RTFlash

Edito : Sachons sortir de nos égoïsmes

Le procès qui s'est ouvert ces jours derniers à Pretoria entre le Gouvernement sud-africain et les principaux laboratoires pharmaceutiques mondiaux devrait beaucoup plus retenir notre attention que le développement de la fièvre aphteuse dans le cheptel français. D'un côté, il en va du sort, de la mort devrais-je dire, de dizaines de millions d'êtres humains qui seront inexorablement emportés par le Sida si rien n'est rapidement entrepris, alors que dans notre France douillette nous sommes submergés à la télévision et à la radio depuis bientôt une quinzaine de jours par l'éventuelle diffusion d'une épizootie qui, par définition, ne peut toucher que les animaux et dont on sait pertinemment, heureusement, qu'elle ne provoquera pas directement la mort d'un seul être humain. Je dis bien « directement » car si au nom du principe de précaution que le politique pratique dans un tel contexte avec un certain manque de discernement, cette épidémie de fièvre aphteuse (dont aucun foyer n'a encore été constaté à ce jour en France) pourrait provoquer des morts par suicide chez les agriculteurs tant la désespérance est grande chez eux quand ils voient des bêtes brûlées par milliers sur des bûchers, et qu'ils assistent après l'ESB à une démolition en règle du socle sur lequel s'appuie toute leur vie. Mais pourquoi diable, dans nos démocraties, les responsables des nations nanties du Monde n'appliquent-ils pas, avec la même ardeur, le principe de précaution à l'ensemble de l'Humanité ? S'il en était ainsi, les dirigeants des pays les plus développés prêteraient certainement une plus grande attention à ce qui se passe actuellement dans les pays les plus pauvres de notre planète. Revenons à Pretoria. Là-bas s'est engagé depuis 1997, sur l'initiative du Président Mandela, un bras de fer entre le Gouvernement sud-africain et les plus grands laboratoires pharmaceutiques. Ceux-ci commercialisent dans les pays développés pour un coût annuel de 70 000 Francs (pour la seule fourniture de la trithérapie) de quoi « endormir » le Sida chez les malades atteints par le terrible rétrovirus. Or, quand on sait que les revenus moyens annuels d'un foyer africain sont inférieurs à 6.000 Francs, on prend conscience que les pays les plus pauvres ne pourraient accéder à ces médicaments qui seuls peuvent les sauver, s'ils devaient payer les mêmes sommes qu'un européen ou un américain pour accéder à la trithérapie. En Afrique du Sud, une personne sur cinq vit avec le virus du Sida et 10 % de la population, soit 4,2 millions de personnes, sont séropositives. Imaginons qu'il y ait en France quelque 6 millions de personnes atteintes du Sida. Avons-nous encore la capacité d'imaginer l'angoisse indicible qui aurait saisi notre Pays ? Et pourtant c'est bien la situation dans laquelle se trouve non seulement l'Afrique du Sud mais l'ensemble du continent noir pour lequel les experts nous avertissent que nous pourrions constater plus de 100 millions de morts par le Sida si rien n'était fait. Ainsi, par exemple, par le seul développement de cette effroyable maladie, la moyenne de la durée de vie d'un être humain dans certains pays d'Afrique noire a baissé de 7 ans pour revenir en dessous de 30 ans alors que nous, dans notre monde qui devient de plus en plus irréel tant il se complait à ignorer la situation réelle de la planète sur laquelle nous vivons, nous sommes heureux de constater que nous gagnons un trimestre de vie en plus chaque année...Pour réagir devant une telle situation, des pays comme l'Inde, le Brésil ou l'Afrique du Sud, souvent aidés par des ONG, dont certaines sont d'origine française comme MSF, ce qui nous fait honneur, ont décidé de trouver des voies pour faire en sorte que leurs habitants puissent accéder à la trithérapie à des coûts supportables par leurs populations. C'est ainsi qu'un laboratoire indien s'est engagé à fournir à l'Afrique du Sud pour un coût annuel de 4.000 Francs environ, sous forme de génériques, une trithérapie qui revient à 70.000 Francs dans nos pays nantis. Et c'est là où le bât blesse. Au nom des grands principes qui défendent la propriété intellectuelle, les grands laboratoires pharmaceutiques s'opposent à ce « bradage » de la trithérapie auprès des pays africains. Si la propriété intellectuelle doit être défendue car sans cela il n'y aurait plus de recherche donc plus de création, par contre, quand ce refus des pays riches envers les pays pauvres pourrait être qualifié de non-assistance à peuple en danger, ne serait-il pas urgent que les responsables politiques occidentaux, si promptes à appliquer le principe de précaution, prennent conscience sans retard de la gravité de la situation ? Si rien n'était entrepris, rien n'empêcherait que dans des temps qui maintenant pourraient être courts, les dirigeants des pays les plus avancés et les responsables des grands laboratoires pharmaceutiques soient traînés devant les tribunaux internationaux pour avoir laissé se développer un holocauste contre les pays pauvres (comme le dit Zachie Achmat, président de l'ONG sud-africaine Treatment Action Campaign) alors qu'ils avaient les moyens matériels de l'empêcher s'ils en avaient la volonté. Si à cela nous ajoutons les céréales génétiquement modifiées que nous livrons à ces pays pour qu'ils ne puissent pas les cultiver, le véritable pillage de matière grise que les pays les plus développés opèrent auprès de certains de ces pays pauvres qui se saignent pour former des ingénieurs, des docteurs ou des techniciens et la fracture informationnelle, technologique, sociale, économique et culturelle qui se creuse à une vitesse effrayante entre les pays riches et les pays pauvres, il faut bien que nous ayons conscience que la cause des pays nantis deviendra vite indéfendable devant l'opinion mondiale. Au-delà de la morale, ce problème va prendre d'autant plus d'acuité qu'en terme de nombre d'habitants de notre Terre, comme vient de le confirmer une étude publiée ces jours derniers par l'ONU (voir brève ci-dessous), la population des pays en voie de développement devrait passer de 4,9 milliards en 2000 à 8,2 milliards en 2050 alors que la population des pays les plus développés devrait stagner à 1,2 milliard entre 2000 et 2050. Nous vivons trop dans nos égoïsmes. Nos peuples éblouis par des médias qui ont trop souvent des comportements irresponsables sont frappés de cécité. Il nous faut très vite réagir car le réveil risquerait d'être terrible.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top