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Edito : Reconstruire la vie

Des chercheurs américains viennent de réaliser à quelques semaines d'intervalles deux percées remarquables dans le domaine de la biologie et de la maîtrise des mécanismes les plus fondamentaux qui gouvernent l'assemblage du vivant. Une équipe de chercheurs de l'Université de Portland (Oregon) travaillant pour l'Institut National de la Santé est parvenue à réaliser le premier primate transgénique. Pour réussir cette prouesse technique, les biologistes ont d'abord dû insérer un gène étranger dans plusieurs centaines d'ovules. A l'issue d'une fécondation artificielle, seuls quarante d'entre eux ont formé des embryons. Les chercheurs ont ensuite inséminé des femelles, dont cinq seulement ont pu mettre bas. Finalement, sur les trois petits ayant survécu, un seul s'est avéré porteur de la modification génétique. Ce premier singe transgénique, ( dont vous trouverez une photo ci-dessous ) né en octobre dernier, a été baptisé ANDi, acronyme inversé de "Inserted DNA". Cette première mondiale ouvre incontestablement d'immenses perspectives en matière médicale et le Professeur Gérald Schatten, qui dirige ces recherches, n'a pas hésité à déclarer qu'il s'agissait "d'un jour extraordinaire dans l'histoire de l'Humanité". Il a précisé que ce singe transgénique, "en raison de sa proximité biologique avec l'homme, allait devenir un modèle animal incomparable d'études des principales maladies frappant l'homme". Dans le même temps, une autre équipe américaine s'est attaquée à une énigme centrale de la biologie : Comment le corps humain peut-il être composé de cellules osseuses, musculaires ou sanguines alors qu'au départ, l'embryon est constitué de cellules pluripotentes, identiques et possédant les mêmes potentialités ? Un premier coin du voile vient d'être levé sur ce grand mystère du vivant par une équipe de chercheurs américains de l'Université Johns Hopkins, dirigée par John D. Gearhart. Ces recherches ouvrent sans doute, au même titre que celles sur le singe transgénique, une ère nouvelle dans l'histoire de la médecine et de la biologie. Ces chercheurs ont en effet réussi à reproduire partiellement, en laboratoire, la différenciation cellulaire opérée pendant la grossesse. Pour accomplir cet exploit, ces chercheurs américains ont d'abord retiré la couche externe d'un blastocyste, un embryon de quelques jours. Ce qui restait - un amas de cellules indifférenciées - a alors été transféré dans différentes boîtes de culture et s'est multiplié spontanément. Les boîtes contenaient toutes des éléments chimiques distincts et chacune devait favoriser l'éclosion d'un type particulier de cellule. C'est ce qui s'est produit : dans plus de la moitié des boîtes, les cellules se sont légèrement spécialisées, exprimant entre autres à la fois les caractéristiques génétiques typiques des muscles et des nerfs. Certes, les cellules obtenues ne sont pas parfaitement différenciées mais leur multiplication n'a pas entraîné, non plus, de mutations génétiques. Cette dernière constatation est essentielle car ces cellules sont destinées, à terme, à traiter de nombreuses maladies : elles doivent donc être stables d'un point de vue chromosomique pour éviter que les patients soient « infectés » par ces cellules étrangères. "Nous avons de bonnes raisons de penser, souligne le Professeur Gearhart, que ces cellules possèdent la capacité génétique de produire différents types de tissus en fonction de leur lieu exact d'implantation dans le corps". Les chercheurs américains ont également constaté que ces cellules n'étaient pas immortelles. Elles se divisent 70 à 80 fois puis meurent. Le Professeur Gearhart souligne que ce nombre de divisions est optimum, "suffisant pour produire un tissu mais insuffisant pour produire des tumeurs". La prochaine étape de ces recherches va consister à présent à implanter ces cellules chez l'animal pour voir si elles peuvent traiter certaines maladies neuro-dégénératives ou réparer certaines lésions de la moelle épinière. Bien que les résultats officiels ne soient pas attendus avant plusieurs mois, les résultats préliminaires semblent prometteurs. Enfin, dernière constatation des chercheurs, et non la moindre : cette nouvelle méthode de production de cellules est beaucoup plus rapide et facile à mettre en oeuvre que les autres méthodes utilisées jusqu'à présent. Il semble notamment possible de congeler et de décongeler facilement les cellules produites. Bien que ces recherches en soient encore à un stade préliminaire, il ne fait désormais plus de doute, à la lumière des premiers résultats obtenus, que la production artificielle et industrielle des différents types de cellules qui nous constituent deviendra une réalité d'ici une vingtaine d'années. Il deviendra alors possible de guérir définitivement, en utilisant directement les mécanismes les plus intimes du vivant, de nombreuses maladies mais aussi de réparer les lésions accidentelles à l'origine de tant de vies brisées. Mais lorsque l'homme, doté de ce pouvoir démiurgique, sera capable de construire à volonté en laboratoires organes et tissus, et peut-être après demain un organisme vivant complexe tout entier, nous devrons veiller à ce que cette extraordinaire puissance soit toujours utilisée pour lutter contre la souffrance et la maladie et non pour essayer "d'améliorer" l'espèce humaine, ou de créer une vie artificielle qui n'aurait d'autre finalité qu'instrumentale. Rappelons-nous toujours qu'un être humain est bien d'avantage que la somme de ses composants biologiques et sachons ensemble réfléchir avec sagesse et humilité à la meilleure façon d'utiliser cet immense pouvoir que nous sommes en train d'acquérir.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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