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Edito : La révolution de l'hydrogène est en marche !

Au cours des 20 prochaines années, le nombre total de véhicules en circulation dans le monde devrait doubler, passant d’un à deux milliards. On estime que ce parc émet (hors poids-lourds) environ 3,8 milliards de tonnes de CO2 par an, ce qui représente un peu plus de 10 % de l’ensemble des émissions humaines de CO2. Si vous voulons réduire de manière drastique nos émissions de CO2 pour limiter les effets du changement climatique, il est donc indispensable que les émissions globales de gaz à effet de serre issus des transports (principalement terrestres) n’augmentent pas et même régressent, en dépit de la forte progression attendue du parc mondial de voitures et de poids lourds.

Mais une telle quadrature de cercle ne pourra être résolue qu’à condition de « décarboner » massivement ce secteur des transports, ce qui suppose une réduction très importante de l’utilisation des carburants fossiles et leur substitution par de nouveaux vecteurs énergétiques dont le plus important est l’hydrogène.

Il y a plus de vingt ans que le Japon met en œuvre avec intelligence et détermination une stratégie globale et cohérente à long terme pour s'imposer dans le domaine de l'hydrogène appliqué aux transports. En 2011, 13 constructeurs et fournisseurs d’énergie japonais se sont associés pour proposer des véhicules à hydrogène abordables et sûrs. Le Japon veut à présent capitaliser cette avance et mise sur le développement rapide d’un vrai réseau de ravitaillement en hydrogène. Air Liquide a ainsi signé fin 2013 un contrat pour équiper les quatre grandes villes japonaises (Tokyo, Nagoya, Osaka et Fukuoka) d’une centaine de stations de rechargement d’ici la fin de cette année 2015.

Actuellement, le marché de l’hydrogène reste essentiellement lié à l’industrie chimique et pétrolière. Mais cette situation est en train d’évoluer rapidement. La vente de piles à combustible a en effet quadruplé dans le monde, au cours des dix dernières années et, selon une récente étude de Navigant Research, la production d’hydrogène liée aux secteurs de l’énergie et des transports pourrait être multipliée par vingt d’ici 2030, passant de 0,17 milliard de tonne à 3,5 milliards de tonnes. Quant au marché des voitures à hydrogène, il devrait littéralement exploser, passant de 200 millions de dollars en 2015 à 73,8 milliards de dollars en 2030. Le nombre de véhicules à hydrogène en circulation devrait également fortement progresser, pour atteindre environ 2 % du parc mondial en 2030 (40 millions de véhicules) et 10 % de ce parc vers le milieu de ce siècle.

Bien entendu, le rythme de progression du moteur à hydrogène dans les transports sera fortement corrélé à plusieurs facteurs : baisse du coût de production des voitures, développement des infrastructures de distribution d’hydrogène et progrès dans les modes de production propres d’hydrogène notamment.

S’agissant du prix des voitures à hydrogène, Toyota souligne qu’il ne cesse de chuter et qu’il devrait encore tomber, en moyenne, de 50 000 à 20 000 euros d’ici 2020. Par ailleurs, les trois géants nippons de l’automobile, Toyota, Honda et Nissan, se sont alliés, avec le concours actif du gouvernement japonais, pour accélérer l’installation de stations d’hydrogène au Japon.

Le Japon reste incontestablement le leader mondial dans ce domaine des voitures à hydrogène utilisant une pile à combustible. Toyota a ainsi commercialisé, fin 2014, sa première voiture du genre, la « Mirai » (Futur, en japonais), qui se vend si bien que le constructeur nippon a décidé de porter sa production de 700 à 3000 par an en 2017.

La Mirai n’a plus rien d’un prototype fragile et peu fiable : sa pile à combustible de nouvelle génération, alimentée par seulement 5 kg d’hydrogène compressé, permet une autonomie de 500 km pour une puissance de 154 chevaux. Et le plein d’hydrogène se fait aussi vite qu’un plein d’essence : pas plus de trois minutes ! Toyota a apporté un soin tout particulier à la sécurité, élément crucial sur ce type de véhicule. La Mirai est notamment équipée de capteurs très sensibles qui, en cas de fuite d'hydrogène, gaz très volatile, ferment les robinets des réservoirs situés hors de l’habitacle, pour faciliter la dissipation du gaz. En cas d'accident grave, la structure composite plastique-carbone de la Mirai est conçue de manière à pouvoir dissiper l’énergie de l’impact et offre un très haut niveau de protection de la pile à hydrogène.

Pour montrer sa détermination à s’imposer sur ce marché du futur, Toyota a d’ailleurs fait le choix de commercialiser sa « Mirai » simultanément au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Certes, le prix moyen de cette berline à PAC reste très élevée, environ 65 000 euros en Europe, mais Toyota s’est fixé comme nouvel objectif de réduire encore de moitié le prix de ses voitures à hydrogène d’ici cinq ans.

Honda, le principal concurrent de Toyota, a lancé il y a quelques semaines, au Japon, sa première voiture « FCV » (Véhicule à Pile à Combustible). Les performances techniques de ce véhicule de série sont également impressionnantes : la FCV d’Honda embarque une pile à combustible dont le volume a été réduit d’un tiers par rapport à la génération précédente. Elle développe une puissance de plus de 100 kW (136 chevaux) pour une densité de 3,2 kW/litre (114 kW et 3,1 kW/litre pour la Mirai) et afficherait une autonomie record de plus de 700 kilomètres…. L’hydrogène est stocké dans un réservoir à 700 bars et le plein se fait en trois minutes. Le constructeur japonais vient d’annoncer qu’il visait une production en masse des véhicules à hydrogène à partir de 2020.

En Europe, Mercedes croit également au véhicule « tout hydrogène » et s’est allié à Ford et Nissan pour s’imposer sur ce marché prometteur et proposer son premier modèle de série à hydrogène, « à un prix abordable », en 2017.

Reste que la voiture à hydrogène ne décollera vraiment, quelles que soient les avancées techniques, que si le client potentiel a la certitude qu’il ne risque pas la « panne sèche » et qu’il pourra en toutes circonstances se ravitailler facilement. Face à ce défi de taille, les fournisseurs d’hydrogène se mobilisent et tentent de bâtir, à marche forcée, un réseau de distribution d’hydrogène digne de ce nom, en donnant la priorité à trois pays : le Japon, les Etats-Unis et l’Allemagne.

En France, la situation est un peu particulière car notre Pays, pourtant leader mondial dans la production d’hydrogène et de gaz industriels, privilégie plutôt un modèle économique bâti sur le développement, notamment dans les collectivités locales et les administrations, de « flottes captives » de véhicules à PAC.

Il y a quelques jours, dans le cadre du programme HyWay, les 21 premiers Renault Kangoo hybrides comportant des prolongateurs hydrogène ont été livrés en Région Rhône-Alpes-Auvergne à 18 clients. Un premier pas qui permet à Rhône-Alpes de se constituer la plus importante flotte de véhicules hydrogène en Europe. Produits par Symbio FCell (sur la base d'une technologie développée au sein du CEA Grenoble), les prolongateurs d'autonomie intégrant une pile à hydrogène permettent d'offrir une autonomie de 300 km aux Kangoo ZE H2. Pour les recharger, trois stations d'hydrogène ont été installées dans l’agglomération grenobloise et une quatrième est prévue dans quelques mois.

Mais l’essor de ce que je propose d’appeler les STH (Solutions de Transports Hydrogène), ne dépend pas seulement des avancées technologiques intrinsèques mais également du développement rapide des réseaux de distribution et, nous le verrons plus loin, des stratégies industrielles et politiques qui seront mises en œuvre pour organiser une véritable synergie entre les voitures à hydrogène et les véhicules « tout électrique ».

A plus d’un million d’euro la « station-service », le réseau de distribution de l’hydrogène, qui nécessite un très haut niveau de sûreté, ne pourra s’étendre sur toute la planète qu’avec le concours actif des états et des collectivités et dans le cadre de politiques publiques très volontaristes.

L’exemple du Japon est, à cet égard, parlant : le gouvernement nippon subventionne en effet près de la moitié du coût d’installation des stations et participe également aux charges fixes d’exploitation pour réduire la durée d’amortissement des investissements très lourds que nécessite le déploiement de ce réseau. Quant aux grands constructeurs automobiles, ils s’engagent sur un volume d’achat d’hydrogène auprès d’Air Liquide, principal fournisseur d’hydrogène au Japon.

En Allemagne, l’Etat fédéral, les Lander et les industriels se sont associés dans un programme très volontariste de déploiement de stations « grand public », l’objectif affiché étant de passer de 20 à 400 stations d’ici 2023.

Autre inconnue de taille pour le développement de la voiture à hydrogène : avec l’arrivée vers 2020 d’une nouvelle génération de voitures électriques plus performantes, moins chères et surtout disposant d’une autonomie doublée par rapport à aujourd’hui (elle devrait dépasser les 300 km), la voiture à hydrogène ne pourra séduire le consommateur et trouver son marché que si elle bénéficie de ruptures technologiques majeures et qu’elle est en outre activement soutenue par les pouvoirs publics, notamment grâce à des dispositifs fiscaux spécifiques très incitatifs.

Mais certaines avancées technologiques récentes pourraient bien s’avérer décisives dans le basculement vers une véritable « économie de l’hydrogène ». Des chercheurs suisses du Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche (Empa) ont ainsi développé une cellule photoélectrochimique (PEC) particulièrement performante. Celle-ci est composée de sphérules en oxyde de fer et oxyde de tungstène. Elle produit assez d’énergie pour décomposer l'eau en dihydrogène et dioxygène.

En Espagne, une autre équipe de l'Université Jaume I, située à Castellon de la Plana (Communauté de Valence), a développé, dans le cadre du projet européen PHOCS (Photogenerated Hydrogen by Organic Catalytic Systems) un dispositif organique stable pour la production de combustible solaire. Comme le souligne le chercheur Antonio Guerrero, qui dirige ces recherches, « La production de combustibles solaires comme l'hydrogène à partir d'eau et de lumière solaire est une stratégie pouvant contribuer à résoudre le problème énergétique mondial et nous pouvons utiliser des ressources totalement renouvelables, comme la lumière du soleil ou l'eau, pour obtenir de l'hydrogène. Celui-ci serait ensuite transformé en électricité via une cellule photoélectrochimique puis en énergie mécanique, faisant de l'eau l'unique déchet produit lors du processus ».

Une autre équipe de l'EPFL de Lausanne vient de présenter un système de production d'hydrogène, par électrolyse de l'eau, simplifié et adaptable. En apprenant à maîtriser les forces en jeu dans la mécanique des fluides, ces chercheurs ont montré qu'il était possible de se passer de la membrane coûteuse qui sépare les électrodes dans les systèmes actuels.

Grâce à toutes ces avancées scientifiques et techniques, il sera sans doute possible, dans quelques années, de produire à faible coût, à partir d’énergies renouvelables, de grandes quantités d’hydrogène. Dans ce scenario, ce gaz pourrait s’imposer non seulement dans l’automobile mais également dans le transport ferroviaire et aérien. La société canadienne Hydrogenics vient ainsi de conclure un accord avec Alstom pour la construction de trains à hydrogène, autonomes, propres et silencieux (Voir Hydrogenics) qui rouleront dès 2018 dans quatre Länder allemands. En Chine, la ville de Qingdao vient de se doter d’un tramway qui fonctionne grâce à une batterie à hydrogène embarquée. Les trois rames d’un tram peuvent rouler à 100 km/heure et transporter jusqu’à 380 passagers.

Le transport aérien, qui connaît un essor continu et représente déjà 3 % des émissions induites par les activités humaines de gaz à effet de serre, se prépare également à la révolution de l’hydrogène avec un projet remarquable d’avion à hydrogène développé par le chercheur espagnol Oscar Viñals (Voir Science Post).

Baptisé Progress Eagle, ce nouvel avion de ligne géant (près de 100 mètres de long) utiliserait 6 moteurs à hydrogène qui ne rejetteraient que de la vapeur d’eau et seraient trois fois plus silencieux que les meilleurs moteurs actuels. Comportant pas moins de trois étages, cet avion hors norme pourrait embarquer jusqu’à 800 personnes, dans des conditions d’espace et de confort qui font rêver…

On le voit, la révolution de l’hydrogène dans les transports ne se limite pas à la voiture mais se propage également au rail, à l’avion et même… au vélo. Il y a quelques semaines, La Poste a en effet commencé une expérimentation très intéressante à Bayonne et Anglet qui consiste à tester « sur le terrain » douze vélos à hydrogène. Ces VAE (Vélo à Assistance Electrique), fabriqués par Cycleurope fonctionnent à l’aide de mini cartouches d’hydrogène qui se changent en quelques secondes seulement. Chaque cartouche permet plus de 20 kilomètres d’autonomie. Mais ces VAE à hydrogène sont également bien plus écologiques que leurs homologues électriques classiques car leurs batteries entièrement recyclables ont une empreinte carbone vingt fois plus faible que les batteries au lithium…Avec de telles performances et de telles qualités environnementales, le vélo à hydrogène pourrait devenir une solution de déplacement urbain incontournable avant la fin de la décennie…

Pour la première fois, les principaux responsables politiques mondiaux, réunis il y a quelques semaines au cours du dernier G7 en Bavière, ont clairement annoncé que, pour relever le défi climatique, ce siècle devait voir la fin des énergies fossiles. Pour atteindre un tel objectif, qui suppose une véritable mutation économique et un changement de civilisation, nous devons imaginer et mettre en œuvre, au niveau planétaire, un nouveau schéma de production et d’utilisation de l’énergie reposant sur le triptyque énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse et énergies marines), électricité et hydrogène, qui nous permettra, dans le secteur des transports comme dans tous les autres domaines d’activités humaines, de disposer enfin d’une énergie propre, abondante, décentralisée et accessible à tous.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • zelectron

    26/06/2015

    Les barrières réglementaires ont faillis nous tuer, mais n'ignorons pas le danger d'explosion lié à l'hydrogène ainsi que l'autre beaucoup plus sournois et auquel peu de gens portent attention, à savoir que les "fuites" volontaires ou non qui atteignent très rapidement la couche d'ozone et la détruisent partiellement !
    Comme d'habitude nous accusons un retard de 10 à 15 ans, c'est d'autant plus incompréhensible qu'AIR LIQUIDE est le N°1 mondial
    Merci pour cette page d'excellente synthèse

  • Dr. Goulu

    28/06/2015

    Produire de l'hydrogène avec l'énergie solaire est une erreur : c'est pendant la journée qu'on a le plus besoin d'énergie, donc autant l'utiliser directement à ce moment là.

    Le vrai challenge est de produire par électrolyse de l'hydrogène à un prix inférieur au reformage du gaz naturel utilisé actuellement. http://www.drgoulu.com/2007/09/06/lhydrogene-energie-du-futur/

    L'Islande avait un ambitieux programme hydrogène qui a périclité malgré une abondance d'électricité géothermique : il était économiquement plus judicieux d'utiliser cette électricité pour produire de l'aluminium et d'importer de l'hydrogène reformé

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