agence européenne pour l'environnement, 90 % des urbains européens sont soumis à une pollution aux particules et à l'azote à des niveaux nocifs pour la santé.

Les recherches et études scientifiques s’accumulent depuis quelques années pour montrer à quel point la pollution globale de l’air a des conséquences nocives voire dramatiques pour notre santé. Il y a un mois, une étude publiée dans The Lancet Respiratory Medicine a montré qu'une exposition aux particules très fines lors de la grossesse, même à un très faible niveau de concentration, augmente les risques de mettre au monde des enfants de faible poids présentant des problèmes respiratoires.

Une autre étude de l’Agence européenne de l'environnement montre que les émissions de particules, PM10 (dont le diamètre est inférieur à 10 microns) et PM 2,5, ont diminué respectivement de 14 et 16 % dans l'Union européenne entre 2002 et 2011. Mais en 2011, un tiers des citadins de l’Union européenne vivaient dans des zones où les concentrations maximum autorisées de PM10 sur 24 heures ont été dépassées. En outre, 98 % des populations urbaines étaient exposées en 2011 à des concentrations d'ozone supérieures aux recommandations de l'OMS.

Une étude réalisée par l’équipe du Professeur George Knox de l’Université de Birmingham a montré par ailleurs que le monoxyde de carbone et le butadiène-1,3, issus des gaz d’échappement, en particulier des moteurs diesel, étaient des substances particulièrement nocives pour la santé. Ces recherches, réalisées à partir de l’analyse minutieuse du dossier de 12 000 patients pendant plusieurs décennies ont notamment montré pour la première fois que les enfants vivant à moins de 500 mètres d’une gare routière ou d’une grande voie de circulation voyaient leurs risques de développer un cancer multiplié par 12 !

Selon cette étude, plusieurs substances chimiques polluantes augmenteraient très sensiblement le risque de cancer en cas d’exposition prolongée. Il s’agit notamment du monoxyde de carbone, de l’oxyde d’azote, du butadiène-1,3, du benzène, des dioxines, du benzopyrène et des composés organiques volatiles.

En France, les effets globaux de la pollution de l’air sur la santé ont été également très longtemps négligés et sous-estimés à la fois à cause du poids des groupes de pression et des intérêts économiques mais également par manque d’études scientifiques et épidémiologiques rigoureuses.

Pourtant, une étude réalisée dans quatre villes françaises (Nancy, Lille, Lyon et Paris) et portant sur 280 cas de leucémie aiguë d’enfants, a montré que le fait d’habiter à proximité d’un garage ou d’une station-service peut multiplier par quatre le risque de leucémie infantile. Selon ce travail réalisé par l’Inserm, ce risque augmente en fonction de la durée d’exposition.

Paradoxalement, les différents indicateurs fiables dont nous disposons concordent pour nous indiquer que les émissions de particules fines ont été réduites dans notre Pays grâce à des normes plus strictes : elles sont ainsi passées de 350 000 tonnes en 2000 à 250 000 en 2011.

Mais cette diminution des émissions de particules fines ne s’est pas traduite par une diminution corrélative du niveau de concentrations de ce type de particules. C’est même le contraire qui est observé depuis 5 ans puisqu'on constate une hausse moyenne de 30 % de la concentration des particules fines dans l’air des grandes agglomérations françaises (en  région parisienne, la concentration moyenne de PM10 est ainsi passée de 21 à 27 microgrammes par m3 depuis 2007).

Une étude réalisée sous l'égide de la Commission européenne en 2005 (Voir CAFE CBA) et qui constitue toujours aujourd’hui une référence épidémiologique, a estimé à 42 000 par an le nombre de décès prématurés provoqués en France par les différentes formes de pollution de l’air et notamment les particules d’une taille inférieure à 10 µm.

Si l’on extrapole les résultats d’une autre étude européenne plus récente, baptisée Aphekom et portant sur 25 villes de l’Union européenne dont neuf villes françaises, le nombre de décès provoqués par la pollution de l’air serait au moins de 15 000 par an, quatre fois plus que le nombre de morts dans les accidents de la circulation.

Cette étude précise que près de 3 000 décès prématurés par an pourraient sans doute être évités en France si notre Pays parvenait à réduire le niveau de concentration moyenne des particules fines et à respecter les recommandations émises par l’OMS (10 µg/m3).

En Asie et particulièrement en Chine, où le charbon est roi et représente 70 % du mix énergétique, l’impact des différentes formes de pollutions atmosphériques liées à l’industrie, au chauffage domestique et aux transports est devenu très alarmant et constitue à présent un problème majeur de santé publique pour cet immense pays qui connaît un essor économique sans précédent.

Il y a quelques jours, des médecins chinois ont diagnostiqué un cancer du poumon chez une fillette âgée de seulement 8 ans habitant près d'un axe routier de la province du Jiangsu, au sud de la Chine. Selon le Professeur Jie Fengdong, cancérologue réputé à Nankin, il ne fait aucun doute que ce cancer très inhabituel chez un enfant, est directement lié à une exposition intense et prolongée aux particules fines et autres polluants chimiques résultant du trafic routier très important sur cette voie de communication.

La pollution atmosphérique provoquerait, selon les autorités chinoises elles-mêmes, au moins 750 000 morts par an en Chine et depuis 30 ans le nombre de décès dus à des cancers du poumon a été multiplié par plus de quatre dans le pays, selon les autorités sanitaires. Il est vrai que dans la plupart des grandes mégapoles chinoises, la densité des particules les plus fines est souvent jusqu’à 40 fois plus élevée que le seuil-limite recommandé par l'Organisation mondiale de la santé.

Contrairement à beaucoup d’idées reçues, les émissions de particules fines qui constituent le « noyau dur » de la pollution atmosphérique proviennent principalement (pour environ un tiers) du chauffage domestique et urbain, de l’industrie (pour environ 30 %) et de l’agriculture (pour environ 20 %). Les transports, souvent montrés du doigt et tenu pour principaux responsables de cette pollution de l’air n’arrivent qu’en dernière position de ce sinistre classement, même si ce facteur reste prépondérant en milieu urbain.

Cette situation n’est pas étonnante quand on sait que 80 % de la production totale de l’énergie consommée dans le monde (environ 12,5 gigateps) est toujours assurée à l’aide des sources d’énergies fossiles, principalement le pétrole, le gaz naturel et le charbon. Mais ce qu’on sait moins, c’est que la consommation mondiale de charbon est en train d’exploser au niveau mondial : elle a augmenté de plus de 40 % au cours des 10 dernières années et dépassera en 2020 la consommation de pétrole devenant ainsi la première source d’énergie consommée dans le monde avec 4,5 gigatonnes d’équivalent pétrole par an. Le charbon assure en outre 40 % de la production mondiale d’électricité et cette part, loin de régresser, pourrait atteindre, en dépit du développement des énergies renouvelables, 44 % en 2030.

Il faut également rappeler que cette pollution atmosphérique, largement liée à l’utilisation des énergies fossiles dans l’industrie, les transports et le chauffage n’augmente pas seulement les risques en matière de cancer mais constitue également un facteur de risque important en matière cardio-vasculaire. À cet égard, une récente étude italienne publiée en octobre 2012 et réalisée par des chercheurs de l’Université de Brescia, dirigés par Savina Nodari, est édifiante. Cette étude montre en effet qu’il existe une corrélation très nette entre le nombre d’hospitalisations pour des problèmes cardiaques et l’élévation du niveau de concentration des particules fines dans l’air.

Au terme de leur recherche, les scientifiques italiens ont notamment constaté qu’à chaque fois que le niveau de concentration des particules fines augmentait de 10 µg/m3 par jour, on enregistrait une hausse mécanique de 3 % des admissions à l’hôpital pour des problèmes cardio-vasculaires.

Cette étude confirme donc pleinement les liens de causalité entre la pollution de l’air et le risque cardio-vasculaire. Elle souligne également qu’il serait souhaitable de baisser de 50 à 30 µg/m3, l’actuel seuil limite réglementaire en vigueur pour la concentration dans l’ère de particules fines.

En juin 2010, une autre étude également très sérieuse réalisée par l’Association américaine de cardiologie avait également montré l’impact considérable est très largement sous-estimé de la pollution atmosphérique en matière cardio-vasculaire (Voir NCBI). Selon ce travail, l’exposition prolongée à la pollution de l’air réduirait non seulement l’espérance de vie de plusieurs années mais provoquerait également plus de décès par maladies cardio-vasculaires que par maladies respiratoires !

De manière encore plus inquiétante, une étude réalisée en 2007 par l’Inserm sous la direction de Pierre Boutouyrie a montré pour la première fois que l’exposition prolongée à la pollution atmosphérique altérait intrinsèquement la structure et la capacité de dilatation des artères et des vaisseaux sanguins et augmentait sensiblement le risque d’athérosclérose même chez les sujets jeunes, en bonne santé et ne fumant pas.

Enfin il semble également que la pollution de l’air ait un impact nocif sur le fonctionnement de notre cerveau, comme le montre une étude américaine publiée en février 2012 et réalisée à partir de l’étude des dossiers médicaux de 1700 patients à Boston (Voir JAMA Internal Medicine).

Cette étude montre notamment que plus le niveau d’exposition aux particules fines est élevé, plus le risque de déclin cognitif des personnes exposées augmente. Les scientifiques ont même mesuré que chaque nouvelle augmentation du niveau de pollution de 10-?g/m3 correspond à un vieillissement cérébral supplémentaire de deux ans, par rapport aux personnes vivant dans un environnement moins pollué.

Ce travail a également montré qu’une exposition de seulement 24 heures à un niveau de particules fines considérées comme moyen (entre 15 et 40 µg/m3), augmente de 34 % le risque d’accident vasculaire cérébral par rapport à une pollution d’un niveau inférieur à 15 µg/m3. Ces recherches ont de quoi faire réfléchir quand on sait que la plupart des citadins habitant les grandes agglomérations françaises sont exposés à des niveaux de concentration moyens de particules fines qui sont de l’ordre de 30 µg/m3.

Face à cette situation et connaissant à présent beaucoup mieux les nombreux effets nocifs pour la santé de la pollution de l’air - effets largement sous-estimés depuis plus de 50 ans - que pouvons-nous faire concrètement pour relever ce défi majeur de santé publique ?

Comme toujours, face à un problème complexe comme celui la pollution de l’air il n’y a pas de solution miracle ni de panacée mais cela n’empêche nullement de décider de prendre un ensemble de mesures courageuses et cohérentes.

Sans rentrer dans des détails très techniques, au moins trois leviers doivent être actionnés simultanément pour s’attaquer véritablement à ce fléau que constitue la pollution de l’air. Le premier levier concerne évidemment l’amélioration technique des véhicules et l’adoption de normes d’émissions polluantes plus contraignantes.

Dans ce domaine, l’Union européenne joue un rôle actif et les véhicules qui roulent aujourd’hui sont en moyenne deux fois moins polluants que ceux qui circulaient il y a 30 ans. Ce qu’on oublie toutefois de dire, c’est que ce bénéfice pour la santé a été en grande partie annulé par la forte augmentation du parc d’automobiles et de poids-lourds au cours de la même période !

Face à cette réalité, il faut donc aller plus loin et accélérer en milieu urbain la transition vers l’usage de véhicules non polluants. C’est là qu’intervient le deuxième levier d’action qui consiste à la fois à avoir le courage politique de limiter plus strictement l’usage des véhicules dans les villes et à donner la priorité à l’utilisation de véhicules non thermiques.

Enfin, le troisième levier est celui qui relève de nos choix individuels et doit nous inciter à modifier le mode de déplacement et à privilégier les moyens de transport non polluants, incluant non seulement les transports en commun mais également la marche et le vélo électrique, sans négliger les incitations qui doivent être développées pour favoriser l’utilisation de véhicules n’utilisant pas de moteurs thermiques (électricité, pile à combustible, hydrogène, gaz comprimé, etc.)

Nous ne pouvons plus continuer à accepter, dans une espèce de fatalisme résigné et d’immobilisme généralisé, que des dizaines de milliers de personnes décèdent prématurément chaque année à cause de la pollution de l’air. Face à ce défi de société, chacun doit prendre ses responsabilités, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités locales et des entreprises mais aussi de chacun d’entre nous en tant que citoyen et consommateur.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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