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Edito : La réussite du GSM nous est montée à la tête : nous risquons de le payer très cher

L'industrie européenne des télécommunications entre dans une crise grave. L'annonce faite dans ces derniers jours et ces dernières heures par de grands constructeurs de téléphones portables tels que Philips ou Ericsson de supprimer des dizaines de milliers d'emplois révèle l'ampleur de la vague qui est en train de se creuser. Je le dis, je le répète, je le crie depuis un an, mais en vain, tant mon raisonnement est en profond désaccord avec le discours officiel des gouvernements des trois principaux pays d'Europe : la vente aux enchères ou même sur concours de beauté des fréquences UMTS nous emmène à la catastrophe. Pourquoi ? Tout d'abord parce que les gouvernements européens ont obligé les opérateurs historiques des principaux pays de notre continent à lourdement s'endetter pour disposer de ces fréquences UMTS. Or, il faut le dire avec force car c'est une première dans nos démocraties modernes : des gouvernements ont accordé à des entreprises phares et symboliques des licences d'exploitation pour des technologies qui, à ce jour, ne fonctionnent pas et qui ne devraient pas bien fonctionner avant plusieurs années et ont souvent exigé que ces autorisations leur soient payées cash... Je ne sais comment serait qualifié par un juge, en droit commun, un tel comportement ! Mais au risque de surprendre, je dirai que la principale raison sur laquelle se fonde ma conviction que nous allons vers la catastrophe ne se trouve pas dans cette décision aberrante de mettre aux enchères une technologie qui n'est pas encore viable. En effet, par une simple décision de bon sens qui, je l'espère, finira par s'imposer, les gouvernements des principaux pays européens reconnaîtront qu'ils se sont trompés. Ce qui est bien plus grave est que ce faux pas de l'Europe met en évidence le manque de maturité de notre Continent pour entrer dans l'avenir. Dans cette longue marche qui décidera du destin de nos enfants, nous pouvons, de manière simplissime, réduire l'histoire des télécommunications à quelques pas, au niveau de l'appropriation des usages. Le premier pas qui a demandé presque un siècle pour totalement se déployer permit à nos grands-parents, parents et nous-mêmes de prendre l'habitude de nous servir d'un téléphone fixe à notre domicile, sur notre lieu de travail, pour porter exclusivement la voix, pour échanger en conversant. Dans les années 1990, et en cela l'Europe fut plus prompte et plus efficace que l'Amérique, nous avons su couper le fil qui reliait le téléphone à un lieu fixe : notre bureau ou notre domicile. En coupant ce fil, nous avons ressenti, et les jeunes plus particulièrement, une extraordinaire sensation de liberté. Mais en vérité, à l'analyse, nous constatons qu'en nous jetant ainsi sans retenue sur le téléphone portable, nous n'avons fondamentalement acquis aucun nouvel usage sinon de faire librement, en nous déplaçant, ce que nous faisions hier en restant assis sur une chaise. La preuve que nous ne sommes pas encore prêts à acquérir de nouveaux usages avec notre téléphone portable fut l'échec du Wap. Cela aurait dû attirer notre attention... Nous avons longtemps cru que, grâce à cette spectaculaire réussite de l'Europe dans le téléphone GSM, nous allions enfin battre les Etats-Unis dans le domaine majeur des télécommunications alors qu'ils nous avaient, sans contestation possible, battus dans le domaine tout aussi vital de l'informatique. Les grands constructeurs européens et avec eux les principaux gouvernements de notre Continent qui, malheureusement, se sont trop laissé influencer par ces grands groupes privés, blottis sur leur petit nuage rose tant était grande l'euphorie en permanence ravivée par la déraison des places boursières, ont pensé avoir la capacité de gagner définitivement la partie sur les Américains par un échec et mat fatal, en se précipitant sans hésitation vers le téléphone de troisième génération. Or, il se révèle que cette erreur aura été stratégique : l'Europe s'est trompée de jeu. Nous avions cru être dans un jeu d'échecs alors que nous ne sommes que dans une partie de dames. Pour gagner ce duel sans précédent, il nous fallait pousser nos pions droit devant nous et non les faire riper comme des fous. Les Américains ont très vite compris qu'au niveau des usages, il fallait que l'appropriation se réalise d'abord sur des postes fixes avant de couper les liens pour rendre cet usage mobile. L'Europe avait vérifié ce principe avec le téléphone, les Etats-Unis sont en train de le confirmer avec Internet. Avant de mettre en place des structures coûteuses encore hypothétiques dans leur fiabilité technologique pour mettre Internet sur des terminaux mobiles, les Etats-Unis, de manière méthodique, sont en train de faire acquérir l'usage de l'Internet à large bande sur des postes fixes en poussant les feux sur l'ADSL et la fibre optique. Nos industriels et nos responsables politiques européens ont fait une terrible erreur en pensant avoir la possibilité de sauter cette étape d'acquisition de l'usage d'Internet large bande sur des postes fixes. Dans un délire que seule une euphorie irrationnelle peut expliquer, ils voulaient que l'Europe entre directement dans ce nouveau monde avec des postes mobiles alors que la technologie, l'ergonomie et l'interface homme-machine n'existent pas encore. Le succès du GSM nous est monté à la tête. Nous avons perdu tout bon sens. Nous risquons de le payer très cher.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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